Il y a 10 ans, un triple assassinat raciste et sexiste a enlevé la vie à Sakine Cansız, Fidan Doğan et Leyla Şaylemez, trois militantes emblématiques de la cause kurde. Depuis lors, la justice n’a pas pu être rendue car les gouvernements français successifs refusent de lever le secret-défense qui permettrait à la justice de poursuivre son travail d’investigation.
Sakine Cansiz (co-fondatrice du parti des travailleurs PKK), Fidan Dogan (représentante à Paris du Congrès national du Kurdistan) et Leyla Saylemez (engagée dans les activités de la jeunesse kurde) ont été assassinées le 9 janvier 2013 à Paris par un espion turc. Si le tueur a bien été arrêté et emprisonné, son procès n'a pas eu lieu suite à son décès en prison un mois avant le début du procès, empêchant ainsi de remonter jusqu'aux commanditaires de ces assassinats. Quelques mois après les faits, un enregistrement audio d’une conversation entre l'assassin et les services secrets turcs, le MIT, a été dévoilé. Le réquisitoire du Procureur de la République a été explicite : « de nombreux éléments de la procédure permettent de suspecter l’implication du MIT dans l’instigation et la préparation des assassinats ». La justice française a dans un premier temps classé l’affaire après le décès du tueur. Les avocats des familles des victimes sont alors intervenus, rappelant que les commanditaires de ce triple meurtre étaient eux toujours en vie. Ainsi, les familles des trois victimes se sont constituées partie civile en 2018 et ont réussi à ce qu’en mai 2019 l’affaire soit relancée. Les juges d’instruction ont demandé la déclassification des informations détenues par les différents services de renseignements français concernant cette affaire mais le gouvernement français leur a toujours opposé le secret-défense.
Les kurdes sont l’une des plus grandes nations apatrides sur terre. Le Kurdistan « le pays des Kurdes » n’existe pas pour la communauté internationale : le peuple kurde est écartelé entre quatre Etats, soit 40 à 50 millions de personnes réparties entre Irak, Iran, Turquie et Syrie ainsi que dans les différents pays où iels ont dû trouver refuge. Les Kurdes ne cessent de se battre pour leur reconnaissance. Par reconnaissance, il ne faut pas même entendre l’accès à un Etat-Nation mais littéralement un droit à la reconnaissance de leur existence, la possibilité de pratiquer leur langue et leur culture sans que cela n’occasionne une répression pouvant conduire jusqu’à la mort. Les militant·es de la cause kurde font l’objet de répressions jusque dans les pays où iels ont trouvé refuge. Ce n’est assurément pas un simple hasard si des femmes kurdes, figures de proue du mouvement de libération des femmes kurdes sont assassinées sur le territoire français, à Paris, en 2013 comme tout récemment le 23 décembre 2022.
Malgré les promesses des politiciens français déclarant qu’ils allaient traduire en justice les responsables de ce triple assassinat, force est de constater qu’il n’y a toujours pas eu de procès. Si cette affaire n’est pas encore élucidée 10 ans après les faits, c’est bien parce que la France manque de courage politique. L’État français n’a pas fait ce qui lui incombait pour permettre à la justice de faire son travail. C’est pourquoi les kurdes ont appelé à une grande marche "anniversaire" le 7 janvier 2023 dans le but de revendiquer la levée du secret-défense qui bloque l’instruction judiciaire. Comme le rappelle une tribune publiée récemment « les services de renseignements turcs (M.I.T) avec l’aide des « Loups gris » (le tristement célèbre mouvement ultranationaliste turc d’extrême droite), déploient des moyens puissants pour déstabiliser, traquer et tenter de faire taire tou-tes leurs opposant-es politiques […] les Kurdes restent à ce jour une variable d’ajustement des relations diplomatiques avec la Turquie. Non seulement la coopération entre les services de renseignement européens et les services de renseignement turcs perdure, mais des opposant·es kurdes sont régulièrement livré·es à la Turquie soit pour en obtenir des faveurs, soit pour céder à un énième chantage d’Erdoğan. Dans ce contexte, sans garantie de justice, de vérité et de libertés, la communauté kurde et au premier rang les femmes kurdes, ne se sentiront jamais en sécurité en France et en Europe. »[1]
Ainsi, à ce jour, 10 ans après les faits, l’enquête piétine faute de courage politique de nos gouvernants. Les considérations géopolitiques de la France ne doivent pas primer sur l’élucidation de ce crime politique. Le 7 janvier à 10h30 devant la gare du Nord à Paris disons ensemble stop à l’impunité et exigeons du gouvernement français la levée du secret-défense qui entrave la tenue de la nécessaire instruction judiciaire.

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[1] https://fondationdaniellemitterrand.org/tribune-nous-devons-protection-au-peuple-kurde/