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Billet de blog 27 décembre 2014

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L'enflure des régions tient lieu de réforme territoriale... et fait obstacle à celle qui serait pertinente

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Ayant publié récemment deux billets sur Médiapart , l'un sur la réforme territoriale, l'autre sur le travail du dimanche, j'ai constaté que le second avait suscité quelque 80 réactions assez passionnées  et le premier un seul commentaire, alors que je croyais tout à l'inverse  que le sujet majeur était celui de la réforme territoriale , puisque derrière l'abstraction de ces termes, cette "réforme" porte sur la question bien concrète  de savoir selon quelle organisation et comment les collectivités locales peuvent assurer le meilleur rapport qualité/prix dans des services publics pratiques indispensables rendus aux Français.

 Or, cette question ne me paraît actuellement ressortir que de manière bien déformée dans ce qu'on peut lire à son propos, du moins dans les médias de vulgarisation et d'information politique, d'où l'on retire comme à penser que c'est un chantier par lequel le Président serait un réformateur moderne qui va ainsi positivement marquer son mandat. Las.

 On amuse  la galerie dans des chroniques - qui devraient se lire comme des morceaux d'humour plutôt que de maturité citoyenne - sur la recherche des dénominations qui pourraient bien être celles des nouvelles de nos treize régions (la seule chose grand public de cette affaire ! ) qui ont été imposées au Parlement par  un exécutif pouvant obtenir n'importe quoi de sa majorité depuis qu'il a fait le chantage à sa dissolution : à se tordre l'esprit pour désigner par de belles consonances ces collectivités sorties de quelque jeu de découpe et dont certaines sont aussi bizarres que des moutons à cinq pattes, on a ouvert "la foire aux noms" : la recherché de sigles séduisants ou de plus ou moins fausses bonnes  identités géographiques, historiques ou européennes, voire de l'empire romain ! Voilà qui montre bien la démesure des aspects de "com" dans toute cette démarche : ce qui serait risible ( avant d'être juteux pour quelques agences spécialisées en trouvailles de labels pour relations publiques  ) si ce n'est qu'avec ces jeux cherchant à faire émerger de nouveaux pseudo régionalismes, on flatte des affects  pour masquer que la question n'est pas  de trouver de séduisantes étiquettes mais de savoir si ce qui se monte pourrait être rationnel, économique, satisfaisant.

 J'imagine qu'on ouvrira aussi des concours pour savoir quel bon emploi pourra être donné  à chacun des ensembles de bureaux et hôtels de celles des régions existantes  qui vont sombrer dans ces opérations, à moins qu'on en réutilise pas mal de ces locaux comme dédoublements ou succursales des nouveaux grands chefs lieux ?

 En attendant certains célèbrent  - en termes quasi gaulliens empruntés à l'épisode référendaire de 1969 ( qui mériterait une relecture bien plus intelligente du projet de régionalisation d'alors dont le rejet ne dut rien à la question posée mais à un règlement de compte contre le chef d'Etat du temps) - une révolution courageusement engagée par F. Hollande  contre l'organisation multiséculaire dépassée de la République, si bien que tous ceux qui sont réticents doivent - c'est sous entendu - être regardés comme des tenants du conservatisme; celui-ci serait le premier obstacle à cette évolution de société devant laquelle devraient évidemment s'incliner celles et ceux ( Alsaciens, Languedociens, etc.) dont les réalités régionales ont été méprisées par inspiration européenne et droit divin.

 On voit  un second obstacle à ce  progrès en marche dans la difficile redéfinition consensuelle des compétences. Le canevas de travail est celui proposé par le projet de loi sur la nouvelle organisation  territoriale de la République ( dit "NOTRE ", sigle mnémotechnique ayant le bonheur de bien sonner ).  Ce texte - qui a entre autres objets de déterminer comment on pourra obtenir, fut-ce de manière obligatoire vis à vis des communes,  des périmètres et des compétences d'intercommunalités regroupant un niveau significatif d'habitants - s'ouvre sur la volonté  de préciser les compétences de chaque niveau d'administration locale; il vise à écarter (ce qui serait bien si les regroupements de fonctions avaient lieu à un niveau pertinent)  les redondances et empiètements : il  accroît très substantiellement les missions des régions qui deviendraient non seulement les responsables exclusives des aides économiques et des schémas structurants d'aménagement du territoire et de son  développement durable,  mais aussi - malgré leur dimension XXL les plaçant loin  du terrain et des gens -   les organes de gestion des équipements routiers, scolaires, des questions de transports, de déchets, et d'autres divers services publics.

 Ce projet déposé en juin , mais tel qu'il fut largement rédigé avant que soit affichée en avril la décision soudaine de faire disparaître  les départements  - hypothèse  qui semble maintenant disparue ou reléguée - (je suis désolé si tout cela fait confus et désordre, mais ce n'est pas de mon fait) prévoit ensuite pour ces collectivités une espèce de statut à compétences réduites, centré (cf. article 24) sur les solidarités territoriales et, surtout, sur la tâche de gestion des aides sociales.

