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Billet de blog 29 avril 2011

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Joe Dalton, dégage !

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Mes chers enfants, l'histoire que je vais vous raconter aujourd'hui s'est déroulée il y a 10 ans.

En septembre 2011, quelques mois avant les élections présidentielles, la France était en ébullition ! La situation socio-économique était catastrophique, l'image du pays se trouvait profondément dégradée hors des frontières, les grèves paralysaient la plupart des secteurs d'activités, les partis politiques se tiraient dessus à boulets rouges et une tranche de plus en plus importante de la population s'enfonçait dans la pauvreté et le marasme.

Cela était dû à la calamiteuse gestion depuis 2007 de Joe Dalton, président de la République d'une incompétence rare et d'une versatilité qui l'avait fait surnommer, entre autres, La Girouette. Mais la responsabilité du désastre ne lui incombait pas totalement, car il faut reconnaître qu'il était entouré de conseillers d'une insondable inaptitude et d'un Gouvernement "à la botte" suivant au pas de course les voltes et virevoltes d'un patron perpétuellement sous Maxiton.

Plusieurs scandales retentissants avaient secoué l'opinion publique, des ministres avaient dû être recasés avec promptitude dans des instances nationales ou européennes afin de préserver leurs émoluments, le Front Nuisible de Marine l'Ame en Pen avait progressé de manière inquiétante dans les sondages et même le Parti Submergé avait commencé à se réveiller ! Le mouvement du président, l'Union Majoritaire Populiste, avait vu la défection de nombreux cadres de haut niveau, happés vers un centre de plus en plus excentrique. Dans ses propres rangs, les Brutus affutaient leurs couteaux. Et les sondages étaient tellement mauvais, qu'il n'était même pas certain que l'occupant de l'Elysée puisse être candidat à sa propre succession.

Bref, c'était la chienlit !

En ce mois de septembre 2011, des collégiens et lycéens appelèrent, via Facebook, à une manifestation place de la Concorde à Paris. Les médias ne virent là qu'une invitation cachée à une rêve-party ou une rencontre jambon-calva, et les journalistes qui se déplacèrent n'en attendaient certainement rien de particulier. Pourtant, à l'heure dite du samedi choisi, plusieurs dizaines de milliers de personnes s'y retrouvèrent. Quelques pancartes furent agitées, des slogans lancés, on brocarda - habitude ô combien française - des membres du Gouvernement, mais rien n'indiqua que les choses allaient empirer. Néanmoins, rendez-vous fut pris au même endroit pour le samedi suivant.

Là, ce fut une autre affaire ! Deux millions de manifestants défilèrent depuis l'Arc de triomphe jusqu'aux Tuileries, scandant des formules belliqueuses, déployant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire "Joe Dalton, dégage !" ou "Mort aux inégalités !". Se retrouvaient dans la foule des enseignants, des retraités, des médecins, des facteurs, des fonctionnaires de tous les ministères, des sans logis, des sans papiers, des sans espoirs... Une tension extrême se dégageait de cet amas humain revendiquant une meilleure qualité de vie, brandissant le poing contre le chômage et l'exclusion, menaçant les nantis, les protégés du pouvoir, ceux qui les avaient précipités dans le chaos. Et face aux caméras et aux micros, il fut annoncé que la place de la Concorde et ses environs seraient occupés jusqu'à la démission du président !

Le ministre de l'Intérieur convoqua dans l'après-midi une conférence de presse où il indiqua que les fauteurs de troubles étaient les 10 millions d'immigrés à qui le laxisme des gouvernements de Gauche avait ouvert la porte et que la situation allait rapidement être réglée puisqu'il venait d'ordonner de tous les ramener dans leurs pays d'origine. Mais les journalistes ne furent que moyennement convaincus, d'abord parce que les images de la manifestation ne donnaient pas l'impression d'un raz-de-marée "coloré" (comme l'aurait dit le ministre lui-même), ensuite parce que nul ne pouvait imaginer le nombre de charters qu'il faudrait pour expulser autant d'étrangers, enfin parce que personne n'était arrivé à recenser plus de 2 millions de membres de populations exogènes.

