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Quartier de la SNEM, usine sise 34 rue des Messiers-Montreuil
En fin d'article : les dernier tests et analyses concernant la SNEM.
La Rumeur de Montreuil par George Kaplan
GENÈSE
L’activité de la SNEM (Société Nouvelle d’Eugénisation des Métaux) débute en 1972, sur des terrains alors urbanisés avec de l’habitat vétuste et nombre de petites industries. Le prix du mètre carré est alors de 150 € (environ 1000 francs). Ces terrains font partie des immenses territoires où le sieur Morel au XIX è siècle avait développé l’extraction de gypse et la double activité de plâtrerie et de briqueterie. La topologie approximative des « buttes à Morel » correspond à une infime partie de cette aire remblayée, tout au long du XXe siècle, de tous les déchets industriels ou ménagers de l’Est parisien : inutile de dire que la dépollution n’était pas alors la priorité et que les terrains conservent dans tout le secteur cette bombe à retardement. Cela n’empêchera pas la construction des écoles qui forment en 2017 le groupe scolaire Jules Ferry.
Montreuil connaît d’ailleurs des immeubles construits sur d’anciennes exploitations industrielles dont les sols sont à l’origine probable de dizaine de cancers : terrain Zolpan, par exemple.
En 1989, l’usine de la SNEM obtient la qualification Airbus et les certifications européennes de qualité ce qui l’oblige au renforcement de ses sécurités industrielles. L’activité de l’usine est dès lors, celle que l’on retrouve aujourd’hui dans le traitement des métaux rue des Messiers à Montreuil. À l’époque le prix du mètre carré y dépasse les 1000 €.
C’est quelques années plus tard – sans qu’aucun lien avec la SNEM n’ait jamais été établi – que décédera d’une leucémie un adolescent. Quinze ans plus tard, il sera recruté comme premier martyr par ceux qui exigent la fermeture de la SNEM.
En 2008, les salariés de la SNEM, en conflit avec un responsable d’exploitation qui partira plus tard à la concurrence, décident de se syndiquer à la C.G.T… Celle- ci obtiendra l’élection de délégués du personnel et la mise en place d’un cahier de revendications portant sur : la vétusté des locaux, le régime des primes, la sécurité, l’hygiène et les discriminations hommes — femmes. C’est la même année que Dominique Voynet est élue maire de Montreuil. En 2012, la municipalité contacte la CGT afin de répondre aux craintes suscitées par l’aspect extérieur délabré de l’entreprise. La municipalité obtient l’appui du personnel qui attend de l’employeur la réfection du toit de l’usine exposé aux infiltrations de la pluie, le PDG domicilié à Versailles, brillant par son absentéisme. Il se désintéresse de tout ce qui ne concerne pas le process industriel et abandonne le contrôle du travail et des produits à ses deux clients principaux Safran et Airbus.
C’est à cette époque que les fédérations CGT de la métallurgie et de la chimie seront particulièrement offensives au plan européen pour faire reconnaître la nocivité de produits industriels parmi lesquels le chrome VI utilisé dans l’avionique, l’ameublement et la maroquinerie. Malgré la résistance d’énormes lobbys patronaux, la confédération européenne des syndicats parviendra à obtenir l’interdiction partielle du chrome VI par la directive Reach. Une dérogation provisoire est décidée pour l’avionique : Safran et Airbus continueront donc d’utiliser le chrome VI y compris dans le process imposé à la SNEM ( Reach - EUR-Lex - Europa EUeur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Al21282 ) . Ses ouvriers et techniciens avertis, depuis de nombreuses années, maîtrisent la procédure de production interdisant tout contact ou toute diffusion d’un produit reconnu toxique, voire mortel, à haute dose. Chaque étude menée depuis, sur l’environnement comme sur la santé des travailleurs, a fait de l’éventuelle contamination au chrome VI la priorité d’investigation. Le chrome VI n’est en aucun cas facteur de leucémie et aucune pathologie liée à sa présence n’a été détectée parmi les ouvriers et les anciens ouvriers (une quinzaine sont en retraite) ayant travaillé sur les bains. À noter : depuis son embauche, il y a plusieurs années, l’une des ouvrières a connu trois grossesses heureuses.
QUEL BOUC ÉMISSAIRE ?
En novembre 2013, l’Union locale CGT de Montreuil décide de communiquer les revendications du personnel de la SNEM via sa courte lettre électronique (Je Tu UL). Ce document sera repris par le blog du syndicat CGT des territoriaux de Montreuil et accessible à tous sur internet.
