La réforme territoriale a été bâtie sur l'idée de ventiler les fonctions des départements (appelés à disparaître) entre les Régions et des intercommunalités redessinées de manière, le cas échéant, obligatoire. Par ailleurs ll est prévu que 14 Métropoles regroupent, dans leur périmètre, l'essentiel des compétences locales. Le projet de loi « portant nouvelle organisation territoriale de la République » organise ce changement.
La combinaison de 13 Régions XXL avec la suppression des départements (ou, désormais, de la "moitié d'entre eux", les réputés ruraux devant subsister avec des compétences réduites définies par un statut transitoire ) porte la contradiction majeure de transférer loin du terrain des compétences de proximité qu'assuraient des collectivités départementales ayant été, en réalisant de la péréquation financière, de grandes intercommunalités.
A qui, si les (ou des) départements disparaissent, pourrait être confiée la lourde charge des aides sociales? Les métropoles semblent pouvoir, dans leur périmètre, en devenir responsables, mais la « conférence des villes » a exprimé le rejet de ce « boulet financier"; des intercommunalités estiment ne pouvoir en être preneuses ; l'Association des Régions de France ne l'a pas placée parmi ses souhaits d'attributions; l’Assemblée des Départements de France propose que ceux-ci conservent cette compétence : y compris pour leur partie transformée en métropole, ce qui exprime l'interrogation que l'émergence de ces métropoles n'entraîne la décapitation de ressources de leurs départements supports devenant peaux de chagrin rurales à remembrer avec leurs voisins.
Est-ce que les grandes régions en recevant la gestion d'infrastructures scolaires et routières, de transports, de déchets, etc., ne seront pas pratiquement obligées à des déconcentrations infrarégionales retrouvant des niveaux locaux plus étroits que des départements? Ce que seraient de nouvelles intercommunalités, utiles pour aspirer des fonctions communales, mais ne pouvant recueillir bien des compétences départementales (l'aide sociale précitée, mais aussi divers services publics dont ceux de sécurité et de secours, ainsi que l'appui au développement culturel et touristique, etc.) sans plus de complexité et moins de péréquation qu'aujourd'hui?
La réforme semble avoir été inspirée (en même temps que par une volonté d'affichage d'économies bien improbables) par une idéologie décentralisatrice nourrie de l'illusion que de puissantes collectivités régionales pourraient exercer, comme l'Etat, un pouvoir stratégique, ainsi que par mimétisme envers une imagerie européenne voulant rapprocher des modèles d'unités locales qui ne peuvent se comparer. Dans ce cadre, le dessin de telle ou telle région soulève des passions, mais la vraie question est que l'option de redécoupage choisie a été d'instituer des périmètres régionaux trop grands pour permettre une bonne administration et encore souvent trop petits pour être significatifs aux échelles européenne et mondiale.
N'eût-il fallu, tout au contraire, augmenter le nombre des régions ? Afin que des régions de dimension moyenne puissent chacune absorber les départements la constituant. On obtiendrait ainsi la fusion des compétences actuelles des départements et des régions dans une circonscription "administrante" fondamentale unique : au sein desquelles, dans la plupart des cas, un chef lieu s'imposerait naturellement, qui serait historiquement fondée, ressentie comme une communauté d'appartenance, assez proche de tous, raisonnablement péréquante, rationnelle et économique, permettant la suppression de beaucoup de doublons. Les fusions en une seule collectivité des régions actuelles de moins de trois départements (dont le prototype est l’Alsace) auraient sans doute pu constituer des possibilités consensuelles expérimentales. L'objectif devrait être d'aboutir à un tissu composé de la juxtaposition d'une trentaine de collectivités territoriales de droit commun et d'une grande douzaine de métropoles.
Pour faire aussi place à la demande des forces régionales de contribuer aux capacités concurrentielles françaises, des régions moyennes (remplaçant donc les départements) ne pourraient-elles enfin - dans l'esprit d'excellentes suggestions d'un délégué à l'Aménagement du Territoire présentées autrefois - s'unir au sein de six à huit interrégions de dimension vraiment européenne et mondiale, exerçant des compétences spécialisées en matière de grandes infrastructures et de soutien aux entreprises assurant des emplois ?
* Gérard Belorgey, préfet honoraire, auteur de sciences politiques et longuement maître de conférences à l'IEP de Paris
a publié sur cette question dans le N° 1071-72 de la Revue Politique et Parlementaire, " une réforme territoriale d'inspiration plus idéologique que pratique" ainsi que des contributions (le 14 et du 23 octobre) sur le site de la Revue d'Économie Régionale et d'Urbanisme.