Anne Hidalgo s'étrangle d'indignation. Comment peut-on refuser ce magnifique cadeau fait à sa ville par le plus grand (et le plus cher) artiste vivant de l'art contemporain? Décidément tous ces béotiens n'y comprennent rien!
Anne se souvient encore avec rage de l'humiliation subie en 2014 lors de l'affaire du plug-tree érigé Place Vendôme. La structure gonflable de 25 mètres de haut (on aime le gigantisme à la Mairie de Paris), la structure de l'artiste scato cropo MacCarthy donc, fut vandalisée par des malfaisants réactionnaires. La honte!
"L'art a toute sa place dans les rues de Paris et personne ne pourra l'en chasser." avait alors tweeté la très cultivée édile lutécienne.
Vlan! Voilà que trois ans après, ça recommence. Pourtant, là, il s'agit d'un cadeau, mince alors!
Ben non, Anne, en y réfléchissant, ce n'est pas un cadeau. C'est simplement "l'idée" d' un cadeau. Dans sa grande générosité, Jeff Koons, le plasticien américain dont la fortune est évaluée à 100 millions de dollars, offre "le concept" de son bouquet of Tulips en hommage aux victimes des attentats de 2015 et en laisse aux mécènes le coût de sa réalisation et de son installation sur la place du Palais de Tokyo. Lorsque l'on sait que depuis 2003 la loi Aillagon permet aux-dits mécènes de défiscaliser à hauteur de 66% leur don et que le coût de la réalisation de l'œuvre atteindra entre 3 et 4 millions d'euros, on peut conséquemment évaluer à près d'un million d' euros le manque gagner pour les caisses de l'Etat français, ce qui commence à faire un peu chérot pour un cadeau (que personne n'a demandé).
La tribune des 23 grincheux dénonce un projet choquant. Choquant? En quoi, grands dieux?
Ben peut-être dans le fait que cette œuvre sensée être offerte en mémoire des morts des attentats de 2015 se trouverait bien loin des lieux où ces crimes furent perpétrés. Mesdames la Maire de Paris et l'Ambassadrice des États Unis en France auraient dû y penser avant de poser tout sourire avec le grand Jeff devant le projet sis entre le Palais de Tokyo et le musée art moderne. Car Jeff Koons n'en démord pas : c'est là que doit être installée son œuvre. Ben tiens! Alors opportunisme, cynisme? Il est vrai que dans cette affaire, si le projet était mené à son terme, Jeff ne s'en sortirait pas si mal. Il s'offre Paris pour pas un rond. Belle opération qui doit lui rappeler son premier métier de courtier en matières premières à Wall Street.
La reine Anne a-t-elle consulté ses sujets avant d'accepter ces tulipes momentales? Que nenni! Pourtant ces édiles soucieux d'éduquer à l'art ces ploucs d'administrés risquent de polluer de façon gravissime leur environnement visuel. On se souvient des décisions prises à une époque sans une quelconque consultation des principaux intéressés : la destruction honteuse des pavillons Baltard, témoins du monde du travail du petit peuple au cœur de Paris, de la construction éphémère (quarante ans à peine) du minable forum des Halles remplacé aujourd'hui par une très chère Canopée qui prend l'eau. Le bouquet de Koons, lui, risque d'être là pour longtemps, car ce n'est pas une installation éphémère, comme le Plug ou le "complex shit" de MacCarthy, sous-titrée "je vous emmerde." Si l'on n'y prend pas garde, ce mégalo-narcissique de Jeff aidé par ses petits copains de la Mairie de Paris risque d'offrir ses "concepts" de Titi, Hulk ou Popeye pour agrémenter les jardins du Luxembourg, les Tuileries ou la place de la Concorde. Il est d'ailleurs amusant de constater l'admiration sans borne que vouent tous ces initiés à des œuvres qui, si elles étaient réduites à leur idée première (ballons transformés en animaux par des animateurs de kermesses ou de matinées enfantines ou décors kitsch des foires) ne leur vaudraient, par ces mêmes gogos, que sourires méprisants ou haut-le-cœur de dégoût.
Jeff Koons est l'avatar brillant et clinquant de la théorie du "ruissellement" prôné par Macron : les riches imposent les idées de la société marchande et gardent le pognon.
Deux pétitions circulent pour s'opposer au Kolossal Kadeau. On peut les signer (ou pas).
PS : Jeff Koons connaît parfaitement la valeur d'une idée. Il fut condamné pour le plagiat d'une photo de Jean-François Bauret. Coutumier du fait, car paresseux en idées propres il pique celles des autres, Jeff plaide l'art de l'appropriation.
"C'est pour soi qu'on donne. Nous tenons à faire un cadeau distinct et personnel pour en avoir le bénéfice. Nous prétendons que celui qui le reçoit en fasse bon usage, non comme il le voudrait mais comme nous voulons pour lui. Donner n'est que prêter." Eugène Marbeau (Remarques et pensées)