Le grand public semble considérer que les actionnaires sont propriétaires de leurs entreprises, au même titre que les patriciens romains l'étaient de leurs domaines, esclaves compris. Les agissements des conseils d'administration les confortent dans cette idée. Le comportement des dirigeants va dans le même sens. Cependant les actionnaires ne sont pas propriétaires de l'entreprise: ils sont propriétaires de son capital et rien de plus.
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Or l'entreprise est bien loin de se réduire à son capital social. Á l'origine, elle a été créée pour réaliser un projet innovant porté par un homme ou par une équipe de fondateurs. Pour la concrétiser, il a fallu recruter des hommes : des cadres et des travailleurs. Il a fallu lui trouver une ou plusieurs localisations géographiques et, chaque fois, des collectivités d'accueil. Il a fallu acheter ou construire des bâtiments, acquérir des machines, des équipements, des outillages. Et, bien sûr, il a fallu financer tout cela. L'entreprise apparaît alors comme une structure économique et sociale complexe combinant et organisant des moyens très différents, comme une aventure commune à l'ensemble des hommes qui l'animent.
L'entreprise est donc en copropriété entre les porteurs d'idées, les fondateurs, les cadres et les autres travailleurs salariés, les dirigeants et les apporteurs de capitaux, banquiers ou actionnaires.
Il importe alors de calquer la gouvernance de l'entreprise sur sa réalité concrète. Il faut surtout cesser de confier la totalité du pouvoir aux seuls actionnaires et à leurs mandataires.
Le cas des sociétés anonymes cotées en bourse est le plus préoccupant dans la mesure où, du fait de leur taille et de l'importance du rôle économique qu'elles jouent, elles attirent les placements spéculatifs. Elles sont alors gérées par les représentants des actionnaires dans leur intérêt exclusif et parfois - dans un contexte accru de spéculation financière - au détriment de l'avenir de l'entreprise, voire même de sa pérennité.
En conséquence, il conviendrait que les sociétés anonymes souhaitant leur introduction en bourse ou voulant continuer à y être cotées prennent obligatoirement la forme de sociétés avec directoire et conseil de surveillance. Le conseil de surveillance devra être composé de quatre collèges : celui des fondateurs et des innovateurs ; celui des cadres et des autres travailleurs salariés ; celui des représentants des collectivités d'accueil ; celui des actionnaires. Le mieux serait que ces collèges pèsent le même poids dans les procédures de prise de décision. Il faut éviter, en tout cas, que l'un quelconque d'entre eux puisse être majoritaire.
Cette mesure simple est de nature à améliorer l'image du patronat. Couplée avec la proposition faite par ailleurs de pénaliser les rémunérations excessives (« Rémunérations sur orbites », Le Monde.fr du 24 mai 2010), elle devrait permettre d'assagir le capitalisme et de lui redonner un peu de son honorabilité perdue dans les années 1980 avec l'avènement du libéralisme financier.
Georges Beisson