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Billet de blog 15 avril 2025

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Nantes, la free party

Nantes, le 13 avril 2025, lendemain de Manifestive Tekno Anti-Rep, de soirée de la Chat Manik à l’Agronaute, puis d’une free party organisée dans un pont de Loire-Atlantique. C’était une sacrée journée et nuit. Qui sera gravée longtemps dans ma mémoire. Car libre. Car acceptée. Car, pour l’espace d’un temps, vivre dans un espace non capitaliste. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je voudrais t’expliquer et te transmettre la joie immense que cela m’a procurée. Pour partager, mais aussi pour que, je l’espère, tu apprécies ce milieu à sa juste et égale valeur qu’une autre culture.

Je parle d’où ? Femme, 36 ans, née d’une famille à la dèche financière, un amour de grand frère, premier à avoir le bac, galères psy des parents qui ont fait ce qu'ils pouvaient, climat d’insécurité mentale et économique, développement dans un milieu parisien de mixité sociale, économique et culturel, la chance de côtoyer autre chose, d’autres classes sociales, d’autres cultures, de s’ouvrir et d’apprendre les codes sociaux et culturels pour pouvoir faire des études, aidée par de bonnes âmes. Je suis avocate maintenant. Je kiffe mon métier.

Je parle de quoi ?

La Manifestive : c’est une manifestation, avec des camions transportant des sound-system (système de sonorisation) et diffusant de la musique (techno et autres styles musicaux). Elle a pour but de revendiquer le droit à la fête libre, la « liberté fondamentale de festoyer » et de s’opposer à la répression de plus en plus dure qui frappe le mouvement Free Party[1].

La Chat Manik : collectif d’artistes organisant des fêtes diurnes et nocturnes dans divers clubs et tiers-lieux nantais. Cette fois-ci, c’était à l’Agronaute. Béton et plantes, ambiance facile, gens beaux et plutôt privilégiés, bienveillance et ambiance garanties, tapis, jolie déco, bons produits à boire et manger, un grand lieu, un espace dehors pour fumer, des fêtard.e.s aux vêtements colorés en milieu légal. Qui se retrouvent éventuellement plus tard…

La free party : une fête, non déclarée, organisée par un collectif de bénévoles appelé « sound system », diffusant de la musique électronique. Accès gratuit ou sur donation libre. La Free est à la source d’une identité collective qui promeut comme idéologie et valeurs la liberté, le partage et l'autogestion. S’éloigner du mercantilisme, de la propriété. Avoir autant le droit que le bourgeois, que les autres[2], de fêter la musique et d’avoir la place de se réunir. Les autres (dont certains sont aussi bourgeois) ont tout autant ce droit, et ils le prennent, même s’ils ne possèdent pas le lieu où ils festoyent. Un terrain d’expérimentation libre pour apporter une activité à la société, non centré sur l’argent, et goûter au collectif et à l’autogestion.

Cette free-là, c’était beaucoup de monde, de tout âge (dominante de jeunes), de tout milieu, look de teufeur principalement mais pas que. Une arrivée par un chemin de terre verdoyant et une entrée cachée dans un pont, dans un pont !!! Un pont !!! Un immense espace où personne n’est dérangé. Tu fais un chouïa la queue, pis tu rencontres un p’tit groupe de gens sympas et souriants, qui te font un topo sur l’organisation de la soirée. Qui ils sont, comment ça fonctionne, une possibilité de participer financièrement ou pas, sens-toi libre.

Puis, un long tunnel, tu sens le diable monter en puissance dans tes oreilles, et trembler sous terre ! Grande joie. Cœur qui bat de plus en plus. Hâte d’approcher. Le son, la musique, ce qu’on aime, des djs qui nous font danser, des groupes qui discutent, un respect de l’espace de chacun.e, des gens éparpillés partout, de l’eau gratuite (contrairement aux nombreux clubs qui font payer cette denrée élémentaire), des lumières, des poubelles à disposition. Tu te mets où tu veux pour que tes oreilles et ton corps soient bien, et se délectent. Tu peux ressortir et re-rentrer autant que tu veux. Un espace libre laissé à ta bulle personnelle. Une orga carrée et compréhensible.

