Ma grand-mère maternelle se prénommait Catherine, Caterina en Italien. Elle était originaire de Salugia, sur la rive gauche du Pô entre Turin et Milan, une immense plaine agricole striée d’autoroutes et de voies ferrées, avec la chaîne des Alpes en toile de fond. Son nom de famille figure encore sur un transept de la sévère église de Lamporo, patronyme d’un lointain ancêtre.
Née en Haute-Savoie en 1890 de parents immigrés, elle a beaucoup souffert du racisme qui sévissait au début du vingtième siècle en France à l’encontre des Italiens, « les ritals ». Dans la cour de l’école, la jeune Catherine supportait mal les sobriquets de ses camarades : « Caserio, Caserio ! » lui criaient-elles, du nom de l’anarchiste italien Sante Caserio qui assassina le Président de la République Sadi Carnot en 1894. Elle en souffrait et qui plus est, elle pensait que sa nationalité se lisait sur sa figure. Plus tard elle en fit un véritable complexe et ne s’intégra jamais vraiment à la société française. La pauvre, si elle avait su qu’un de ses concitoyens, homonyme du nom de sa mère, peut être un cousin, Augusto Mazetti, soldat pendant la guerre de Lybie en 1912, cria au cours d’une manifestation « Vive l’anarchie » et tira sur son colonel.
À la fin de sa vie, prise d’une phobie de la propreté, elle se promenait souvent dans son appartement avec un chiffon et un flacon de solvant. Un soir de panne d’électricité, Catherine alluma une bougie sur son chevet, l’accident fut inévitable, le feu prit dans son lit, elle mourut tragiquement dans les flammes. A cet instant précis sa fille cadette était en train de préparer le dîner à trois cents kilomètres de là. Soudainement, elle sentit derrière elle la présence de sa mère, elle se retourna subitement et fut surprise de s’être laissé abuser de la sorte.
Au printemps 2002, nous partîmes, en compagnie de mon fils cadet, pour un périple automobile, sorte de voyage initiatique, qui nous emmena sur les traces de nos racines italiennes. Je lisais alors le fameux roman d’Umberto Eco « Le pendule de Foucault », où il est question de communication avec l’au-delà. Le récit du narrateur nous emmène successivement en Amérique du Sud, à Paris et bien sûr dans la plaine du Pô. Une grande partie de l’action se situe d’ailleurs entre Turin et Milan.
Arrivés à Lamporo sous un ciel bas et pluvieux, nous partîmes explorer le cimetière situé hors du village, au milieu des champs fraîchement labourés. Nous retrouvâmes bien sûr les traces de nos ancêtres parmi les énormes tombeaux et mausolées, cinq minutes suffirent. Mais lorsque nous revînmes à la voiture stationnée sur le parking, désert à cette heure matinale, la vitre du conducteur avait explosé et une partie de nos effets personnels avaient disparu.
Que croyez vous qu’il arriva ?
Rien, sinon que « le pendule de Foucault » aux éditions du « livre de poche » se volatilisa avec le reste... Si, il arriva que la vitre côté conducteur étant rafistolée avec du carton, pour rentrer en France nous dûmes emprunter le tunnel du Fréjus long de treize kilomètres, celà acheva la guérison d'un adolescent en crise, souffrant de persécution avec phobie des tunnels et des ascenceurs.
J’ai toujours pensé qu’à travers chacun de nous, à travers nos actes et nos pensées, les disparus arrivent à s’exprimer, à leur manière. Nous sommes le prolongement, la terminaison vivante de nos multiples lignées ascendantes, connues ou inconnues. Nous ne captons pas souvent leurs messages sauf dans certaines circonstances bien particulières, comme celles que nous vécûmes mon fils et moi, ce jour de printemps 2002, dans la plaine du Pô entre Turin et Milan.
GJ 2004