Valls n’en finit pas d’en rajouter pour liquider la gauche au plus profond de ses luttes, de son histoire, de sa mémoire, de ses revendications. Le voilà, qui, le 4 novembre, aux 50 ans de la CFDT, s’est lancé d’un mea culpa que personne ne lui demandait : après avoir salué le « courage » et le « pragmatisme » de la CFDT, « qui propose et qui noue des compromis », Manuel Valls a osé affirmer que la centrale avait eu raison de soutenir, seule contre tous, la contre-réforme Chirac-Fillon des retraites de 2003. Et que le PS avait eu tort : »Vous aviez raison de soutenir cette réforme et nous aurions dû, nous, députés socialistes », être avec vous », a-t-il concédé sans ambages. « Je le sais, ce ne fut pas facile. Ca vous a coûté cher. Des adhérents ont claqué la porte par dizaines de milliers. Mais vous aviez raison. Et nous qui étions dans l’opposition, nous aurions dû être à vos côtés », a insisté Manuel Valls. Un retournement qui prend tout son sel quand on se sait qu’en mai 2003, le congrès du parti socialiste, réuni à Dijon, avait fait un triomphe à Bernard Thibault, chef de file de la CGT, fervent pourfendeur de la réforme Fillon, et qu’il avait conspué la CFDT.
Ce qui était naturel. Car cette année-là nous étions en plein combat, 140 jours de lutte, 11 journées nationales de grève enseignante, 9 journées interprofessionnelles, et, rompant, lâchement, en douce, le front syndical uni, le dirigeant de l’époque, Cherèque, dans le dos de son propre syndicat, était allé signé, sordidement, sa reddition dans le bureau de Jean-Pierre Raffarin. Cette trahison brutale avait été un choc terrible dans les rangs syndicaux, à commencer par ceux de la CFDT. Cette signature, avait cassé le movement en cours, cela avait fait perdre plus de 100 000 adhérents à la CFDT, des fédérations, des unions départementales et régionales entiéres, près de 6 à 7 % des voix aux élections professionnelles et mis la CFDT 10 points derrière la CGT aux élections prud’hommes suivantes. La droite UMP avait payé cher aussi, puisque la gauche avait gagné dans la foulée 20 régions sur 22 aux élections neuf mois après.
Manuel Valls s’en prend ainsi aussi à Francois Hollande car celui-ci au congrès de Dijon, en cloture avait fait adopter une motion qui défendait la “retraite à 60 ans à taux plein” et s’était écrié : « La France est confrontée à une offensive libérale de grande envergure. Ce qui est en cause, en définitive, c’est notre modèle social lui-même. Au nom de la démographie, il s’agit de remettre en cause la retraite à 60 ans, cette grande réforme de la gauche, de François Mitterrand, de Pierre Mauroy que je salue ici, cette réforme que nous devons défendre, qu’ils n’ont jamais acceptée et qui est aujourd’hui en péril ». La motion avait été votée à l’unanimité du congrès, personne n’avait entendu Valls à cette époque : en s’attaquant au vote de son parti, Valls se contredit donc lui-même mais n’hésite pas à surprendre les militants CFDT qui s’étaient rebellés ensuite contre Cherèque, et ont imposé que plus jamais leur direction ne leur impose pareille trahison. Au point que la direction CFDT avait fait autocritique, et qu’elle avait juré de ne plus recommencer : même dans son congrès de juin 2010 les militants qui se souvenaient encore de cette blessure, avaient contraints, par de nombreux votes, leurs dirigeants à rester jusqu’au bout dans la bataille unitaire de 2010 pour sauver la retraite à 60 ans pour tous. Cette année-là, en 2010, plus de 8 millions de manifestants avaient répondu à l’appel des 8 syndicats unis dont la CFDT. Ces 8 millions de manifestants n’ont pas été entendus par Sarkozy, mais la victoire de la gauche en 2012 est un effet différé de leur mobilisation.
Manuel Valls, par ricochet, atteint ici les racines des victoires du PS de 2003 à 2006, puis celles du PS de 2008 à 2012. Il se situe plus à droite que la CFDT qui avait fait autocritique, et avait manifesté en 2010 pour faire oublier 2003. Il s’attaque à la mémoire, à l’histoire du coeur de la gauche en défense des retraites depuis au moins 20 ans : gageons que s’il avait eu l’occasion il serait aussi revenue sur la plan Juppé et la grande gréve générale de novembre-décembre 1995.
Cela classe le personnage : quoi d’étonnant à ce qu’il veuille enlever le nom de socialiste à “Parti socialiste”. Quoi d’étonnant à ce qu’il urge pour lui, d’accélèrer le cours de son gouvernement vers la droite ? Ce qui commence a étonner c’est que pour cela, il faut aussi qu’il gomme ce que fit Francois Hollande, et bientot il dira ce que fut à ses yeux l’erreur du “discours du Bourget”. Il a commencé spectaculairement en ce sens quand il avait dénoncé le “projet 2011” adopté par le PS. Il parcourt le chemin de la grande révision à marche forcée.
Tout socialiste a intérêt à ce qu’il chute dans cette course infernale à la liquidation de la gauche et du parti.