 Enfin, le projet de "nouvelle organisation territoriale" prend en compte l'existence des Métropoles, issues de la loi Mapam; celles-ci doivent dans leur périmètre - et c'est effectivement, même si bien des variantes sont concevables, une réorganisation indispensable des grosses aires urbaines - regrouper nombre de compétences locales afin que celles-ci puissent être exercées de manière cohérente et avec une plus satisfaisante péréquation des ressources au regard de besoins communs à leurs habitants; il organise donc la manière dont vont coexister avec les collectivités locales ( les communes, et les départements et les régions)  prévues par la Constitution, les établissements publics que sont ces "métropoles" (sauf Lyon qui est collectivité locale) et qui vont ( non sans que cette disparité de statuts n'engendre sans doute quelques problèmes institutionnels) faire émergence  au sein et à la place du tissu traditionnel des pouvoirs territoriaux.

 Il n'est  rien stipulé d'autre sur l'avenir des départements, la question de la réforme constitutionnelle - qui eut été juridiquement nécessaire, mais qu’ 'il est politiquement impossible  de mener à bien pour obtenir leur disparition - n'étant plus évoquée. On ne peut même pas dire avec certitude si la situation est floue ou si elle est clarifiée.

 La fronde des radicaux socialistes avait obligé à prévoir l'exception de ruralité, selon laquelle nombre de départements devaient perdurer avec un statut simplifié, ce qui s'est étendu à la quasi totalité d'entre eux lors d'une volte du premier ministre en novembre devant l'Assemblée des Départements de France, le tout sans que le texte concernant les départements ne change dans le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale, mais la lecture de ce texte devant toutefois , elle même, changer. La portée dans la durée de la disposition relative au rôle de pivot des solidarités du département dépend de la date à laquelle on se place . Avant les tonitruantes annonces de la suppression des départements,  c'était évidemment un statut durable. Après, ce n'était plus logiquement qu'un  statut transitoire entre 2017 (entrée en vigueur des changements de compétences) et 2020 ( dead line annoncée du système départemental). Depuis lors , on ne sait pas bien puisque les ministres ( Lebranchu, Vallini,..  pourquoi, en comptant celui de l'Intérieur, il y en a-t-il d'ailleurs autant pour s'occuper des mêmes choses !)) assurent au Sénat que "le département est préservé", quoiqu'aucun démenti présidentiel n'est venu nier ce qui était affiché en juin. Peut-on se contenter de la réponse indirecte qu'il y aura  en mars 2015 élections de conseils départementaux pour une durée de 6 ans... Nous voilà au delà de 2020, surtout passé le cap  de la présidentielle de 2017 pour la compétition de laquelle le flou doit certainement être considéré comme une bonne carte par ceux qui croient qu'il faut laisser du temps au temps, et que le clair obscur est plus sûr que la lumière .

 En attendant, l'examen du texte portant "Notre", a lieu au Sénat dans une relation  très courtoise, mais très tendue avec l'exécutif sur la base d'une version du projet de loi ré-écrite par la Haute Assemblée qui compte tenu de tout un  jeu d'amendements et de sous amendements a travaillé à restaurer,  notamment par voie conventionnelle entre collectivités, la faculté de  diverses compétences pour les départements, mais cette jolie dentelle sénatoriale a toutes chances, en procédure accélérée l'année prochaine, d'être détricotée par une Assemblée dont la majorité, convaincue ou non, obéit aux ordres du gouvernement, à moins que la volte de l'exécutif ne se parachève et que ce niveau "intermédiaire" subsiste assorti de  facultés diverses et variées : sans, pour autant,  être ni remembré par la recherche de fusions qui étaient pourtant dans bien des esprits, ni décliné selon les diverses hypothèses qu'avait avancé le Premier ministre  lui-même qui devant la fronde des radicaux socialistes refusant la perspective de suppression des départements  en était venu à annoncer trois scénarios selon les spécificités locales : départements avec métropole, départements avec intercommunalités fortes, départements ruraux..

D'ici les élections des conseils départementaux en mars prochain, on ne voit pas comment de tels  nouveaux formats - d'ailleurs tout à fait intéressants, mais peut-être aussi relégués eux aussi  - pourraient voir le jour.  Serait-ce pour plus tard ? Mais quand deux élections locales départementales et régionale seront intervenues, seront venues installer de nouveaux organes et de tous frais élus  sur de mauvais périmètres, les choses ne seront-elles ossifiées ? Ne sera-t-il encore plus difficile demain que hier de changer ceux-ci ?  Ou comment une opération de com  a détruit la faculté d'une réforme de fond.

 Ce qu'il faut redouter c'est que la toujours bien utile réforme territoriale de la France ne soit enlisée au milieu du gué dans le bourbier des enflures régionales.

