On reste confondus par les commentaires des personnalités politiques - consacrées par les médias dominants - au soir du 1er tour des Départementales.
Très peu de commentaires sur l’abstention !... qui atteint – excusez du peu – près de 50% du corps électoral ! Pourtant, tous les spécialistes de sciences politiques s’accordent à situer dans ce phénomène une crise profonde du fonctionnement de la démocratie rendant toujours plus fragile une République qui, paradoxalement, est invoquée chaque jour par tous les hauts personnages de la classe politique.
Dans les quartiers populaires, l’abstention est astronomique : 60%, 70 % et plus parfois.
Les mensonges que représentent les promesses électorales trahies, la stratégie des discours «n’importe quoi» qui retirent tout sens à la parole politique, les déclarations de probité démenties par des affaires visibles cachant sans le moindre doute un monceau d’abus de pouvoir et de prise illégales d’intérêts, le sentiment d’incompétence des hommes politiques face aux problèmes du pays et des citoyens, le constat de leur mépris vis-à-vis des petites gens (chômeurs, retraités,… ayant le malheur de devoir se contenter de petits revenus), la stratégie de dramatisation des menaces à la sécurité n’hésitant pas à monter une partie de la communauté nationale contre une autre partie de cette même communauté nationale, ciblée parce qu’elle a une pratique religieuse musulmane….
Tout cela a de quoi écœurer de larges pans de la société, les jeunes et les couches populaires en priorité. Écœurer et dégoûter au point de ne plus se sentir concernés par des scrutins qui se résument à arbitrer entre des notables ou élites qui, au-delà des étiquettes, ont tout en commun : un programme politique au service des forces de l’argent, un discours lénifiant fondé sur un mépris profond envers le peuple, la volonté partagée de se construire une carrière «professionnelle» hautement lucrative sans avoir à justifier d’une quelconque compétence.
Alors oui : pour ceux-là pas question de s’inquiéter de l’abstention. Bien au contraire, celle-ci permet de rester dans l’entre soi : on se déchire au 1er tour, on s’arrange si possible au 2nd, on se rabiboche à coup sûr dans l’après élections.
Pour les résultats des exprimés, on reste également confondus devant leur traitement par les médias. Au-delà de la confusion des chiffres, rarement aussi bien entretenue, il est tout simplement incroyable que la référence des analyses soit… des sondages dont on sait les imprécisions pour ne pas dire les orientations des clients qui les commandent. La moindre des choses eut été de se référer aux élections cantonales de 2011.
Et là on découvre que le FN progresse massivement (+10 points) à une élection à fort contenu politique et à fort enjeu institutionnel. Ce n’est pas de gaité de cœur qu’on le souligne : mais il faut avoir l’honnêteté de le signaler pour, au moins, tenir compte du message adressé par la partie des électeurs qui ont voté pour ce parti alors qu’ils auraient dû se tourner vers la gauche.
La Gauche justement, dont les scores sont évalués de façon ubuesque : le PS aurait «résisté» alors qu’il se réduit aux alentours de 20% des exprimés et que l’on sait le «plus» considérable apporté par ses élus sortants qui ont pesé de tout leur poids. Sans eux, le PS aurait terminé à 12 ou 13%, comme aux Européennes de 2014. Un tel naufrage a-t-il un sens politique ? Pour les médias, vaticinant sur les propos des anciens de l’UNEF, les Valls, Cambadélis, Le Guen, ça n’en a que peu : on ne veut pas voir que les électeurs de gauche, ceux des milieux populaires, ont lâché le pouvoir Hollande-PS pour ses trahisons. Non, en extrapolant les propos des dirigeants PS, on peut imaginer qu’ils sont tellement satisfaits qu’ils n’ont pas éprouvé le besoin de passer au bureau de vote. Ficelle pas encore utilisée par les communicants de Matignon : mais avec des journalistes si complaisants, l’antienne ultra cynique «plus c’est gros mieux ça passe» pourrait être utilisée sans vergogne par des politiques dont la carrière ne marque pas la tendance au scrupule.