Dans la soirée, on apprit que le mouvement avait fait tache d'huile dans les plus grandes villes de l'Hexagone. Leurs principales places furent à leur tour occupées par des centaines de milliers de personnes pendant que d'innombrables défilés bloquaient les artères de la plupart des cités de moindre importance. Des informations parvenues dans la matinée du dimanche faisaient état de débordements similaires dans les DOM-TOM.

Le lundi matin, lors d'un conseil des ministres extraordinaire, le président tempéra la peur et la colère de ses subordonnés : « Ne cédons pas à quelques signes de nervosité. Le peuple m'aime, je le sais, je le sens et je le comprends ! Faisons plutôt porter le chapeau à nos ennemis du Front Nuisible et du Parti Submergé. Et montrons-nous magnanimes. Dans 48 heures, tout sera rentré dans l'ordre. »

Mais, dans les jours qui suivirent, le mouvement de protestation ne fit qu'enfler et se diffuser dans toutes les couches de la société. Une grève générale paralysa le pays et des nouvelles alarmantes arrivaient sans arrêt de l'ensemble du territoire.

Le 1er octobre, le ministre de l'Intérieur obtînt l'autorisation de faire intervenir la police. Plusieurs préfets lui apprirent, avec une certaine gêne, que la réduction drastique des effectifs et la fermeture brutale de nombreux commissariats ne laissaient plus la possibilité de répondre à l'appel. De toutes les manières, une partie des policiers se trouvait en train de manifester.

Le ministre ne se démonta pas et, comprenant la gravité de la situation, informa son collègue de la Défense qu'il était maintenant nécessaire de faire réprimer les débordements par l'armée. Il fut mis en relations avec le chef d'Etat-major interarmes : « Monsieur le ministre, je dois vous informer que nos troupes qui ne se trouvent pas enlisées en Afghanistan, en Côte d'Ivoire ou aux abords de la Lybie ont toutes été placées par le président de la République aux frontières de pays "à risques", comme la Tchétchénie, la Corée du Nord ou le Congo Démocratique, afin d'intervenir au cas où les chefs d'Etat le demanderaient ou, au contraire, au cas où les populations de ces mêmes pays voudraient renverser leurs dictateurs. Je n'ai donc aucune troupe à mettre à votre disposition. »

Le ministre appela alors le Garde des Sceaux : « Nous devons mettre en place des tribunaux d'exception, qui jugeront les meneurs des manifestations et des grèves dans les meilleurs délais et les enverront à la guillotine. - Mais, tu sais bien que la peine de mort a été abolie dans notre pays. - Foutaises ! Nous sommes en guerre et nous n'avons pas à nous préoccuper de décisions arbitraires prises à l'époque par une Gauche vendue à l'URSS ! Donne-moi des juges et je m'occuperai du reste. - Je ne sais si tu regardes les informations à la télé, mais les taches rouges dans les défilés ne sont pas des coquelicots : ce sont nos magistrats, qui participent de tout cœur au mouvement ambiant ! »

Le ministre comprit qu'il fallait impliquer la communauté internationale, puisque rien ne pouvait être réglé en interne. Il exigea, par la voix de son collègue des Affaires Etrangères, que les Nations unies se prononcent. Cela fut fait le lendemain. Le Conseil de Sécurité promulgua la résolution 164 275 789, demandant fermement "que les Français soient gentils et veuillent bien se conduire poliment". Il faut avouer que cette résolution eut aussi peu de résultat que la majorité de celles que l'ONU avait l'habitude d'envoyer dans toutes les directions et pour les raisons les plus variées.

Après en avoir discuté avec le président, qui s'était enfermé dans son bureau et n'ouvrait plus la porte qu'à quelques rares fidèles, le ministre demanda à l'OTAN de bombarder les manifestants. Le commandant de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord répondit avec calme que si ses avions devaient intervenir, ce serait pour frapper l'Elysée et Matignon, et que des effets collatéraux contre d'autres ministères ne pouvaient être exclus. La solution de l'OTAN ne fut donc pas retenue.

