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Billet de blog 8 décembre 2008

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La révolte de la jeunesse en Grèce et le caractère politique de la crise actuelle

La révolte de la jeunesse grecque provoquée par l'assassinat d'un enfant de 15 ans par un policier dans les rues d'Athènes peut être attribuée, en principe, à la crise profonde que traverse l'État hellénique. Un État dominé par la partitocratie, qui place l'intérêt de la classe politique et de ses partenaires économico-médiatiques au-dessus de l'intérêt de la société.

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La révolte de la jeunesse grecque provoquée par l'assassinat d'un enfant de 15 ans par un policier dans les rues d'Athènes peut être attribuée, en principe, à la crise profonde que traverse l'État hellénique. Un État dominé par la partitocratie, qui place l'intérêt de la classe politique et de ses partenaires économico-médiatiques au-dessus de l'intérêt de la société.

Ce décalage est révélateur de la négation voire de la violence avec laquelle est envisagée l'action de l'État. En général, la «vérité» de l'État n'est pas celle de la société. Au contraire. Ceci explique que la vie politique de ce pays soit dominée par une contestation profonde et unanime de l'État et du personnel politique par la société. La société grecque — qui a hérité de son passé récent un développement politique et donc une politisation qui correspond à la qualité du mandant, voire de démos autogouverné — continue à avoir du mal à accepter le système de l'État-nation qui la cantonne dans l'espace privé.

Cette constante fait de la Grèce un laboratoire qui, dans le contexte de la crise mondiale actuelle, devient très intéressant. En effet, on a considéré que cette crise avait un caractère purement économique et financier. Pourtant cette approche cache la nature profondément politique de la crise. Je m'explique: ce qui est en cause en ce moment, c'est la rupture de l'équilibre dans la relation entre société, État et marché. La discussion se résume à la relation que doivent établir entre eux l'État et le marché, et plus exactement à la question de savoir si le marché doit s'autoréguler ou s'il doit se soumettre à un cadre réglementaire géré par l'État. Mais on ne tiens pas compte du fait que l'État et la société sont étroitement liés dans la gestion du fait politique. La société — la société des citoyens, qui est la raison d'être aussi bien de l'État que du marché — ne participe pas à la discussion.

Autrefois, le social et le politique se rencontraient indirectement, par le moyen de l'idéologie ou de l'affiliation de classe. Ceux qui se sentaient socialistes votaient pour le parti socialiste, etc. Depuis l'effondrement des idéologies, on constate que cette rencontre fait de plus en plus défaut et, qu'à sa place apparaissent des théories — comme celle de la société civile ou celle de la bonne gouvernance — qui, en réalité, montent des remparts entre la société des citoyens et l'État qui incarne le système politique.

Les sociétés européennes commencent à comprendre que ce déficit de représentation est la cause profonde de l'éloignement des politiques publiques de leurs intérêts, de l'aggravation du cadre réglementaire (État de droit, État providence, inégalités, etc.) ainsi que de la direction prise par la mondialisation. Pourtant, l'approche de ce déficit de représentation de la société se fait sous un angle moral: on demande à la classe politique de se comporter en délégué du peuple, sans s'apercevoir que la Loi fondamentale prévoit expressément que la classe politique n'est pas obligée de se soumettre à son opinion. Et quand bien même cette obligation serait inscrite dans la Constitution, la société des citoyens n'aurait pas les moyens d'imposer son respect. Il faudrait pour cela que l'État lui restituât la qualité de mandant, que la société se transforme en peuple (demos) et se constitue politiquement pour qu'elle puisse affirmer sa volonté.

Or le fait de soulever la question de la non-représentativité du système politique moderne en termes moraux, et non en termes de réforme de ce système, montre que ce projet ne fait pas partie de nos sociétés. Cela explique aussi pourquoi la contestation prendra des formes de plus en plus violentes, qui seront directement liées aux effets du renversement du rapport de forces au dépens de la société.

J'entends par-là que désormais le rétablissement de l'équilibre entre le social et le politique ne peut se faire que par le moyen du changement du système politique: au lieu de rester l'apanage pur et simple de l'État, il doit inclure dans son espace la société des citoyens. Il y a quelques décennies, cette demande aurait pu être considérée comme utopique ou bien démagogique. Dans les circonstances actuelles, il est devenu urgent que la modernité entreprenne la réforme fondamentale de son arsenal de références (gnoséologie), c'est-à-dire des ses approches de la démocratie et de la représentation, toute en admettant que son système n'est ni représentatif ni démocratique.

La jeunesse grecque a soulevée depuis longtemps cette question et les slogans qui voient le jour sur les murs montrent que pour éviter que la crise ne pèse de façon dramatique sur les épaules de la société il faut que le déficit représentatif ne se pose plus en termes moraux. Cette réforme des esprits concerne surtout la gauche qui, ayant perdu l'avantage d'une idéologie progressiste, s'est converti au néo-libéralisme, avec comme souci principal, une méfiance profonde de la société.

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