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Billet de blog 7 janvier 2009

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La crise nous est tombée dessus !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis tout à fait scandalisé par la propagande du gouvernement et de l'UMP sur le caractère soudain et imprévu de la crise financière. Je le suis encore plus par l'attitude de nombre de journalistes, notamment de radio et de télévision, qui, par leur silence, voire leur acquiescement, accrédite cette thèse. Ce soir encore, 7 janvier 2009, Michel Denisot reçoit Patrick Poivre d'Arvor, puis Joseph Stiglitz. Il est évidemment question de la crise et Patrick Poivre d'Arvor, avec aplomb, apostrophe Joseph Stiglitz, à peu près en ces termes : "Il y a un an, aucun économiste ne nous avait annoncé la crise". L'économiste états-unien convient qu'il n'en avait pas donné la date, mais qu'il avait alerté, notamment à Davos en 2007, sur l'existence d'une bulle financière susceptible de faire des dégâts lors de son éclatement. Cela n'eut pas l'air de déstabiliser celui qui a pu se vanter un jour d'avoir réalisé une interview (bidonnée) de Fidel Castro ! Plus grave sans doute est le fait que Michel Apathie, dont l'assurance dans les commentaires laisse supposer qu'il connaît bien ses dossiers, ne l'ait pas contesté. Comment imaginer que ce brillant chroniqueur n'ait pas eu connaissance en 1998 d'une série d'articles de "notre" prix Nobel d'économie, Maurice Allais, articles parus dans le Figaro des 12, 19 et 26 octobre 1998, réclamant, argumentation à l'appui évidemment, de profondes réformes des institutions financières et monétaires. Il publie en 2002 un gros livre aux éditions Juglar, "Nouveaux combats pour l'Europe 1995-2002. Un aveuglement suicidaire, Pour une autre Europe". L'ouvrage n'est plus disponible à la vente actuellement. Un internaute en a mis en ligne un certain nombre de pages (lien : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/messages_recus/La_crise_mondiale_d_aujourd_hui_Maurice_Allais_1998.htm ) . On peut notamment y lire : "L'économie mondiale tout entière repose aujourd'hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s'était constatée. Jamais sans doute il n'est devenu plus difficile d'y faire face. Jamais sans doute une telle instabilité potentielle n'était apparue avec une telle menace d'un effondrement général." Plus loin : " Au centre de toutes les difficultés rencontrées, on trouve toujours, sous une forme ou une autre, le rôle néfaste joué par le système actuel du crédit et la spéculation massive qu’il permet." Enfin : "En fait, sans aucune exagération, le mécanisme actuel de la création de monnaie par le crédit est certainement le "cancer" qui ronge irrémédiablement les économies de marchés de propriété privée". Certes, il ne parlait pas spécifiquement du système des subprimes aux États-Unis, Mais, vouloir nous faire croire que la gravité de la crise en cours provient exclusivement de cette sinistre invention est certainement encore une gigantesque escroquerie. Si la dérive du crédit s'était limitée aux seuls USA, ses conséquences n'en auraient guère débordé les frontières. Le désastre des crédits hypothécaires dans ce pays, s'il a été l'élément déclencheur de la crise, n'est que l'exemple le plus frappant - à ce jour, d'autres surprises sont possibles - d'une pratique de création artificielle de monnaie par le crédit qui était devenue courante depuis plusieurs années et à l'échelle planétaire (*). Alors, on n'était pas prévenu, messieurs les prêcheurs du gouvernement et de l'UMP ?

D'autres chercheurs économistes avaient aussi alerté. Je pense à Jean-Luc Gréau, ancien économiste au CNPF (organisme qui n'était pas connu pour être le creuset de l'antilibéralisme !), qui écrit en 1998 :"Le capitalisme malade de sa finance" (chez Gallimard). J'ai assisté à une de ses conférences-débat à l'automne 2007 où il plombait l'atmosphère en annonçant :"on va dans le mur et c'est pour bientôt". Bien sûr on peut citer des auteurs plus connus que lui pour leur opposition au système libéral comme Jacques Sapir qui publie en 2000 chez Albin Michel "Les trous noirs de la science économique", etc....

Oui, ceux qui avaient en charge les destinées économiques de la France, et donc qui se prévalaient d'en avoir les compétences, pouvaient connaître les dangers dans les quels nous étions déjà engagés. Sans doute par dogmatisme, ils ont refusé de s'en tenir informés. Prompt aujourd'hui à s'entourer de prix Nobel étrangers, je doute que M. Sarkozy, lorsqu'il faisait le 14 septembre 2006 l'apologie du système de crédit hypothécaire états-unien, ait pris la peine de s'informer auprès de notre prix Nobel à nous. Les journalistes spécialisés, du moins ceux qui avaient accès aux "grandes ondes", aux grands médias, ceux qui nous sortaient sans cesse des "experts" du type "Touati", ceux qui vantaient l'universitaire française connue dans le monde entier pour son enseignement de méthodes infaillibles à l'usage des "traders", ceux qui appellent encore aujourd'hui "investisseurs" ceux qui ne sont que "spéculateurs", tous ceux-là ont failli, je le dit comme je le pense. Soit par aveuglement idéologique, soit par paresse intellectuelle, ils n'ont pas cru bon devoir mesurer la pertinence des critiques du système en train de se désagréger, critiques dont je suis persuadé que la plupart d'entre eux avaient la connaissance.

Auront-ils aujourd'hui l'honnêteté de reconnaître leur insuffisance d'alors et le courage d'interdire aux politiques l'argument selon lequel "on ne savait pas" ?

(*) Pour financer les "plans de relance" annoncés il y a tout lieu de penser que les États vont retrouver le chemin de la "planche à billets" qu'ils avaient abandonnée aux marchés financiers. Tout en donnant l'impression qu'ils en maîtriseront mieux l'usage, on peut, hélas, craindre, devant l'impéritie de nos gouvernants, que le remède ne tue le malade.

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