Jamais élections n'ont été autant détournées de leur sens. Les compétences des régions peuvent donner lieu à des programmes différenciés de gestion et, en fait, plutôt à bien des convergences pratiques. Mais leurs caractères techniques et limités ne devraient pas offrir matière à affrontement politique de conception de société; sauf si l'on fait comme si les régions avaient des pouvoirs de stratégie et de police (qu'elles n'ont aucunement). Néanmoins la campagne électorale n'a pas été centrée sur les affaires régionales, mais a été - c'est banalité de le dire, mais il faut creuser pourquoi c'est possible - circonstance, même pas à un débat de politique générale - car rien des questions de fond n'a été expliqué par quiconque - mais à des confrontations passionnelles ou partisanes de convictions divisant cruellement les Français.
Si cela a été possible c'est, bien entendu, à raison de tout le contexte actuel, mais c'est aussi parce que les 13 régions XXL, sont autant que des circonscriptions administratives inadéquates, offrant l'illusion d'un pouvoir réel pouvant profiter aux politiques de carrière - de grands théâtres subventionnés constituant des caisses de résonnance pour une parade des passions et pour la campagne pré présidentielle.
Ces cadres régionaux offrent l'illusion de permettre une représentation proportionnelle mais finalement les sièges sont distribués - conforment à l'esprit de la Vème République qui s'est voulu une dictature de l'alternance bipolaire - quasiment au scrutin majoritaire : au premier tour, on se fait plaisir; au second tour on doit choisir. Voilà ce qui d'une part sert un parti en progression bousculant par sa percée les recettes de la bipolarisation, et ce qui, d'autre part, permet, contre un ennemi commun, entre électorats aux affects un moment ou profondément compatibles, des rapprochements tantôt affichés, absurdes et nécessaires (les unions de la gauche) tantôt souterrains, pervers et efficaces (les unions des droites).
LES CHANCES RENFORCÉES DU FN
En refusant d'emblée *, toute hypothèse de retrait de liste au second tour, N. S. favorise à l'évidence le lepénisme. Une disparation de la liste de droite eut permis, dimanche prochain, dans un ou deux cas limités, à la "gauche" de faire face au FN avec le soutien d'une partie des électeurs républicains ; mais, par suite du rejet du "Front républicain" , c'est le Front national qui gagne une forte chance (au delà des probabilités qu'il l'emporte en Paca et en Nord pas de Calais/Picardie, ainsi que, peut-être, dans le Grand Est, surtout si le PS se maintient), de dominer tout le quart sud ouest de la France, en emportant le Languedoc/Midi Pyrénées, voire l'Aquitaine.
LES CHANCES RENFORCÉES DES RÉPUBLICAINS
L'électorat frontiste est par ailleurs, l'arbitre du second tour pouvant, dans des régions capitales, donner le succès à la droite sarkozyste. En contrepartie du coup de main que celle-ci donne au FN en maintenant ses candidats là où elle n'est pas en état de gagner (sans qu'il soit besoin du moindre accord explicite), cette droite attend partout des électeurs du FN, si leur liste n'est manifestement pas en état de gagner, qu'une bonne part d'entre eux votent pour elle au second tour. La réserve de voix des sarkozystes est dans les lepénistes; une union des électeurs de toutes les droites partageant les mêmes affects sécuritaires et d'être farouchement contre la gauche, contre l'immigration, contre l'assistanat , pourrait bien faire basculer l'Ile de France et Rhône Alpes/Auvergne - ce qui serait des victoires spectaculaires contre la gauche au pouvoir et planterait un paysage territorial très défavorable à celle-ci pour la présidentielle - tandis que bien d'autres régions sont sous la menace de cette union, comme notamment Normandie et Bourgogne.
Ainsi, l'un des enjeux majeurs du second tour est de savoir jusqu'où peut jouer la porosité des électorats des droites, dont ceux de DLF qui ne s'est guère placé ni par sa campagne contre l'immigration et "l'assistanat", ni par ses jeux de second tour, dans l'héritage du gaullisme social.
Il est clair que dans la perspective ressentie comme imminente des présidentielles (du fait de l'importance cruciale de la primaire à droite ?) sur le fond, comme dans la manœuvre, la droite des "républicains" recherche absolument une alliance objective avec le Front.
LES DROITES, L'EUROPE & LE SOCLE COMMUN
Dans cette équation, leurs positions opposées sur l'Europe perdent peu à peu leur portée. Les postures anti européennes du Front n'auraient pas intérêt à être mis en exergue dans une Région où il accèderait au pouvoir afin que celle-ci ne soit pas pénalisée par les réactions de bien des acteurs économiques ; à l'échelon national sa manière vraisemblable de gérer une sortie de l'Euro tournerait sans doute assez vite à la catastrophe (voir la très intéressante BD de "politique fiction, "la Présidente"). " qui vient de sortir aux éditions des Arènes).