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Pour certains, ce sera le point de départ du dossier à charge contre la SNEM exigeant sa fermeture. Pour de bonnes ou de très mauvaises raisons, Montreuil a connu des pressions de voisinage pour éradiquer la présence des petites usines qui caractérisent la mixité d’un urbanisme de ville. L’argument de la défense de l’emploi a souvent été écarté lorsqu’un danger avéré était dénoncé par les travailleurs eux-mêmes. Ce fut le cas à Montreuil, à cette même époque quand la CGT exigea la fermeture de l’entreposage d’amiante volatile par LDI (La Démolition Industrielle, Bld de la Boissière) et l’obligea à déposer son bilan. De même, la CGT a demandé l’arrêt des activités de Soleil Noir rue de Lagny, utilisant des peintures ultra corrosives.
Rien de tel dans le cas de la SNEM car l’encadrement industriel a toujours bénéficié d’homologations très strictes, tant pour la fabrication, qu’en amont ou en aval. Par exemple : l’évacuation intégrale des déchets toxiques par l’entreprise Chimirec du Bourget est la norme répondant à un cahier des charges particulièrement contrôlé.
L’information fournie par la CGT en novembre 2013 concernait la seule toiture. Aujourd’hui, cette information est agglomérée au recensement approximatif de trois cas de leucémie pour alimenter la campagne actuelle exigeant la fermeture immédiate de l’usine.
La pluie rentre dans l’usine et ruisselle, donc le chrome VI ruissellerait dans le sang des riverains, mais surtout, autour de la SNEM le prix du mètre carré flirte désormais avec 7000 € et rue des Roulettes dans le prolongement de la rue des Messiers on dépasse les 9000 €, comme le prouvent les annonces des agences immobilières de luxe. Et certains rêvent déjà : dans un quartier sans usine, le mètre carré s'envolerait bien au delà ! Une nouvelle population arrive peu à peu dans les quartiers du bas Montreuil : ce ne sont plus les artistes et cadres venus dans la dernière phase de gentrification, mais des personnes très fortunées qui ne souhaitent plus la mixité sociale qui fit la richesse et la popularité de la ville.
Les risques industriels sont une question sérieuse (cf. AZF, Kodak…). À la SNEM, les opérations de production bénéficient d’un outillage hermétique indépendant du toit.
Alors que les ordonnances Macron s’attaquent aux prérogatives des CHSCT qui faisaient des salariés les lanceurs d’alerte en matière environnementale, la CGT a toujours revendiqué l’extension du droit d’intervention des CHSCT hors des murs de l’entreprise.
Rien de plus normal que l’expertise citoyenne soit mise à contribution pour la qualité de l’environnement et la sécurité des consommateurs, mais une telle démarche peut elle se construire en disqualifiant la parole des salariés et celle de leurs représentants ? Depuis cet été, la campagne organisée pour la fermeture immédiate de la SNEM prétend décréter ce qui serait bon pour le personnel - à savoir un reclassement, on ne sait où – et se substituer à leur parole au nom de la prétendue « terreur » qu’ils auraient de leur employeur « lequel les aurait menacés avec un revolver » à en croire un riverain ! La réalité est toute autre et les ouvriers ne sont pas des abrutis. Ils possèdent une expertise scientifique bien supérieure à celles et ceux qui brandissent la menace du chrome VI. Ils redoutent d’abord la haine obscurantiste des riverains à leur endroit.
Toute politique de la peur peut conduire à de l’irrationnel. Chacun comprend que des parents puissent s’inquiéter, que des riverains puissent exiger des garanties quant à la qualité de vie. La CGT a toujours été vigilante à ce que les protocoles de qualité à l’intérieur de l’usine soient respectés. Cet été, les mobilisations initiales dans le quartier ont conduit les autorités à multiplier les tests et enquêtes de terrain au delà des contrôles habituels d’habilitation. La Préfecture de Seine Saint-Denis vient de publier les dix enquêtes et tests issus d’autorités diverses. (Ici : http://www.seine-saint-denis.gouv.fr/Actualites/Societe-SNEM-a-Montreuil). Toutes concluent à l’innocuité des productions pour le voisinage. Alertée par les délégués du personnel sur les manquements au Code du travail, la préfecture assortira le renouvellement de ses autorisations, d’une mise en demeure pour des travaux concernant les conditions de travail du personnel. Aujourd’hui tous ces travaux sont en voie d’achèvement et la CGT considère comme un succès, à son actif, d’avoir pu se faire ainsi entendre de l‘employeur via la Préfecture et la DRIEE.
Il convient de s’interroger sur la réception de ces rapports scientifiques par ceux qui réclament à cor et à cri la fermeture de l’usine. À la critique éventuelle de la méthodologie, se sont d’emblée substitués le dénigrement ou le déni : « les tests au mois d’août auraient été effectués alors que l’usine ne fonctionnait pas » - alors qu’en vérité la procédure de vérification a exigé que l’usine fonctionne à plein régime - ou « des fûts gênants auraient été cachés aux inspections » et autres balivernes. Aux USA, les fake news auraient contribué à l’élection de Trump, à Montreuil elles entretiennent la psychose autour de l’usine. Un précédent existe : un an auparavant, le même quartier, le même groupe scolaire ont connu une hystérie collective autour de fausses accusations de pédophilie portées contre les animateurs de la ville. Cette campagne s’est achevée en manifestation devant la mairie, à l’initiative de sectes religieuses liées à la Manif pour tous qui souhaitaient du même coup mettre en accusation l’homosexualité du Maire, Patrice Bessac.
