En Amérique latine, l’Eglise catholique perd des fidèles principalement au profit des chrétiens évangélistes. Mais en France, 47% des 18-24 ans se déclarent « sans religion ».
Si on retient comme indicateur la baisse du nombre de fidèles, l’Eglise catholique n’est pas en crise dans le monde, pas plus que la religion chrétienne en général. Le nombre des chrétiens est en hausse et leur proportion stable : autour d’un tiers de l’humanité pour le christianisme, plus d’un milliard d’hommes pour le catholicisme. Avec de grands et divers mouvements : progression des protestants évangéliques en Amérique du Sud et ailleurs, et des catholiques aux États Unis grâce à l’immigration des latinos, progression du christianisme en Afrique et en Chine, restauration des Églises orthodoxes après l’effondrement des régimes communistes en Russie et en Europe orientale, départ des chrétiens de leur berceau d’origine, le Proche et le Moyen Orient ... et forte baisse en Europe occidentale.
Crise des Eglises chrétiennes...
Cette baisse n’affecte pas seulement l’Eglise catholique, mais aussi les Églises anglicane, calviniste ou luthérienne : les problèmes spécifiques de l’Eglise catholique (gouvernance, statut du clergé, scandales...) si importants soient-ils, ne suffisent donc pas à rendre compte de ce recul récent. Car si l’emprise de la religion chrétienne sur les sociétés occidentales est en reflux depuis plusieurs siècles - ce qu’on a appelé la sécularisation -, c’est seulement au cours des dernières décennies que le détachement s’est accentué. En France, l’un des pays où la « déchristianisation » est la plus forte, en 1961 il y avait encore 92% de baptisés, et un tiers se déclarant pratiquants réguliers ; aujourd’hui presque la moitié des 18-24 ans se déclarent « sans religion ».
... et des grandes idéologies occidentales
Les Églises chrétiennes ne sont pas seules à subir cette crise en Occident. Toutes les institutions porteuses d’une de nos grandes représentations de l’Homme ont vu aussi le nombre de leurs militants s’effondrer : les partis communistes, même avant l’effondrement de l’empire soviétique, mais aussi tous les mouvements qui concurrençaient ceux de l’Eglise au nom d’une vision laïque globale de l’homme et de la société. Plus généralement, se trouvent remises en question toutes nos croyances dans le progrès de l’humanité par la science, cet Humanisme, cette Civilisation dont l’Occident, dans sa conquête du monde, a fini par se croire porteur pour toute l’humanité.
L’ébranlement de l’universalisme occidental
Car, depuis la première crise du pétrole, la suprématie occidentale a été progressivement contestée par la montée d’autres puissances économiques du « tiers-monde », au moment où nous prenions conscience des contradictions sociales et écologiques de notre modèle de développement. Notre suprématie économique et politique en subit le choc mais aussi notre représentation du monde. Obligés de prendre en compte la vitalité d’autres cultures, que nous pensions réduites à quelques traces folkloriques, nous sommes ébranlés dans notre prétention à posséder le vrai et universel sens de l’homme... et de la femme, fondé sur Dieu et/ou la Raison. Amplifié par le « soupçon » des sciences humaines sur la pureté de nos croyances et du fonctionnement de notre raison, cet ébranlement touche toutes nos conceptions de l’homme et de son histoire, chrétienne, communiste, socialiste, laïque... Les mouvements, syndicats, partis s’y référant sont délaissés au profit d’objectifs plus modestes que changer l’humanité : les « restaurants du coeur » (« sans idéologie, discours ou baratin, on vous promettra pas les toujours du grand soir mais juste pour l'hiver, à manger et à boire » chantait Coluche), des combats contre la fermeture d’une usine ou l’extension d’un aéroport, pour ou contre le mariage gay ... dans des plates-formes, coordinations provisoires...
Cependant, la distance critique envers les institutions gardiennes de nos « grands récits » ne signifie pas refus de l’héritage des Lumières, des valeurs républicaines, de l’idéal socialiste ou communiste... : la dénonciation du laïcisme, du scientisme, du rationalisme, et en général de tous les « dogmatismes », n’est pas rejet de la laïcité, de la science, de la raison, mais de leur érection en compréhension universelle de l’homme.
Les Eglises en Occident : l’éloignement croissant des nouvelles générations
La crise des Églises chrétiennes en Occident s’inscrit dans cette remise en cause du dogmatisme de nos institutions de sens. Certes plus de la moitié des français gardent des liens divers avec l’Eglise catholique, de la pratique régulière aux obsèques religieuses, et dans de nombreux mouvements : plus de 100.000 fidèles à Paris chaque dimanche, 2 à 3 fois plus à Pâques ou Noël ... à mettre en perspective avec les autres mobilisations des partis, syndicats, mouvements.
Mais ces chiffres ne doivent pas cacher l’éloignement croissant des nouvelles générations des Églises qui, plus que d’autres institutions encore, leur apparaissent d’abord comme le dernier conservatoire d’une culture qui n’est plus la leur : celle des vérités absolues… lois divines ou naturelles hors-sol de toute culture, paroles d’Évangile qui deviennent paroles divines sans temps ni lieu, témoignages sur le mode « Dieu existe, je l’ai rencontré » qui ne laissent aucune place à l’interrogation sur les enracinements psychologiques ou sociaux de ces expériences ...
Relectures et transmission des héritages « désacralisés »
Pourtant, dans ces nouvelles générations, la « recherche de sens », l’expérience spirituelle et même religieuse ne sont plus déconsidérées comme elles l’étaient au temps d’un scientisme triomphant, et les expressions chrétiennes y restent des références vivantes parmi les autres héritages de notre Occident : des textes chrétiens font l’objet de relectures très novatrices par des chercheurs de différentes « sciences humaines »; de nombreux auteurs de « spiritualité laïque » s’inscrivent explicitement dans la tradition évangélique ; et même parmi les membres actifs de l’Eglise, une partie d’entre eux vivent leur foi comme une voie humaine vers Dieu parmi d’autres (60% des pratiquants réguliers souscrivent à la proposition « toutes les religions se valent », selon une enquête IFOP de décembre 2009).
Pour les Églises chrétiennes affrontées à ces relectures de leur héritage, une partie du défi actuel réside donc dans leur capacité à entendre les questions posées à leur discours de « possession de la vérité » sur le monde, l’homme et sa nature. Défi d’autant plus grand pour l’Eglise catholique romaine qui, depuis deux siècles, a privilégié l’unification par la soumission à un magistère « infaillible », même après le concile Vatican II. La mise en avant par le nouveau pape, dès le jour de son élection, de son titre d’évêque de Rome plutôt que la fonction de pontife universel, sa manière de parler avec des actes singuliers– renonciation à l’habitat dans le palais du Vatican… visite à Lampedusa - plus que par proclamation de principes généraux, sont peut-être le signe de la recherche d’une autre manière de situer une voix chrétienne dans la diversité des paroles du monde.
Nos autres grands principes « universels » sont devant des défis comparables de relecture : ainsi, en héritiers de la Révolution française qui avait à la fois proclamé la Déclaration des droits de l’homme et installé la Déesse Raison dans Notre-Dame de Paris, pour chercher à comprendre ce monde musulman où, sur la place Tahir, on a pu en même temps combattre pour la liberté et faire la prosternation de la grande prière du vendredi, sans pour autant souhaiter l’instauration de la Charia, ou sur la place Taksim à Istanbul, le 30 juin dernier, selon le reportage de Libération, les dizaines de militants de la Gay Pride ont interrompu leurs slogans au moment de l’appel du Muezzin…
Gérard Masson