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Billet de blog 7 octobre 2011

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Le plaisir de dire non

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis près d'une décennie, on peut observer la parution accrue d'essais portant sur le thème de l'hyperfestivité. Deux auteurs ont dominé dans cette dénonciation d'une modernité vouée à être investie de toute part par la fête à tout prix. Gilles Châtelet tout d'abord, avec son Vivre et penser comme des porcs. Et puis Philippe Muray, dans Après l'histoire et Homo festivus. Leur cri d'alarme retentit à l'instant où le ridicule de la fête a exterminé toute trace de sérieux et de solennité.

Mais leur protestation morale est ambigüe. Pourquoi ont-ils répondu avec la même hargne et le même cynisme que produit cette modernité? Pourquoi n'ont-ils pas, à l'instar d'un Herbet Marcuse dans Eros et Civilisation et dans l'Homme unidimmensionnel, attaqué philosophiquement cette modernité en en analysant les mécanismes afin de les contourner?

C'est qu'il y a sans aucun doute chez eux un cynisme incurable qui, en même temps qu'il ronge les zones pures de l'âme, gonfle d'un malsain plaisir l'esprit supérieur qui dit non. Acculés par cette agression perpétuelle du monde, ils ont choisi l'écriture comme un lieu infini de réception d'un désespoir dont ils ne savaient plus que faire. Mais cet espace n'était pas si infini, si l'on interprète le suicide de Gilles Châtelet comme la rencontre de l'auteur avec un point de non retour. Certainement son suicide a-t-il une dimension altruiste. Il est probable que Gilles Châtelet aurait souhaité emporté dans sa tombe tout ce que le marketing a produit de festif et de misérable.

Alors certes, ils prirent du plaisir à pourfendre la bassesse de notre modernité, mais ce ne fut pas un plaisir noble, un plaisir qui rend meilleur. Non, ce fut le plaisir qui détruit, celui qui ridiculise le sérieux et la dignité, qui fait que tout se vaut, au plus bas point. Il faut donc prendre au sérieux le suicide de Gilles Châtelet. Par son acte, il nous avertit des conséquences graves qui nous guettent: le plaisir tue. Il tue l'homme envahit de ce poison, comme l'obèse gonflé de surcrerie s'étale d'un arrêt cardiaque sur le pavé avant la quarantaine. Il tue aussi l'horizon des hommes de valeurs qui croient que certaines choses valent plus que d'autre. Il détruit sans ménagement le recueillement et les saisons de l'âme. Et par-dessus tout, il interdit qu'on se détourne de lui: il exige qu'on le réclame sans cesse.

Muray et Châtelet ont identifié pour nous l'un des plus grands pouvoirs de notre modernité. Mais ils n'ont pas donné les clés intelligibles pour le contrer. Je me propose, avec ceux qui veulent me suivre dans cette réflexion, de mener enquête sur les conséquences politiques de ce plaisir. D'autres avant nous l'ont déjà fait. Inspirons-nous, et tâchons de voir qu'elles formes nouvelles ce malsain plaisir peut prendre.

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