UN PROGRAMME
ECONOMIQUE ET FINANCIER
POUR LA GAUCHE
M. Warren Buffet, première fortune mondiale, n’a pas hésité à déclarer : « La guerre des classes existe, c'est un fait,mais c'est la mienne, la classe des riches,qui mène cette guerre, et nous sommes en trainde la remporter ».
Une gauche véritable devrait d’abord ne pas avoir peur de reconnaître elle aussi, non seulement que la lutte des classes existe toujours, mais qu’elle s’est amplifiée depuis les années 1980. Elle devrait avoir le courage de dénoncer cette évolution et de montrer en quoi la suprématie des riches est la cause directe de la crise économique et sociale actuelle. Il lui faudrait en conséquence axer son programme contre les abus de cette « classe dirigeante » des ultra riches et proposer des mesures à même d’en réduire les nuisances.
Concrètement, il lui faudra lutter en toute première urgence contre les dérives les plus dangereuses du capitalisme financier de façon à mettre l’économie à l’abri des prédateurs. Il conviendra le plus rapidement possible ensuite de prendre les mesures structurelles à même de ramener les « dirigeants » à une décence perdue.
. trois mesures immédiates
1. Décourager la spéculation
Il n’y a pas de difficulté technique à règlementer les transactions financières sur un marché déterminé : cela se fait couramment, aussi bien aux États-Unis que dans l’Union Européenne. Tout est affaire de volonté politique.
Il convient donc de règlementer les transactions sur les marchés pour y freiner la spéculation : ne pas admettre certains produits (les CDS, credit default swaps, par exemple), certains types d’intervenants (les fonds spéculatifs non autorisés, par exemple), certains types de transactions (certaines ventes à découvert, par exemple) ; rendre inutile l’usage de la notation en n’exigeant plus de bonnes notes pour les produits ; établir une taxe sur les transactions financières à un taux suffisamment dissuasif pour la spéculation, rendant notamment sans attrait l’usage du high speed trading.
2. Remettre les banques sous statut public
Les banques sont à la fois un service public (tenue de comptes, octroi de crédits aux entreprises et aux particuliers) et un outil de politique économique. Elles rentrent donc, au même titre que les pouvoirs régaliens, dans le domaine de compétence de la puissance publique. Les très grandes banques (BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole à tout le moins) devraient donc, au même titre que la Banque de France, redevenir publiques ou étroitement contrôlées par l’État.
De même, les chambres de compensation (Euroclear et Clearstream) devraient, au même titre que la Banque Centrale Européenne, être placées sous statut public européen.
3. Pénaliser les filiales off shore
Tout ce qui permet d’atteindre une meilleure transparence dans le domaine fiscal et financier est à rechercher. La transparence est nécessaire à la fois en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, de régulation bancaire, de contrôle fiscal et de connaissance des grandes fortunes.
La signature de conventions internationales, de même que l’établissement de « listes noires » de paradis fiscaux, nécessite souvent d’interminables négociations. Il est plus aisé, par contre, de pénaliser les entreprises ou les établissements financiers ayant des comptes, voire des filiales, dans ces territoires opaques.
. trois mesures à moyen terme
1. Pénaliser les rémunérations excessives
Il importe de condamner les rémunérations excessives car elles sont devenues le symbole de l’inégalité sociale. Outre les dirigeants d’entreprises et les mandataires sociaux, les sportifs professionnels et les vedettes du show-biz ont suivi le mouvement, bientôt dépassés par les dirigeants des grands fonds spéculatifs. Aux niveaux orbitaux qu’elles ont atteints, ces rémunérations sont perçues comme injustes, injustifiées, voire incompréhensibles, par un nombre de plus en plus important de citoyens et de responsables. De plus, ces revenus considérables ne sont consommés que dans une faible part et le surplus alimente la spéculationet les investissements purement financiers qui contribuent à nourrir la crise.
Au nom de la paix sociale, il faut donc d’urgence mettre fin à ces dérives. Point n’est besoin d’édicter une réglementation compliquée et de l’adapter au cas par cas. Il faut et il suffit de qualifier de délit, voire de crime, le simple fait de percevoir des revenus excessifs(i.e. plus de trente fois le SMIC, par exemple, pour retrouver les coefficients prévalant au moment des « trente glorieuses »), quelle que soit l’origine de ces revenus. L’ensemble des revenus devra être pris en compte (salaires, bonus, plus-values, dividendes, actions gratuites, jetons de présence, etc.) où qu’ils soient perçus.
D’autre part, ceux qui ont autorisé des niveaux de rémunération aberrants(membres des commissions de rémunération, administrateurs, commanditaires de spectacles) devraient également être poursuivis, comme complices.
2. Réformer la Société anonyme cotée en bourse
Les actionnaires ne sont pas propriétaires de l’entreprise : il sont propriétaires de son capital et rien de plus. Or l’entreprise est bien loin de se réduire à son capital social. Elle est, en fait, une copropriété entre les porteurs d’idées, les fondateurs, les collectivités d’accueil, les cadres et les travailleurs salariés, les dirigeants et les apporteurs de capitaux, banquiers ou actionnaires. Il importe alors de calquer la gouvernance de l’entreprise sur sa réalité concrète. Il faut surtout cesser de confier la totalité du pouvoir aux seuls actionnaires et à leurs mandataires.
Les sociétés anonymes souhaitant leur introduction en bourse ou voulant continuer à y être cotées devraient alors prendre obligatoirement la forme de sociétés avec directoire et conseil de surveillance. Le conseil de surveillance serait composé de quatre collèges d’égal importance et de même pondération : celui des fondateurs et des innovateurs ; celui des cadres et des autres travailleurs salariés ; celui des représentants des collectivités d’accueil ; celui des actionnaires.
3. Créer une catégorie de « crimes contre la civilisation »
Il fautmettre un terme aux abus du néo-libéralisme et à l’héritage destructeur de Milton Friedman : mise en sommeil de l’Etat, démantèlement des services publics, privatisations et marchandisations forcenées. Ce que l’on détruit ainsi, c’est le ciment qui assure la cohésion sociale en permettant aux moins favorisés de vivre eux aussi. Ce que l’on détruit ainsi, ce sont les institutions patiemment mises en place au cours des siècles précédents et qui sont constitutives de la civilisation. L’essence même de la civilisation est de structurer les liens entre les hommes et non, comme le fait le néo-libéralisme, d’atomiser les individus et de déliter le lien social.
Les auteurs – gouvernants ou « dirigeants » – des destructions les plus graves, devraient pouvoir être poursuivis pour crime contre la civilisation. Le titre Ier du livre II du code pénal devrait être complété d’un sous-titre III intitulé « Des crimes contre la civilisation » et qui concernerait notamment les « atteintes portées à la cohésion sociale » et « la destruction d’éléments constitutifs de la civilisation ».
Georges Beisson