En 2017, si les acteurs, dans et autour de l’école, ne sont plus les mêmes, force est de constater que le cocktail entre les peurs irrationnelles, les calculs politiques et une bonne dose d’hystérie produisent les mêmes effets, De la stigmatisation abstraite de la SNEM, on passe au racisme anti-ouvrier.
Verbatim : « Ces gens contaminés mangent le midi dans les mêmes restaurants que nous ! », « Ces kamikazes inconscients du danger sont prêts à tuer nos enfants», « Ce sont des assassins d’enfants », « La CGT va défendre les assassins d’enfants », « On est pas loin des gens de Daesh qui se font sauter au milieu de la foule », « D’ailleurs parmi les ouvriers maghrébins, certains ne sont-ils pas fichés S ? » ...
« L’entre nous » au sens de Bourdieu et le « not in my yard » des Anglais se rejoignent rue des Messiers devant la SNEM. Chaque fois qu’un nouveau rapport sort, il invalide les craintes exprimées, mais les partisans de la fermeture de la SNEM franchissent un pas dans l’escalade : trois jours de blocage de l’usine avec de la résine coulée dans les serrures, jusqu’à une première intervention policière pour dégager l’accès ; puis du ciment versé à l’entrée des véhicules pour bloquer les travaux de sécurité, et encore deux autres manifestations dont celle particulièrement violente, par la brutalité de la charge policière, de la semaine dernière. Jusqu’où ? …
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UNE RUMEUR DE CLASSE
Pour les salariés, qui aimeraient le dialogue et la désescalade, la situation devient chaque jour plus éprouvante : le mépris et l’hostilité d’une partie des riverains les amènent à travailler la peur au ventre. À l’angoisse de perdre un jour leur travail, s’ajoute depuis quelques semaines la récurrence des menaces par quolibets, injures, crachats et les craintes pour leur véhicule personnel : un climat fascisant s’installe, entretenu par un obscurantisme vis-à-vis de tout ce qui n’accrédite pas la rumeur.
Les faits sont têtus : habiter ou aller à l’école à proximité de la SNEM expose souvent moins au chrome VI que de s‘asseoir dans un canapé de cuir, car, rappelons-le, meubles, chaussures, valises, sacs à main de luxe contiennent du chrome VI souvent au-delà de la norme RoHS (2002/95/CE). Bref, on le trouve, en bonne proportion, dans la plupart des produits issus du tannage du cuir. Et s’il faut invoquer le principe de précaution autour de la Butte à Morel, c’est tout le quartier, école comprise, qu’il faut d’urgence évacuer. Le « dégagisme » se retournerait contre ceux qui veulent « dégager » la SNEM : l’empoisonnement dû aux déchets industriels accumulés depuis un siècle dans le sous-sol, bien avant l’installation de la SNEM, aurait du interdire qu’y soit construite la moindre maison !
À Montreuil, il fut un temps où l’ouvrier n’était pas encore perçu comme « kamikazes » , «assassins d’enfant », « terroristes comme ceux de Daesh » : ces choses dites que je croyais ne trouver que dans des récits sanguinaires de vampires ou de tueur fou ne contaminaient pas encore l’air que nous respirons.
Dans la Rumeur d’Orléans, les jeunes filles chloroformées disparaissaient dans les cabines d'essayage. La panique s’emparait durant plusieurs mois de la ville. Tous les commerçants visés étaient juifs. La rumeur révélait un antisémitisme larvé hérité du Moyen-Age : le juif jouait le rôle immémorial de bouc émissaire, catalysant toutes les angoisses dans la population. Aujourd’hui à Montreuil, rue des Messiers, le juif est devenu l’ouvrier et des politiciens dangereux soufflent sur de très mauvaises braises.
Une chose est sûre, si la rumeur enfle encore, le prix du mètre carré dans le quartier aura tant monté qu’il ne restera plus un seul ouvrier, ni artisan dans la ville, et celle-ci sera la proie des nouveaux possédants. Tel est aussi l’enjeu.
LES LIENS : TESTS et ANALYSES
http://www.montreuil.fr/fileadmin/user_upload/Files/actualites_fichiers/2017/09_septembre/SNEM/Point_sur_les_investigations_sanitaires_et_environnementales_menees_autour_de_l_entreprise_SNEM_ARS_4_septembre_2017.pdf