Hier m’a procuré tant d’émotions vivement positives. Côtoyer ce milieu, m’y sentir pleinement intégrée, me lâcher complètement en toute liberté sans jugement des autres, ni des inconnu.e.s, ni des amours, ni des ami.e.s, ni de moi-même. Et admirer le travail et l’énergie de l’autre, en donnant envie d’y participer plus. C’est ça le milieu et la culture de la free.

C’est ça que je veux te partager. C’est ça qui pourrait aussi, peut-être t’intriguer.

Alors tout n’est pas parfait, comme dans toute culture et idéologie, y a des trucs qui foirent.

Mais voir appliquer, concrètement, autant de chouettes réflexions autour de valeurs humanistes… C’est ça le milieu et la culture de la free party.

Je ne vais pas parler des gens à proprement parler, tu te feras ton idée si tu as envie de plus t’y intéresser intellectuellement et/ou en le vivant, mais je veux te parler de ce que ça me fait ressentir.

De la joie, mais pourquoi ?

Car libre. Car acceptée. Car, pour l’espace d’un temps, vivre dans un espace non capitaliste. Là, pour vivre un moment ensemble, connectés par l’amour commun pour la musique et la danse. Constater que c’est plus grand, que ce n’est pas bullshit, que c’est réfléchi. Regarde, observe, prend le temps, c’est tout autant acceptable, voire incroyable, que le reste de ce qui est plus visible, connu, mis en valeur par notre société.

Accepter tout le monde, quel que soit la « race » (bien qu’il s’agisse encore d’un milieu très peu mixte), le genre, l’orientation sexuelle, l’âge, l’habit, la personnalité, la propension ou pas à lâcher le contrôle, à consommer une drogue légale comme l’alcool ou autre, ou pas.

Pis, la joie partagée d’être là, le remerciement de le faire et d’y participer mis à la même échelle. « Merci d’être venu.e ». « Merci d’avoir tant le sourire et de le transmettre ». « Merci d’avoir fait, d’être si déter, pour qu’on soit si bien ». « Merci de partager, de donner du temps et de faire passer cela, à un moment donné, au-dessus du reste ».

Prendre et rendre son droit à tout le monde. De le faire. De le vivre.

Ce moment musical dans un espace libre, et grand, pour le faire. Pour le faire bien. Et se rencontrer.

T’expliquer pourquoi, t’expliquer comment ça fonctionne, te dire que tu peux participer financièrement, mais que tu n’y es pas obligé. Ne te faire ressentir aucune gêne si tu ne peux pas, ne juger aucunement ce que tu donnes, que ce soit trop petit car tu n’as pas de thunes, que ça soit trop peu alors que tu aurais pu plus. Confiance et liberté. A égalité, à un moment, sur l’échelle sociale. Pauvre, aisé, et toustes, tu as ta place dans le milieu de la free. 

Personne ne te demandera de justifier de quoique ce soit, ni de ton identité, ni de tes goûts, ni de tes ressources.

Et ça, ça fait qu’une avocate, d’une classe bourgeoise désormais, issue initialement d’un milieu prolétaire, elle se retrouve là et elle kiffe sa mère. Elle est émue, elle est souriante à en faire mal aux mâchoires, elle relâche tout, elle donne de l’amour s’il est consenti, des sourires à qui veut les voir, elle est heureuse à un point qui fait battre son cœur et à un point qui l’a fait sautiller comme une enfant insouciante qu’elle n’avait jamais pu être durant son enfance.

Merci la free party.

[1]  Le 18 mars 2025, une proposition de loi (n°1133) a été déposée à l’Assemblée nationale par des députés des groupes plitiques Horizon et indépendants, et Ensemble pour la république, « visant à renforcer la pénalisation de l’organisation de rave-parties », en durcissant les amendes pour les participants, mais aussi en punissant jusqu’à six mois de prison pour toute personne « participant à l’organisation » d’une free party et en appliquant automatiquement la confiscation du matériel saisi, sauf motivation contraire. Cette loi n’en est encore qu’au stade de proposition, a été transmise en commission, et n’a pas encore été discutée ni votée.

[2] Qui ont les moyens d’acheter ce droit de faire ce qu’ils veulent quand ils veulent, par l’achat ou la location d’une terre par exemple.

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