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Billet de blog 1 juin 2015

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Comment F. Mitterrand s'est fait duper sur la BCE

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Au moment où les cérémonies du Panthéon servent au pouvoir  à s'habiller de  l'esprit de la Résistance, n'est-ce à l'encontre des tyrannies de la mondialisation ordo-libérale et de l'euro mark qu'il faudrait réapprendre à résister ...

....pour essayer de rattraper la manière dont François Mitterrand, croyant arrimer l'Allemagne à l'Europe,  a livré la seconde à la première en se faisant  duper sur la BCE : comme l'a raconté - c'est le plus tristement drôle - son séide,  Michel Charasse.

            Extrait des "ARCHIVES CONSTITUTIONNELLES DE LA Ve RÉPUBLIQUE"- La Documentation Française - Volume 5, Témoignages : ici celui de Michel Charasse; entretien d'avril/mai 2010 avec Olivier Passelecq, validé en mai 2011, par Michel Charasse.

Après avoir traité de la manière dont François Mitterrand a fait venir, en septembre 1992,  à référendum le traité de Maastricht, ce témoignage (pages 474/476 du recueil précité)  porte en particulier  sur le débat avec  H. Kohl à propos de l'euro et  en ce qui concerne  la position de la banque centrale européenne.

             Michel Charasse. - ..... Reste la question de la monnaie dont je vous parlais tout à l'heure.Je lui avais dit : « Vous savez, c'est quand même quelque chose de très grave d'arracher  au peuple français la souveraineté monétaire. Depuis la Révolutionb française, et quelles qu'aient pu être les constitutions, rien n'a jamais échappé  en France à la souveraineté nationale. Tout s'est finalement réglé d'une façon ou d'une autre, par des élections. Alors que là, comment sanctionner  le gouvernement sur sa politique monétaire si le gouvernement ne garde pas une part d'autorité minimum sur la monnaie ? » Et j'ai ajouté : " par rapport  aux principes de 1789 sur lesquels est fondée la République française, la perte  de la souveraineté monétaire est redoutable. Et vous, Président de gauche,  la gauche ayant toujours admis la République, vous ne pouvez pas accepter  la dépendance de la France dans ce domaine essentiel. »

           Il était embêté. Nous nous sommes retrouvés à Strasbourg lors d'un tête-à-tête dans un restaurant entre lui et Helmut Kohl auquel j'ai assisté.   Je ne sais plus s'il y avait Hubert Védrine, je ne crois pas... Il n'y avait qu'eux deux, avec un interprète, ou une interprète, et moi; et il dit à Helmut Kohl : « Mon conseiller, mon ministre- puisque j'étais  aussi ministre et que j'avais négocié certains points du traité de Maastricht dans la partie qui me concernait, c'est-à-dire les problèmes de déficit, de dette publique, de douane, etc. - considère qu'il est très dangereux de créer  une monnaie unique sans prévoir en même temps une possibïilité pour les États membres de l'Union d'exercer leur autorité politique sur la banque centrale européenne. »

           Le Chancelier Kohi explique alors que si la banque n'est pas indépendante, il n'arrivera pas à faire passer l'euro en Allemagne car son opinion et  son Parlement ne le suivraient pas. François Mitterrand lui repond qu'on  ne peut pas laisser aux seuls banquiers une telle part de souveraineté et que,  lui aussi, précisément pour cette raison, a un gros problème en France pour  faire admettre la monnaie unique... Ils se sont mis d'accord en considérant  l'un et l'autre que dans un premier temps, il fallait que la Banque européenne soit indépendante, Helmut Kohl répétant que sans une banque indépendante, on ne ferait jamais l'euro, et François Mitterrand que si nous n'avions pas - il a employé l'expression - « cette épée dans le dos », on ne ferait effectivement jamais l'euro, mais que, dans un deuxième  temps, il faudrait mettre en place une autorité politique.

Et comme devait s'ouvrir peu après la conférence intergouvernementale pour refondre les traités, la question a été renvoyée à cette conférence, afin  qu'elle détermine le régime définitif de la Banque centrale européenne et la soumette à une autorité politique.

François Mitterrand et Helmut Kohi étaient donc bien d'accord pour imposer un jour une autorité politique sur l'euro, ayant parfaitement conscience que, sans cette autorité politique, non seulement se poserait un problème de souveraineté, mais que se poseraient aussi rapidement pour les États de graves problèmes économiques et financiers, dans la mesure où ils seraient soumis aux fluctuations d'une monnaie sur lesquelles ils n'auraient plus aucune maîtrise. Le Chancelier Kohl a même dit : « Ce n'est pas la peine de créer cette monnaie européenne, si demain elle doit aller à vau-l'eau parce que nous serons incapables d'avoir une autorité polique commune pour la diriger ! » Et dans l'idée de François Mitterrand, au fond, la monnaie unique était pour lui le moyen d'obtenir l'autorité politique, ou du moins en tout cas le minimum d'autorité politique dont il pensait que l'Europe avait besoin.

Et c'est ainsi qu'ils se sont mis d'accord , en considérant que le régime de  banque centrale européenne n'était que provisoire. Là-dessus, la conférence intergouvernementale ayant échoué, ou n'ayant pas fonctionné, ou n'ayant pas commencé, la question a été renvoyée à la convention présidée  par Valéry Giscard d'Estaing, qui a étudié la refonte des traités et la Constitution européenne.

Parmi les questions préalables à régler, il y aurait donc eu celle de l'indépendance de la Banque. Et là, d'après ce que l'on m'a dit, la question n'a pratiquement pas été posée. Le statut provisoire de la Banque est donc devenu définitif !

Mais seulement, aujourd'hui, à la date où je vous parle (avril/mai 2010) on s'aperçoit que sans autorité politique l'euro est « cuit » ! Il est «cuit» ! On a quand même obtenu que la parité monétaire avec l'euro soit fixée par le Conseil éuropéen, et pas par la Banque. Mais c'est une décision qu'un homme comme Jean-Claude Juncker « et quelques autres » condamnent, parce qu'ils considèrent en réalité que c'est une disposition qui n'a pas lieu d'être et qu'il il faut laisser jouer les marchés...

Donc voilà comment s'est passée l'affaire de la ratification du traité de Maastricht. Et le soir du référendum, où le « oui » l'a emporté de très peu, François Mitterrand m'a dit : « Ça a passé juste, et si l'Europe sociale ne se fait pas, les Français ne voudront plus jamais de l'Europe. Et demain aucun autre traité ne passera... »

Olvier Passelecq. - Vision prémonitoire...

Micbel Charasse. - On peut le dire ! Il pensait en particulier que le traité refondu, qui devait finalement découler de la convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing, instaurant une Constitution européenne, n'aurait aucune chance d'être ratifiée par référendum.

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