Le ministre retourna à l'Elysée : « Monsieur le président, puisque le peuple vous chérit, ce qui semble évident, il faut lui parler ! » Le soir même, le président s'adressa à la Nation : « Mes chers amis, votre amour et la certitude que vous m'élirez pour un second et probablement un troisième mandats ne me suffisent pas pour être heureux, car je vous sens un peu inquiets en ce moment. Je veux donc vous annoncer les décisions que je viens de prendre pour vous rassurer : premièrement, j'ai décidé de supprimer les impôts avec effet immédiat... pour les riches ; deuxièmement, toutes les familles vivant en-dessous du seuil de pauvreté recevront un sac de 15 kilos de pommes-de-terre et un bidon de 2 litres d'huile d'olives ; troisièmement, j'offre la régularisation administrative à tous les sans-papiers qui signeront un document promettant qu'il voteront pour moi l'année prochaine (et je puis vous avouer que ç'aura été le consensus le plus difficile à obtenir de notre cher ministre de l'Intérieur) ; quatrièmement, je décrète la date de mon anniversaire jour férié sur tout le territoire ; cinquièmement, j'ai demandé à ma chère épouse de créer un nouvel hymne national, qui ne se jouera qu'à la guitare. » Malheureusement, le discours fut accueilli au mieux fraîchement, au pire sous les quolibets d'une populace fort excitée. Les responsables du Parti Submergé et du Front Nuisible ne se privèrent pas de se moquer ouvertement du président et de ses divagations. Des bâtiments publics furent saccagés, des magasins pillés, des véhicules brûlés. Des photos de Joe Dalton en uniforme napoléonien furent barbouillées de peinture, des disques de son épouse jetés dans la rue. En un mot comme en cent, c'était la révolution !

Dès le lendemain, les familles Woerth et Bettencourt demandèrent l'asile politique à l'île d'Arros, plusieurs ministres et secrétaires d'Etat quittèrent leurs fonctions sur la pointe des pieds pendant que des barons de l'Union Majoritaire Populiste claquaient la porte du parti avec fracas. Quelques chefs d'entreprises, jusqu'alors largement soutenus par le président, se jetèrent par la fenêtre de leur bureau, comme lors du krach de 1929 aux Etats-Unis. La Bourse s'effondra, la dette nationale flamba. Les rumeurs les plus folles circulèrent sans retenue : l'Union européenne allait envahir la France, le prix de la baguette passerait bientôt à 15 Euros, l'électricité et l'eau seraient coupées...

Il apparut clairement qu'il n'y avait plus moyen de reculer : il fallait, le plus rapidement possible, destituer le président ! Ce dernier s'était enfermé dans les sous-sols de l'Elysée. Avant de cadenasser la lourde porte en titane, il avait hurlé qu'il ne quitterait jamais le pouvoir et que si on voulait l'y obliger, il appuierait sur le bouton rouge du boîtier nucléaire qu'il avait emmené avec lui. Le pauvre ignorait que le boîtier qu'on lui avait remis en 2007 était vide, l'armée, à défaut de se montrer toujours très ouverte, étant au moins prudente.

Dès le 1er novembre, un gouvernement d'union nationale fut mis en place, en attendant les élections de 2012, remportées haut la main par une Gauche boostée par les évènements. Le pays retrouva son calme, les manifestants rentrèrent dans leurs foyers et l'économie commença, lentement, à se redresser. Les quatre années de l'ère glaciaire venaient de s'achever.

Cela fait maintenant 10 ans que Joe Dalton est hébergé au CAMP, le Centre d'Accueil des Malades du Pouvoir. Il y coule des jours heureux, au côté de Moubarak et de Ben Ali, de Fidel Castro, Mugabe et de la reine Elizabeth. Persuadé qu'il est toujours président de la République française, il prononce quotidiennement un nouveau discours et signe des traités commerciaux avec les autres pensionnaires, qu'il prend pour ses homologues européens. Le soir, en se promenant dans les jardins, il croise les fantômes d'Hitler et de Staline ou écoute Mao Zedong chanter la Longue Marche de l'Armée rouge chinoise.

Voilà, mes chers enfants, ce qui s'est déroulé il y a 10 ans dans notre beau pays.

NB 1 : Toute ressemblance avec des personnages ou des évènements ayant existé ne pourrait que prouver que la réalité dépasse parfois la fiction.

NB 2 : L'appellation "Joe Dalton" pour le locataire de l'Elysée vient de Jamel Debbouze, que je salue ici fraternellement.

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