La gauche de la gauche ne s’en sort pas si mal que présenté par la presse : le Front de gauche n’est pas Syriza, mais on constate qu’à côté de lui, une myriade d’initiatives politiques, citoyennes, locales, ou encore structurées autour de dissidences, représente un électorat croissant. Un PS en réalité à 12 ou 13% d’audience et un Front de gauche cumulé avec une mouvance «autonome», le tout évalué aux alentour de 16%, cela n’a-t-il aucun sens qui mériterait d’être analysé ?
Je m’y essaie. Il n’y a pas de Podemos ou de Syriza en France. Mais ces mouvements existent en profondeur dans la société française, n’en doutons pas. Il ne peut être incarné par le Front de gauche qui est lesté par un PCF qui ne sait pas sortir de sa logique de préservation de ses élus dans les rares endroits où il existe encore. Tant que le PCF sera la structure dominante du Front de Gauche, ce dernier sera dans l’incapacité de répondre à l’exigence absolue d’une refondation totale de la gauche dans notre pays.
La gauche de la gauche institutionnelle ainsi plombée, c’est le bonheur de médias tout au service des forces de l’argent, donc de l’UMP et du PS. En regard, le PS ne cesse de marteler «qu’il n’y a pas d’alternative au PS» pour le peuple de gauche, affichant désormais ouvertement le cœur de sa stratégie, chère au clan Hollande, Le Roux, Le Foll : il faut créer les conditions pour que les citoyens n’aient pas le choix et donc fermer toute possibilité d’apparition d’une force politique nouvelle à gauche. Jusqu’à présent, l’objectif de la droite agissant sous l’étiquette PS est atteint et il faut bien le dire, le Front de Gauche, avec des faits trahissant ses mots et postures, y concourt largement.
Reste la Droite (au sens restreint, donc incluant l’UMP et l’UDI) qui est en tête globalement du scrutin. Elle va sans aucun doute rafler beaucoup de sièges et de départements au 2nd tour. Cela aura-t-il un quelconque impact sur la gestion locale des départements ? En partie seulement. Il faut voir comment, dans les associations réunissant tant les édiles PS, PCF, que de l’UMP et UDI, les élus partagent très largement les mêmes préoccupations de gestion, les uns ayant une fibre sociale un peu plus marquée que les autres, mais, au final, seulement à la marge dès lors qu’ils ne remettent pas en cause les fondamentaux d’un système libéral générant, en soi, tant d’injustices et d’inégalités.
Tout cela n’est évidemment par ressorti des pseudos «débats» entre spécialistes et experts, suivant le scrutin du 1er tour. On a vraiment le sentiment d’une connivence grossière qui encourage les citoyens à rejeter avec dégoût ce qui s’apparente à du marivaudage entre privilégiés de la classe politico-médiatique. Le chômage massif, l’exclusion des jeunes et l’éviction des séniors du monde du travail , la baisse du pouvoir d’achat des couches sociales moyennes et modestes, les ségrégations et discriminations concrétisant un racisme croissant, le sentiment de mépris global de ceux d’en haut pour ceux qui subissent en bas,… tout cela n’a pas matière à être évoqué. D’ailleurs, a-t-on entendu un responsable politique en parler sérieusement, à part les phrases toutes faites que plus personne ne prend en considération à juste titre tant elles sont convenues ? Relisez les déclarations des uns et des autres pour vous en convaincre.
Non, admettons-le : les élections sont un moment permettant aux élites de se retrouver sur les plateaux télévisés, où elles continuent benoitement à échanger leurs analyses largement convergentes, conversation entre bonnes gens, tenues habituellement dans les salons des plus beaux arrondissements parisiens, oubliant manifestement qu’elles s’expriment, même brièvement, devant des millions de spectateurs qui les écoutent avec sidération devant tant d’aplomb, d’arrogance et de mépris envers le peuple.
Après tout, rien ne menace l’ordre établi. Le FN sert d’épouvantail, à juste titre, puisqu’il s’attaque à des valeurs humaines fondamentales. Les syndicats sont gravement affaiblis. Les partis de gauche traditionnels sont empêtrés dans leurs petits intérêts qui dépendent de la mansuétude assassine du PS. Tout va donc bien pour les classes dirigeantes du pays. Rendez-vous donc à la prochaine présidentielle, en passant par les Régionales. Pour quoi faire, s’agissant des électeurs de gauche ? Choisir entre Hollande et Sarkozy ? Sarkozy et Hollande ? Très peu pour moi.