Georges Menahem

sociologue, économiste, papa, fils, frère, copain, etc.

Abonné·e de Mediapart

7 Billets

1 Éditions

Billet de blog 11 octobre 2012

Georges Menahem

sociologue, économiste, papa, fils, frère, copain, etc.

Abonné·e de Mediapart

PERENCO : Exploiter le pétrole coûte que coûte

Georges Menahem

sociologue, économiste, papa, fils, frère, copain, etc.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est en 2001 que l’entreprise pétrolière franco-britannique Perenco commence à exploiter des gisements au Guatemala, suite au rachat de l’entreprise Basic Resources, exploitation bafouant les droits des populations locales. C'est le récit de ces aventures se déroulant quelque peu en dehors des sentiers de la légalité que nous conte un rapport ayant pour titre "Exploiter le pétrole coûte que coûte" ; ces 64 pages publiées en 2011 par le Collectif Guatemala nous décrivent chemin faisant quelles sont les principales conséquences sociales et environnementales des activités de l’entreprise Perenco Guatemala Limited.

Perenco est une entreprise discrète : elle est quasiment inconnue en France, et elle a également maintenu un profil discret au Guatemala, ceci jusqu’au début de l’année 2010. Mais début 2010, elle a eu besoin de renouveler le contrat N° 2-85, lequel concernait une quarantaine de puits situés dans le Parc National Laguna del Tigre, dans le département du Petén, au nord du pays. Ce parc est une zone naturelle protégée par la loi guatémaltèque de 1989 sur les zones protégées et par la convention internationale de RAMSAR sur les zones humides d’importance mondiale. En effet, la Laguna del Tigre est la plus grande zone humide d’Amérique centrale et la seconde d’Amérique latine, après le Pantanal du Brésil.

Ce contrat aurait dû prendre fin en août 2010, après 25 ans d’exploitation. De plus, les puits étant en zone protégée, tout renouvellement semblait impossible. Mais Perenco avait prévu le coup et s'était alliée en 2008 avec plusieurs grands lobbys guatémaltèques pour faire voter par des députés "amis" une loi dite «FONPETROL». Cette loi comporte différents éléments qui contredisent d’autres lois et principes législatifs, notamment de conservation de l’environnement.

Cependant, début mai 2010, quatre spécialistes des zones humides, envoyées par la Convention RAMSAR, se sont rendues au Petén. Ils sont arrivés aux mêmes conclusions que la mission envoyée en 1997 : l’activité pétrolière n’est pas compatible avec le maintien et la sauvegarde d’une zone naturelle protégée. Selon l’une des expertes, « l’activité pétrolière a généré des impacts négatifs dans la région». Lors de la première mission à la Laguna del Tigre en 1997, les experts de RAMSAR avaient relevé également les impacts de l’exploitation pétrolière sur l’environnement et notamment, des émissions excessives d’oxyde d’azote et d’oxyde de soufre dans l’air, ainsi que la pollution des eaux environnantes. Ils avaient recommandé aux autorités de ne pas renouveler ou légaliser de nouvelles zones d’exploitation pétrolière dans la région.

De plus, début juillet 2010, la presse nous a appris que le plan de travail que le Conseil National des Zones Protégées (CONAP) devait utiliser pour gérer le parc de la Laguna del Tigre entre 2007 et 2011 avait été falsifié par le propre secrétaire exécutif du CONAP. Ces modifications étaient destinées à démontrer que l’activité pétrolière n’était pas une menace pour la région. Malgré cela et alors que trois de ses ministres avaient exprimé leur désaccord lors du vote, le président du Guatemala Álvaro Colom a décidé 2-85 le 22 juillet 2010 de reconduire le contrat.

L'ensemble de ces activités situées largement en dehors de la légalité et bafouant les droits des populations concernées justifie des plaintes portées devant des instances juridiques internationales. La Commission Internationale de juristes (CIJ) dont le siège est à Genève instruit actuellement une plainte portée devant la Commission Interaméricaine des Droits de l'homme. Un tel cas serait de la compétence d'un Tribunal international climatique, projet porté par la Conférence Mondiale des peuples tenues à Cochabamba en 2010 et relayé en 2012 au Sommet de la Terre dit Rio+20 lors des journées "Terre inquiète" organisées par Edgar Morin et Michel Prieur, avec la participation de notamment Eva Joly (voir détails et liens en http://jne-asso.org/blogjne/?p=11598).

La remilitarisation de la région
Peu après était annoncée la formation d’un « Bataillon Vert » de 250 soldats d’infanterie, afin d’assurer le contrôle et la protection du Parc National Laguna del Tigre. Pour qui ? Nous pouvons le deviner quand nous savons que la création de ce nouveau corps armé a été facilitée par l’apport financier de Perenco. Cette subvention prend deux formes : la donation, en septembre 2010, de trois millions de dollars pour l’installation du Bataillon Vert dans le Parc National, ainsi qu’une contribution de 0,30 dollars par baril de pétrole produit, destinés au maintien du Bataillon. Sur le terrain, on constate que l’embarcation qui permet de traverser la rivière pour rejoindre le Parc National est contrôlée par l’armée et manœuvrée justement par des travailleurs de Perenco.
Cette remilitarisation de la région est un pas de plus dans la stratégie de l’exécutif d’augmenter les effectifs militaires dans le pays, stratégie en désaccord avec l’esprit des Accords de Paix de 1996, qui voulaient replacer l’armée dans son rôle traditionnel de protection du territoire national et non plus dans une tâche de sécurité publique. Sur le terrain, la situation est délicate en raison des différentes menaces qui pèsent sur la population : pétrole, militaires, trafiquants de drogues.

