Bernard POZIER. Dès l'origine
Editions Phi, en coédition avec les Ecrits des forges. Trois Rivières .Québec .2005)
Dans ce livre paru en 2005 où se reflète le séisme du 11 septembre, l’auteur exprime un « blanc du temps », un moment d’aphasie personnelle et collective. Le monde est dévasté, les mots manquent. Rien ne s’inscrit sur la page du jour, que l’horreur, la répétition stérile. Dans la guerre, le monde agonise. L’écriture et l’amour sont des tentatives de dégeler l’iceberg intérieur, construit par nos défenses. Le monde est dévasté car l’homme est dévasté, angoissé, dès l’origine, par sa solitude, par la mort et le goût de l’infini dans la vie, de l’éternité. L’humanité en rajoute, elle hystérise, faute d’accepter le mystère.
Sans doute tu me dirais
la mort entre en nous dès l’origine
mais justement n’est elle pas suffisante
aussi lente et moins affamée
sans lui disputer chacune de nos cellules
sans mourir cent fois sept ans ?
Désormais inexistant
ou écartelé aux quatre points de l’univers
l‘infini la mort l’éternité la vie
désormais tu sais si on se réveille mort
ou si simplement on ne s’en remet pas
(...)
aujourd’hui l’encre s’est faite
pour jamais invisible
C’est le temps de la béance, de « l’après quotidien » où on ne sait plus « comment s’habiter ». Où le monde manque. Et les mots pour dire la rupture du temps vécu. On revit l’identique. Le Canada est aussi l’image de ce temps circulaire. On continue dans le cycle des saisons.
et nous persistons et persisterons encore
en plein manque du monde
de l’été des corneilles
à la tempête des Indiens
L’histoire piétine.
2000 REGRETS !
Au carrousel perpétuel
triste carnaval québécois
on parle d’entrer au troisième millénaire
pourtant nous sommes encore en 1760
à piétiner dans les mêmes pas qui nous dépassent
Contre le mythe de l’édification d’un nouveau monde qui « dés l’origine » fut dans le déni des autochtones, c’est le constat d’être « incapables d’accéder à notre propre existence », celle de la nation, qui ne sait pas encore faire vivre ensemble harmonieusement ses nations. Contre le mythe, il y a la différence inexplicable des voix et des langues. La vocalité d’une fille zapotèque qu’on entend au Mexique.
ton dialecte
ta voix
insaisissables comme des poissons d’or
nageant dans l’air
La parole poétique renait, à la jonction de l’origine et de l’éternité, au miroir des statues crétoises au bord de la mer, expressions des origines quand n’étaient pas séparés l’humain et l’animal, le corps et l’esprit, le bios et la pierre, le fini et l’infini, l’ombre et la lumière.
CYCLE CRETOIS II,2
humain bouc blanc
grattant dans le roc
ses soubresauts
par fragments
les sanglots des sabots
l’écriture des fissures
La Grèce, un moment où l’humanité a su se donner dans l’art le miroir de son déchirement originel.
Avec au cou quelques citations de poètes ( Paul Valery, Gaston Miron, Frank Venaille, dont les vérités nous aveuglent), le poète flotte et nage sportivement dans le courant, dans le flot commun, le Styx de l’existence, ses morts. Car la mort aussi est une vie comme disait Hölderlin.
Notre incapacité à répondre de notre origine a été confisquée par les religions.
Quand l’auteur y va de l’anathème contre toutes religions, son refus clair fait l‘effet d’une douche sur les cerveaux ébouillantés de notre aujourd’hui, il a la même voix qu’Epicure. Une fraicheur baigne la douleur, une tendresse élégiaque désigne la plaie des meurtres domestiques (Poème à la petite Marie)
11 septembre…
NORMALEMENT
Normalement on ne lance pas les avions sur les édifices
Normalement on ne s’expédie pas soi même au ciel
On n’égorge pas les hôtesses de l’air normalement
La religion est la plus horrible invention sur
la Terre
c’est l’orgueil suprême des humains
pour justifier leur incapacité notoire
à comprendre l’origine et la mort
et pour croire s’en rendre un peu maitres
Le sommeil du poète à Séte, comme éternité vivante
de toute la nature réunie autour de la présence à soi -même.
Le message indépassable de Frank Venaille :
Que nous sommes nés
« afin
de répéter
dans sa propre existence
celles de tous de toujours
comme un balbutiement
non de début de vie
plutôt de l’avant-mort »
La faille de l’origine n‘a pas de réponse, elle se vit
dans le désir et l’amour. Là véritablement, ce qui est « nous », se vit, meurt, recommence.
Et guérir de l’amour
Si c’était envisageable
Ce serait sans doute
L’image la plus proche de ce que doit être la mort
L’amour, le désir, c’est l'heureux vacillement dans la faille, dans la voix de l’amant.
PAR LES LINGES ENTREBAILLES
entre rêve et réalité
entre jamais et toujours
tu te penches négligemment
offrant innocemment ton échancrure
Alors
à la naissance de tes seins
je sombre dans l’embrasure.
Note par G. HUTTIN. Septembre 2016
Bernard Pozier, est né en 1955, à Trois-Rivières Québec. Publie depuis 1976 . Ses livres sont traduits en de nombreuses langues. Il enseigne au collège régional de Lanaudière à Joliette .