En définitive les domaines d'action d'une coalition de fait entre FN et Républicains seraient surtout les affaires de sécurité ainsi que la chasse aux immigrés passés, présents et menaçants de venir vis à vis desquels les clientèles sont unies dans le même rejet, et au profit de coupes budgétaires frappant "l'assistanat" et autres chapitres sociaux, sans s'étendre aux questions de mœurs et de société (relations intersexuelles, fin de vie, éducation, droit pénal, etc.) qui offrent des terrains de multiples divergences.
Voilà ce que devraient expliquer des medias qui, sans parler du fond, continuent sans discontinuité à mettre en exergue les succès du Front (et du même coup à être l'un des vecteurs de son succès).
LES CLEFS DE LA COLÈRE
Bien entendu ces éléctions témoignent d'un mauvais état de la France que n'a pu améliorer une politique économique et sociale inspirée du si différent modèle allemand ; les modalités d'équilibre de nos voisins ne sont pas, en effet - ce qu'auraient du comprendre nos PR successifs - transposables en France. Voilà la cause fondamentale expliquant la colère de nos concitoyens portée à son comble par des attentats qui ont frappé les Français, ceux-ci pensant évidemment que la discipline budgétaire a nui de longue date aux besoins des forces de renseignements et de sécurité.
Alors même que le visage présidentiel, à chaque allocution, de plus en plus, les traits des sourcils tombant sur une bouche obtuse, offre comme l'image d'un smiley de la résignation soit à l'obligation de mener telle ou telle guerre, soit à l'obligation de compétitivité, il ne faut pas oublier qu'il a lui même forgé les principes européens dans la descendance d'un Delors et dans l'obéissance à un Mitterrand. Sa conviction est manifestement qu'il faut imposer à la France la discipline européenne ordo libérale, et c'est la même conviction que portent et développent "les républicains”.
Quant à la protestation du pays, elle se traduit de manière caricaturale soit en épousant la xénophobie du FN, soit en tendant à sortir des bras socialistes pour aller vers des bras libéraux qui pousseraient, avec un degré encore plus élevé d'exigences, dans le même chemin européen. Nos concitoyens ont été invités à naviguer entre les mirages d'un pays épuré des immigrations et les excès d'une politique de "ruptures" qui veut casser notre modèle social, mais n'ont pas eu droit à la vérité : alors que le nouveau Président avait en 2012 beaucoup de cartes en main pour faire évoluer l'Europe, le péché originel du quinquennat a été d'accepter, tel quel en fait un TSCG qui nous a mis la corde au cou, qui empêche de réfléchir pour mieux traiter de la question de la dette à d'autres solutions que la règle d'or budgétaire et que la soumission à l'euro et à la BCE tels qu'ils sont.
Une militante socialiste du Nord n'écrit-elle pas ; "Les habitants du Nord Pas de Calais se sont exprimés aussi en réponse aux politiques conduites par des élus de gauche qui n'ont pas voulu entendre ce qu'ils avaient à dire."
En effet, tout allant de conserve, les pouvoirs publics n'ont pas su non plus - sous la direction autoritaire d'un homme qui paraît ne jamais beaucoup partager quelque réflexion avec les autres - trouver, au delà des gadgets ne méritant ni excès d'honneurs, ni excès d'indignité des lois Macron - des instruments de croissance et de meilleur emploi : en protégeant un peu mieux notre économie nationale concurrencée au sein même de l'Europe par des dumpings sociaux et agricoles ; en rendant son rôle à l'État autant pour soutenir l'investissement marchand que des équipements publics devant être sélectivement choisis dans l'esprit de précaution écologique et de transition énergétique; pour remplacer des tonnes de normes par des régulations efficaces et compréhensibles par tous plutôt qu'encourager à sortir du salariat pour que beaucoup deviennent des sous traitants vulnérables et mal protégés de firmes se résumant à des fonctions d'assemblage et de commercialisation.
S'impliquer dans de telles transformations eut plus été de la vocation des régions que d'être des champs de batailles idéologiques qu'elles ont devenues; malheureusement la réforme territoriale récente - en voulant conférer un rôle éminent de type européen à de grandes régions - dont les concurrents cherchent aujourd'hui à gagner en notoriété ce qui leur manque en capacité - aura fortement contribué, à défaut d'en faire des organes pertinents d'administration, à les transformer en haut-parleurs de discordes et, parfois demain, peut-être, en instruments de diffusion de contre-valeurs républicaines.
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* à l'opposé de ce que Juppé semblait concevoir, mais ce à quoi il s'est rallié, parce que c'est d'évidence un homme mou et soumis aux establishments : que ce soit celui de l'Europe pour laquelle, contre Seguin, il avait appelé Chirac à soutenir Maëstricht, ou que ce soit celui de l'appareil d'un parti qui le gouverne, parce qu'il en dépend