Les tentatives d'expulsion des populations indigènes
Nombreux sont ceux qui aimeraient voir les populations de la Laguna del Tigre quitter les lieux. Ainsi, plusieurs communautés de la zone ont déjà connu des tentatives d’expulsion violente par les forces publiques. Ces expulsions sont facilitées par l’incertitude juridique qui entoure la titularisation des terres dans le Petén.
De fait, de nombreuses zones (dont l’ensemble de la Laguna del Tigre) étant protégées, il est interdit aux populations de s’y installer. Cependant, dans beaucoup de cas, les familles s’étaient installées avant l’approbation de la loi sur les zones protégées et de ce fait, disposent du droit de s’y maintenir.

Les revendications de la population du Peten
En outre, il est important de souligner qu’avant ou après 1989, beaucoup de familles sont arrivées dans le Petén à la recherche d’une terre, pour fuir l’armée, le conflit, la violence liée au trafic de drogues. Pour certaines personnes, une expulsion signifierait le troisième ou quatrième déplacement forcé de leur vie. Les revendications des habitants et des habitantes de la Laguna del Tigre sont donc simples : la fin d’une militarisation qui les effraie dans un pays ravagé par une guerre où 97% des massacres ont été commis par l’armée, la fin des menaces d’expulsion, la certitude juridique concernant leurs droits à travailler leurs terres et la liberté de pouvoir travailler leurs cultures de maïs et de haricots afin de pouvoir nourrir leurs familles.

Les communautés réclament également que l’entreprise Perenco tienne ses promesses concernant l’éducation et la santé. En effet, alors que Perenco prétend participer au développement des zones où elle opère, les habitants se plaignent de ne recevoir que des pupitres de piètre qualité pour leurs modestes écoles. En outre, le « service de santé » de l’entreprise se limite à une visite mensuelle durant laquelle le seul remède distribué est du paracétamol. Comme l’a témoigné une femme d’une communauté de la Lagune del Tigre: « Il faut croire qu’on a tous la même maladie, car ils nous donnent à tous le même médicament ».

LE COLLECTIF GUATEMALA

Le Collectif Guatemala est une association loi 1901, créée en 1979 par des réfugiés guatémaltèques et des militants français des droits humains. Le principal objectif de l’association est le soutien des organisations du mouvement social du pays dans leurs efforts pour construire un État de Droit dans le cadre d'une démocratie participative. Le Collectif travaille auprès de défenseurs des droits humains menacés au Guatemala dans le cadre du projet d’accompagnement international ACOGUATE et coordonne l’organisation d’ateliers vidéos pour soutenir la production documentaire d’organisations locales et la mise en oeuvre de circuits de diffusion communautaire.

SOURCES

Cet article a été écrit en grande partie à partir de matériaux issus de plusieurs documents :
- Le rapport du collectif Guatemala
Le rapport “Perenco, exploiter coûte que coûte”, est soutenu par le réseau "Une seule planète" et les associations Terre des Hommes, France Amérique Latine et Sherpa. Il est à télécharger sur : http://ddata.overblog.com/xxxyyy/1/43/41/24/PDF/perenco/Rapport_Perenco_2011-2.pdf
- Le dossier de Grotius International en http://www.grotius.fr/perenco-au-guatemala-ombres-et-lumieres-d’un-contrat-petrolier/
-  L'article du site novethic sur la RSE en http://www.novethic.fr/novethic/rse_responsabilite_sociale_des_entreprises,sites_et_riverains,perenco_critique_pour_ses_activites_guatemala,134313.jsp

Un documentaire a aussi été réalisé avec le collectif Guatemala par le cinéaste Grégory Lassalle. Il met en parallèle les activités de Perenco et l'exposition sur "l'art de la civilisation Maya" inaugurée au musée du Quai Branly à Paris. Ce film montre en quoi la population morte du Guatemala semble bien plus intéressante que les populations descendantes de ces mayas, des paysans, qui se battent au Guatemala pour défendre leurs terres et leur vie face aux enjeux économiques que représentent l'exploitation des ressources naturelles. (

La réserve de la Biosphère Maya, qui inclut en effet le parc naturel de la Laguna del Tigre dans le département du Petén, abrite également des vestiges archéologiques Mayas de la plus grande importance. Certaines pièces de l'exposition "Maya, de l'aube au crépuscule" qui s'est tenue au Quai Branly de juin à octobre 2011, provenaient de sites archéologiques proches de la concession pétrolière 2-85 exploitée par Perenco.(Cf. annonce de la dernière projection en http://www.actioncinemas.com/presse/soiree_guatemala.pdf)

À citer aussi une interview sur Rue 89 en http://www.rue89lyon.fr/2012/09/24/petrole-au-guatemala-maladies-de-peau-fausses-couches-et-problemes-respiratoires/
Dont " En 2011, deux de nos représentants ont été assassinés en février et, en mai, ce sont 27 paysans qui sont morts. En Europe, on veut dénoncer tout cela et travailler avec des ONG sur les violations des droits humains."

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.