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Billet de blog 20 avril 2020

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Covid: sauver des vies ou compter ses morts

La "guerre" contre le virus n'est pas finie mais elle a changé de camp. Emmanuel Macron l'avait annoncée, Christophe Barbier a désigné le nouvel ennemi et le futur de l'après Covid a été décrit par Jean-Yves Le Drian.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

            Le déferlement des réflexions et des propositions sur le futur post Covid, dont, au choix, la lucidité ou la générosité ne peuvent être mises en doute, pourrait être efficacement réduit afin de faciliter la compréhension de ce qui nous attend. Il suffit d’extraire l’essentiel des déclarations de trois personnalités plus ou moins médiatiques, Emmanuel Macron, Christophe Barbier et Jean-Yves Le Drian et d’observer comment, d’une déclaration à l’autre, ce qu’on peut appeler le paradigme de la déclaration de guerre s’est consolidé tout en se renversant.

            En effet, le premier a dit, en substance : « C’est la guerre », le second « On ne va pas ruiner l’économie pour sauver trois vieux », le troisième prophétise que l’après pourrait bien être pire que l’avant.

           Autrement dit, la situation de guerre annoncée par Macron n’était pas qu’une métaphore politiquement utile, un moyen grandiloquent de fourbir boutons et épaulettes, puisque les deux autres déclarations citées confirment que la situation évolue véritablement comme une guerre, et tout particulièrement celle de 14-18, ce que prouve plus éloquemment encore la mobilisation de l’activité organisée dans plusieurs pays, et bientôt générale.

            La troisième guerre mondiale a d’abord été menée contre ce fameux ennemi invisible. Son invisibilité n’ayant pas permis de concentrer le feu, les discours hostiles et haineux ont été nécessaires, comme dans toute guerre, à la galvanisation des énergies et à la justification des actes de gouvernement. La France a heureusement été moins atteinte par la propagande qui a fleuri ailleurs. Trump visant les Chinois, puis l’OMS, puis les gouverneurs qui entretiennent le confinement, Bolsonaro faisant de même, ou Orban en Hongrie, ou encore l’Italie surveillant ses ennemis intérieurs.

            Cette guerre, en fait n’en était pas encore une. Elle ne visait pas d’abord à tuer des gens mais à sauver des vies.

            C’est là qu’elle se renverse. Il ne s’agira plus désormais de sauver des vies mais de compter ses morts.

            La guerre fait des victimes, l’hécatombe est même acceptable puisque selon Barbier, elle ne touche pas les actifs mais les vieux, inutiles. Durablement, pendant des années sans doute, à jamais si le vaccin s’avère peu protecteur ou si sa quête s’éternise, à l’instar des recherches sur le sida — ce qui sous-entend que la réforme des retraites serait opportunément sans objet.

            Le virus va se balader librement, aux marges, contenu par des mesures que la crainte de la contagion ou celle des autorités auront rendues légitimes et banales, une mauvaise grippe perpétuelle, en quelque sorte. Le monde entier aura adopté la stratégie de l’immunisation collective de la Suède, ou l’absence d’équipement, la contamination massive des maisons de retraite, celle des soignants dénoncent un échec ; nous pourrions désormais vivre en état d’échec permanent, de bonne-mauvaise santé, que masqueront les chiffres et que justifiera la bonne marche retrouvée des affaires.

            Et là, la guerre encore. Bien pire que celle qui est menée contre l’ennemi invisible parce que l’ennemi sera cette fois un allié, on l’admettra, on le nourrira dans notre propre camp, cet allié qui nous trahira sans trêve, ce sera nous-même. Les vieux, comme moi, vous, et vous, qui n’auront d’autre alternative que de vivre à-demi enfermés ou d’accepter de mourir pour assurer les bénéfices d’Auchan et de PSA ; vous, les jeunes, qu’on embrigadera comme en 22 et en 33 dans la Revanche, que l’on enthousiasmera ou à tous le moins, fera taire, dont on compensera les heures supplémentaires, les salaires réduits, les contrats courts, l’intérim obligé et les remboursements d’emprunts par l’étalage de l’abondance retrouvée, des vacances à gogo et le spectacle de l’obscénité publicitaire.

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