 Ce qui fortifie le tropisme en ce sens est qu'un autre obstacle à, la belle réforme présidentielle ( il faut toutefois oublier que ce n'est plus la même ... depuis la volte face de novembre garantissant un avenir aux départements ) serait, comme nous dit René Courtois dans un  éditorial du Monde ( titré de manière bien ambigüe "les cinq plaies de la réforme ") " la réticence de l'Etat, pour ne pas dire son impuissance, à engager une véritable réforme de sa propre organisation et une nouvelle étape de décentralisation, que tous les acteurs locaux appellent de leurs vœux.". Effectivement on n'arrête pas l'appétit de l'esprit régional. Flattées et fortifiées par l'idéologie ayant inspiré la "réforme", les forces multi partisanes de cette énorme alliance des régionalistes en veulent toujours plus : aujourd'hui elles réclament compétence sur le service public de l'emploi. Ce service public de l'emploi, je l'ai bien connu;  j'en ai été, autrefois, le coordonateur et l'utilisateur,   en 1985/87, comme Délégué à l'Emploi,  pour l'articulation des couvertures et budgets chômage, pour les logistiques de recherches d'emplois et pour le suivi des grandes restructurations industrielles de l'époque; j'avais laissé à mes ministres Delebarre, puis Seguin le testament que - pour éviter17 étapes de démarches à un demandeur d'emploi type -  il fallait fusionner le réseau Unedic/Assedic et celui de l'ANPE, ce qui a mis ... 25 ans à se faire avec la création de Pôle Emploi, ce qui n'est pas, on le sait,  une merveille , mais ce qui vaut mieux que le risque que soit  redécoupé l'appareil .... parce que tout est dans tout (l'emploi dans le soutien économique au entreprises et celui-ci allant de pair avec  la formation  professionnelle, matières dans laquelle les Régions jouent déjà des rôles à l'extension desquels elles tiennent au nom de leur efficacité et pour la notoriété de leurs élus ). La seule question à se poser devrait être : est-ce que cela pourrait créer des emplois ou est ce qu'il n'y a rien à vraiment en attendre? Les régions pourraient-elles apporter un "plus",  ou leur intervention, au prix de réorganisations diverses, ne serait-elle plus cosmétique qu'utile ?  D'ailleurs (dernière plaie chronique de l'organisation du territoire),   les pauvres de toute façon  - austérité oblige - ne pourraient recevoir de nouvelles ressources financières que par transfert amputant les moyens d'un autre acteur . Faut-il vraiment déshabiller "Paul" pour habiller Pierre ?

 Toute cette grande réforme économique et structurelle, partie de la bonne idée de supprimer un échelon du mille feuille français, mais parce qu'elle a été menée dans l'improvisation et à l'aune d'une sommaire idéologie décentralisatrice et de l'intox de l'imagerie européenne , semble ainsi devoir aboutir - quasiment à l'inverse des allègements opportuns et du besoin d'une stratégie française unitaire -  surtout à la dilatation du volume des attribution de moins nombreuses et, donc, de plus ambitieuses régions. Le résultat est aussi de conserver  le niveau de proximité (au premier chef pour les aides sociales ) de  certaines fonctions départementales (ce qui est bien), mais  restant enfermées dans les souvent trop étroits (ce qui est mauvais)  actuels  périmètres départementaux. Il faudrait bien, pourtant, songer ( comme le Premier ministre semble d'ailleurs y avoir pensé)  à faire bouger ceux-ci: l'émergence des métropoles va décapiter les départements concernés de leur source majeure de ressources et cela devrait appeler à des remembrements de leurs peaux de chagrin avec des départements  voisins ;  pour bien d'autres départements, si les intercommunalités viennent à réussir, la question de leur dimension serait aussi renouvelée : on pourrait concevoir, même pour les fonctions de base d'assurer les solidarités territoriales et sociales, que cela s'effectue  dans des périmètres très élargis correspondant chacun à deux ou trois départements formant un espace  pouvant être aussi circonscription d'Agences qui uniraient en matière d'aide sociale les concours des collectivités locales, de l'Etat et des caisses et organismes sociaux intéressés.

 Derrière le rideau de fumée de la réforme régionale c'est, dès lors que peu ou prou les départements subsistent,  la réduction significative de leur  nombre  qui reste à faire  : pour en venir alors -  en faisant exercer à ce niveau les fonctions de proximité et de péréquation -  à l'équivalent de ces moyennes "régions administrantes" où j'ai toujours vu une dimension humaine, logique et pratique de gestion  unifiée des affaires territoriales courantes , tout en admettant , en superposition sur ce maillage,  l'intérêt de 6 à 8 vastes grands établissements publics constituant des regroupements inter collectivités aux attributions strictement limitées , dédiés aux seules actions de gros équipement structurants,  de conception des schémas d'aménagement du territoire et de soutien aux entreprises créant des activités

 La suite des évolutions de cette affaire pourrait-elle un jour conduire à des coups d'Etat du bon sens ? Ou doit on se résigner à constater l'impossibilité de toute réforme pertinente  dès lors que l'erreur  qui s'y oppose aujourd'hui est le découpage régional qui vient d'être imposé et que le projecteur soit centré sur celui-ci ?

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