On ne négocie pas avec un dictateur ou un régime dictatorial. Pas seulement pour des raisons éthiques, mais parce que les dictateurs et les régimes dictatoriaux n’ont pas les mêmes valeurs que nous. Donner sa parole, signer un document, promettre tout ce que l’on veut ne représente rien pour eux. Ils ne se sentent pas engagés. S’ils acceptent de négocier, ce sera toujours à leur unique avantage. S’ils font mine de lâcher du lest, c’est parce qu’ils vont positionner leurs pions ailleurs, là où nous ne nous y attendions pas. Mentir n’est pas un péché pour eux. Rompre un accord unilatéralement fait partie de leur stratégie. Et comme ils se contrefichent de leurs populations, ils nous retirent le levier des Droits de l’homme. L’Histoire mondiale est truffée d’exemples montrant que face à des autocrates sans scrupules, faire appel à leur humanité n’est considéré que comme de la faiblesse et ne pas leur tenir tête, comme de la lâcheté.
On l’a constaté à nouveau avec nos dirigeants qui sont tous allés voir Poutine, seuls ou en groupes, pour « désamorcer la situation », « calmer les esprits », « éviter la guerre »… Ils ont été reçus poliment, civilement, avec un grand sourire et des poignées de main chaleureuses. Ils ont écouté pendant des heures des propos lénifiants, on leur a juré, par tous les Saints, qu’il n’y aurait pas d’action belliqueuse. Ils sont repartis confiants, rassurés. Et depuis que les choses ont commencé à déraper, ils passent encore des heures au téléphone (j’espère qu’ils appellent en PCV), pendant que l’armée russe détruit l’Ukraine. On leur a d’abord expliqué qu’il s’agissait uniquement de protéger des populations russophones « gravement menacées » dans le Donbass et que les troupes n’en dépasseraient évidemment pas les frontières. Dès que la situation serait apaisée, les soldats du Kremlin se retireraient et, bien sûr, aucun civil ne serait touché. Maintenant, on laisse entendre que ce n’étaient pas juste les populations du Donbass qui étaient en péril, mais toute la Russie face à ce voisin si dangereux.
Poutine a dû bien s’amuser de la naïveté de nos politiciens. Tout comme Hitler après la signature des accords de Munich, lorsque nous lui avons abandonné la Tchécoslovaquie. Ce n’était pas trop cher payé pour « sauver la paix » et le Führer avait lui aussi assuré qu’il n’irait pas plus loin. Personne ne se souvient de la suite ? Personne ne remarque que pour recréer l’Union soviétique ou mettre en place le Troisième Reich les stratégies sont les mêmes ? Personne ne se rend compte que nous sommes déjà en guerre, depuis longtemps ???
Poutine n’envahit pas l’Ukraine, il complète peu à peu un puzzle dont il doit avoir la vision depuis trente ans. Regardons une carte : la Fédération de Russie avait reconnu l’indépendance de l’Abkhazie en 1992 ; la Tchétchénie a été « pacifiée » suite à une deuxième guerre qui a duré de 1999 jusqu’en 2009 et que certains commentateurs ont qualifiée de génocide ; les soldats russes sont intervenus militairement en Ossétie du Sud en 2008 ; la Crimée a été rattachée à la Russie en 2014, après l’envahissement de son territoire ; Moscou a aussi envoyé son armée dans le Donbass une première fois la même année avant d’y retourner le mois dernier. Dans le même temps, la Russie a, entre autres, mis en place une union douanière avec la Biélorussie et le Kazakhstan en 2010, et renforcé ses relations avec plusieurs pays de la Région qui, bien que membres de l’Union européenne, pourraient être amenés à revoir leurs alliances en cas de conflit généralisé.
Quelles seront les prochaines étapes ? Envahir les Pays baltes pour atteindre l’enclave de Kaliningrad et assurer une intégrité territoriale « de la Sibérie à la mer Baltique » ? Proposer à toutes les communautés russophones d’Europe de l’Est d’envahir leurs pays pour les protéger d’hypothétiques dangers ? Envoyer des troupes en Israël, où près de 25% de la population parle russe ? Prendre possession de la Finlande pour remettre en place non seulement l’URSS mais aussi l’ancien Empire tsariste ?
Le monde a changé : nous recevons les informations – du moins celles que l’on veut bien nous donner – quasiment en temps réel, mais nous avons de plus en plus de mal à identifier les « fake news » ; des accords ont été signés pour créer l’Union européenne, mais les tensions actuelles nous en montrent les faiblesses et les manques ; nous avons mis en place des sanctions économiques fortes contre la Russie et les voyous qui la dirigent, mais nous en subirons aussi l’effet boomerang, alors que nous sommes déjà affaiblis par une pandémie qui est loin d’être terminée ; nous espérons que le peuple russe finisse par se révolter massivement, mais nous oublions qu’il est habitué à plier le dos depuis des siècles, sous les régimes tsariste, soviétique et poutinien ; nous sommes persuadés que les troupes du Kremlin ne franchiront pas les frontières des voisins de l’Ukraine, l’OTAN ayant mobilisé ses propres forces, mais le membre le plus influent, les Etats-Unis, a montré lors des deux guerres mondiales qu’il n’intervient vraiment que lorsque ses intérêts sont directement menacés ou touchés.
Le monde a changé, mais les Naïfs qui nous gouvernent n’ont pas appris grand-chose.