C'est le mot de la campagne présidentielle, celui des partis prétendant au pouvoir, celui qu'on entend comme résonne le judement dernier, "réaliste". On pourrait se rejouir de voir pour la première fois, dans l'histoire politique française, comme un élément de mesure, comme une modération inattendue et tant espérée portant en elle la promesse -enfin tenable- que les mots du politique ne dépasseraient plus l'étendue du pouvoir des actes. Le politique, presque affranchi de la mythologie providentielle, aurait réduit ses ambitions à ses possibilités. Sa volonté a perdu sa majuscule, sa vue s'est affaiblie, ses mots sont plus légers, moins engageants, il marche avec sur lui rien qui ne reluise, mais il est déjà pardonné,car son réalisme a réduit la question des fins à celle -limitée- de ses moyens.
Le panache évincé, la modestie retrouvée, on pourrait presque soupirer de soulagement de voir le politique enfin "humain, trop humain". Mais quelque chose d'étrange nous dit que nous avons été floué, que le message réaliste masque quelques lâchetés. En réduisant les fins aux moyens, le politique tait ce qu'il a abandonné. Et le réalisme alors tant vanté, peut-être relègue dans un silence indifférent les injustices les plus criantes au prétexte qu'aucun moyen n'y peut remédier. Le réalisme charcute les mots de justice et de priorité. Il comprend le réel en fonction de ses possibilités et non selon la hiérarchie des nécessités. Le politique s'est fait expert comptable, il parle de chiffres sans dire qu'ils ont abandonné des hommes, mais ses allures d'épicier doivent être entendues comme une vertu. C'est là le crime redoutable de sa pensée.
Cependant, il semble que même le réalisme promette trop. La définition des moyens et de l'étendue de leurs pouvoirs repose en définitive sur la science économique. Mais ce vocable de science masque la deuxième grande lâcheté du réalisme: la peur du hasard. La science s'efforce de prédire l'avenir, de contrôler ce qui par essence échappe au politique. Aussi le politique qui abaisse ses ambitions nourrit-il en secret l'espoir de contrôler la Fortune, car quand il y a peu d'ambitions, il y a peu de hasard. Mais les fondements de son rêve sont des plus imparfaits. La science économique qui n'a pas su annoncer la crise de 2008, n'a pas non plus les moyens de nous dire de quoi demain sera fait. La prudence du politique "réaliste" va ainsi jusqu'à promettre de continuellement s'ajuster aux variations des possibles contenues dans les moyens. A l'épicier succède le présentateur météo.Celui-ci ne promet ni la pluie, ni le beau temps; il se contente de les annoncer avec plus ou moins d'indifférence car au fond, tout cela ne dépend pas de lui. Le réalisme est donc autant une stratégie de déresponsabilisation du politique.
La lâcheté et la peur sont des passions cousines. C'est parce que le politique craint l'échec qu'il s'efforce avec insistance de réduire les possibles afin de mieux les contrôler. Ce "lâche soulagement" contemporain a cependant le caracètre paradoxal d'avoir renforcer le recours à la science prédictive écomonique. On aurait pu croire qu'après 2008, le savoir référentiel aux yeux du politique serait redevenu la science de l'Etat, c'est-à-dire la science politique; en somme, qu'on serait passé de l'économie politique actuelle à la politique économique, l'une insistant sur le rôle de l'Etat comme variable d'ajustement de l'économie, l'autre sur le rôle de l'Etat comme moteur planificateur et régulateur du marché. Il semblerait donc qu'on ne change pas d'oracle comme de chemise. Mais comme on l'aura vu, il y a quelques lâchetés qui ne sont pas sans intérêts.
Billet de blog 16 avril 2012
Le Politique et la conquête du hasard (Réflexion sur l'idéologie réaliste, partie IV)
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