Jeudi 12 avril 1945
Au lever du jour un rapide coup d'œil nous offre un spectacle étonnant ! Une ville s'étend devant nous. Deux routes y conduisent. On n’y voit pas beaucoup d'animation. Et le jour se lève. Par contre on entend toujours la canonnade. Par moment c'est même un véritable vacarme. Des coups de canons, des explosions, des tirs de défense anti-aérienne. Nous sommes proches du secteur du feu. En plein front. Au cours de la nuit nous avions déjà vu que d'immenses lueurs éclairaient la plaine. Une petite pluie fine commence à tomber. Nous sortons de notre cachette pour y poser un toît. Ce n'est pas très difficile il suffit de manier quelques bottes de pailles et nous sommes à l'abri. Nous nous couchons de nouveau avec l'intention de dormir pendant le jour et de reprendre la marche la nuit suivante. Nous sommes assez fatigués pour penser dormir toute la journée. Soudain nous sommes réveillés par des voix; nous pensons entendre de l'allemand. Nous ne bougeons pas. Nous commençons à mieux nous réveiller.
Je pense que ce sont des soldats, des soldats allemands, ou bien des membres de la Völksturm. Ils sont juste là. Tout à coup, patatras ! Notre toit s’écroule. Les bottes nous tombent brutalement dessus avec des hommes rudes. Mais rien de grave. Les pantalons que nous apercevons les premiers, nous rassurent, ce sont des rayés, comme nous. Comme nous ils étaient couchés dans la meule. Mais un étage au dessus. Ce sont nos frères de misère en principe, merci! lorsque nous avons réussi à nous dégager nous avons constaté qu'il s'agissait bien des évadés de notre colonne, des Polonais. Ils sont trois, Il y en a un que notre bagage intéresse particulièrement. Il commence à prétendre que nous avons volé nos affaires.,
Il fait mine de s'expliquer avec l’expression "comme ci comme ça » qui, dans le jargon des prisonniers, sous-entend voler. En fait, ce type qui nous accuse d'être des voleurs, tente de dérober un bout de pain qui dépasse d'une des musettes de Charles. Il s’en empare même très vite. Et nous devons l'empoigner pour lui arracher ce qui nous appartient. Heureusement tout s’arrange rapidement, l'un d'entre-eux, plus raisonnable intervient. Il ramène son camarade a plus de dignité. Pendant cet incident nos intrus on fait beaucoup de tapage. Ils n'ont pas craint de s'exposer. De parler haut et fort. Comme un avion passe au-dessus de nous je leur fais signe de garder plus de prudence avec les mains. Ils répondent : Américains !
Néanmoins après leur départ, nous jugeons plus prudent, de rentrer de nouveau dans notre tanière et d'attendre la nuit comme convenu. Pendant cela la canonnade continue. Pendant la journée de nombreux avions survole la ville À basse altitude. Nous pouvons les distinguer facilement. J'essaye de voir leurs marques. Et si les polonais avaient raison?
Un certain moment je remarque nettement sur les ailes une étoile. Ce sont des Américains. Notre joie est grande. Charles pense qu'il ne faut pas sortir de notre cachette maintenant. Il dit qu'il faut attendre que les bombardements cessent. Il pense que la fin de la canonnade signifiera que les allemands auront quitté la ville. Nous attendons, nous pensons à un plan pour le soir. Des voitures militaires roulent sur une route qui mène vers la ville difficile de savoir si ce sont des véhicules américains ou allemands. Nous voyons des chars. Je ne crois pas que ce sont des Allemands. Pendant que j'observe Charles est toujours allongé dans notre tanière. Tout à coup j'aperçois des hommes qui sautent d'une autre meulle de paille. Une meule située très de la route sur laquelle passent les chars. Il s'approche d'un des chars qui s'est arrêté. D'autres hommes se regroupent en secouant des couvertures. Pas de doute, ce sont des prisonniers, des « Häftlinge ». Je remarque que ceux qui sont près du char arrêté discutent avec les occupants du véhicule. Au bout de quelques minutes la machine reprend la route. Les prisonniers repartent avec.
Ils passent la route qui va vers la ville. Qu'ils ne prennent pas. Charles suppose que, si, comme nous le pensons, ce sont des chars américains, le pilote aura sans doute recommandé à nos camarades d'évasion de ne pas pénétrer en ville.
Maintenant la joie nous gagne. Serons-nous libres bientôt ? Aurons-nous la chance de nous en tirer à si bon compte? Une grande agitation et beaucoup de confusion envahit mon esprit. Même si il est difficile de se souvenir de tout avec exactitude. Un bonhomme passe à travers les champs. Il tient son vélo à la main. C'est sans doute un allemand. Je vais vers lui. Je lui demande « Who ist américain » je comprends le mot stadt, ville. Veut-il dire que les américains sont en ville? Ai-je bien compris le cycliste à la pipe vide, qui n'avait plus de tabac et qui n'a pas pu me donner une cigarette comme je lui ai demandé ?
Je reviens vers Charles pour lui communiquer la bonne nouvelle. Peu de temps après, sur la route, une femme s’avance en poussant une voiture d'enfant devant elle. Elle est accompagné d'un homme. Ils viennent de la ville. De nouveau je vais vers eux pour les rencontrer. Ce sont vraisemblablement des Polonais, les travailleurs libres. Ils me donnent la même réponse. La femme explique qu'en ville les soldats donnent du pain aux prisonniers. Je retourne vers Charles. Nous préparons rapidement nos bagages avec l'intention d'aller en ville. Nous hésitons cependant car nous apercevons une épaisse fumée noire qui s'élève dans la direction que nous avons prise. Et une explosion qui provoque un déplacement d'air que nous ressentons nettement; Nous sommes sur la route, nous poursuivons notre marche. Dans le fossé nous remarquons une jeune femme, Une allemande Elle est couchée avec deux enfants. Son vélo est près d'elle. Elle a peur des avions américains qui tournent dans le ciel. J'essaye de la rassurer. Nous continuons notre chemin. Mais surprise !
À notre grand étonnement nous voyons une pancarte indicatrice sur le bord de la route sur laquelle figurent les mots Shönebeck an der Elbe. Moi qui pensais avoir dépassé cette ville depuis longtemps ! Après les premières maisons, Dans un champs à droite, des soldats américains groupent des soldats allemands. Les voilà prisonniers ce que nous étions hier encore. Je m'adresse à un soldat américain. Il me conseille de pénétrer en ville. Aux fenêtres il y a des drapeaux blancs. Nous sommes libres ! Marchant avec allégresse, j'éprouve un flux d'émotions qui m'envahit. Les sentiments se bousculent et déjà les perspectives de devenirs se forment. Après tant d'années de privation de liberté les sentiments complexes qui m’envahissent sont intenses. En rendre compte dépasse mes capacités de style narratif.