silence et dissidence ! de l'air à inter !
Bonsoir,
Quand François Ruffin m’a dit « tu viens, même en retard, tu parles le dernier, tu parles de France Inter et de la séquence dans laquelle nous sommes ».
Parler de France Inter je sais, d’ailleurs des pistes ont été données tout à l’heure. Moi mon rapport avec France Inter c’est Dominique Seux. À 7h le matin, je suis en colère devant mon bol de café au lait, dès qu’il commence à parler. Le jour où ma petite fille est née, je l’ai appris à 7h du matin, on m’a dit « ça s’est bien passé » j’étais content, je tourne le bouton et j’entends Seux qui dit « chaque enfant qui naît, naît avec 25 000 euros de dette sur la tête »...
C’est la propagande que nous avons d’ordinaire et quand on fait des tweets pour alerter Patrick Cohen il les entend pas, un Premier ministre est capable de les entendre quand je fais un tweet mais pas Patrick Cohen. Ce qui signifie qu’ils sont effectivement durs de l’oreille. Et quand ils parlent aussi – même encore ce soir juste avant de venir, parce que j’avais plusieurs réunions – il y avait une fille qui disait « mais oui mais regardez la manifestation d’hier, ils ont applaudi la police, c’est la différence avec Mai 68 ». Mais en Mai 68 la police nous cognait dessus, tandis que là elle a eu un rôle de service public et républicain pour protéger les gens et c’est ça qu’est la différence.
Et là il faut aborder les choses comme elles me semblent, vous m’auriez dit..., j’ai eu toutes les craintes comme vous tous et mon esprit s’est aussi embrouillé depuis le début de la semaine dernière. C’était tous nos copains depuis des années, on les a vu dessiner dans nos journaux dans les années 70, dans les années 80, on les a vus dans toutes les réunions, moi je serais resté même à Charlie Hebdo si Val n’avait pas exclu Siné, donc j’ai suivi et je suis avec Siné depuis 2008 pour ce fait. La dernière fois que j’ai vu Charb il m’a dit « Allez, y a prescription » j’ai dit « oui mais va le dire à Bob ! ». Aujourd’hui ils ont mis deux flics autour de Bob, qui ne peut pas supporter d’être encadré de deux policiers. Ils ont mis un car à chaque bout de la rue du local de Siné mensuel et toute l’équipe de Siné mensuel ne peut pas non plus supporter... ni Faujour, ni Jiho ni les autres. Ils ont proposé d’ailleurs d’aider Charlie à continuer, la réponse n’est pas faite mais peut-être y a des moments où des unifications pourraient s’opérer. Mais en l’occurrence, la question est – j’ai entendu ce qui m’a précédé – alors je vais aussi… vous m’auriez dit que la manifestation allait se dérouler comme hier elle s’est déroulée, je ne vous aurais pas cru, parce qu’il y avait tellement de gens qui disaient « Oh bah ça va hurler dans tous les sens, il va y en avoir contre les musulmans », y a rien eu contre les musulmans sur 4 millions de personnes, « il va y en avoir pour la peine de mort des conneries », y a pas eu une seule fois, « il va y en avoir pour l’unité nationale », vous avez regardé, sur plus de 250 manifs, je sais pas combien y en a eu, y a pas une seule banderole qui dit « unité nationale », pas une seule. Vous avez pas eu une seule banderole pour appeler à la vengeance, à la guerre, y avait même très rarement le mot « terrorisme ».
Les manifs d’hier, le symbole c’était un crayon ! C’était un crayon partout ! Les gens demandaient à ce qu’il y ait de la culture, de l’éducation, de la fraternité. Ils sont tous descendus pour ça, dans une atmosphère très particulière de fraternité. Y avait pas de haine, y avait pas de vengeance, c’était pas aux États-Unis où après les deux tours ils voulaient des flingues, c’était pas aux États-Unis où il y avait un Patriot Act. Les 3-4 millions de personnes qui sont descendues dans la rue hier sont descendues pour une cause positive, progressive, c’est à marquer dans les grandes dates de l’Histoire, depuis Mai 68. Y a eu des grands mouvements sociaux et y a parfois des grands mouvements démocratiques, sans l’État ! Et c’est pas ce qu’ils voulaient dans les médias, à France Inter ou ailleurs, parce qu’hier y avait deux mouvements : y avait un mouvement où on voyait tout se mettre en place, l’unité nationale, le renforcement des polices, l’inquisition, l’autorité, l’Internet à contrôler, les jeunes à contrôler, ça ça sortait de tous les dirigeants, de droite et du sommet de l’appareil d’État, de Vals, qui appelait à manifester pour ça !
Ça c’était le mouvement, ensuite ils se sont tous agrégés, d’ailleurs quelqu’un a dû surement le dire avant moi, la coupure dans les médias hier était tellement spectaculaire entre les 300 qu’il y avait devant et les millions qu’il y avait derrière, que les premiers paraissaient tout pâles et tout isolés, et la foule paraissait grande et belle à côté, et la séparation était totale, et ces deux mouvements s’opposaient, les gens qui voulaient manifester ne correspondaient pas à ce que la direction voulait qu’ils fassent, ils voulaient prendre en contrôle la manifestation, tous les médias étaient aux ordres pour prendre en contrôle la manifestation, mais la manifestation n’est pas rentrée dans ce cadre, nulle part ! Regardez les inventions qu’il y a eu dans toutes les villes, la créativité, y a des dessins dans Internet… mais c’est génération dessin qui est née hier ! Et ce n’était pas évident que ces millions de personnes disent « je suis Charlie », même ceux qui ne le connaissaient pas et qui vont le découvrir, C’est positif pour nous !
C’est un lien avec Mai 68, évidemment, comme Siné mensuel, comme toute cette culture, ce qui s’est passé… le droit au blasphème, j’ai entendu maintenant des orateurs, et même sur France Inter, y en avait une qui disait « quand même le droit au blasphème ça se défend, y a encore le problème du Concordat en Alsace-Lorraine, mais le droit au blasphème quand même ça a été une conquête de la Révolution française depuis le chevalier de la Barre, Voltaire », on parle du droit au blasphème et on dit qu’il ne doit plus être interdit, c’est une question importante cette question là ! Alors on disait qu’à Charlie Hebdo c’est des excès, ils font des trucs absolument abominables, scatologiques, provocateurs, sarcastiques, exagérés, excessifs, tous les gens disent « Non non ! Je fais des dessins comme eux ! ». Regardez les 200, 300, 400, 500 dessins qui sont sortis sur Internet, ils reprennent, y a même des enfants évidemment qui s’y mettent.
Faut le prendre dans le sens positif ! Si on se met à désespérer sur la manifestation d’hier, on désespère de 4 millions de personnes qui sont dans notre camp ! Je veux pas entendre parler de petite bourgeoisie ! C’est notre camp ! Et il faut savoir, quand il y a un affrontement de ce type, différencier ceux qui veulent le récupérer et nous qui ne voulons pas ! C’est pas la première fois que ça arrive, j’ai un peu d’expérience dans la discussion, mais vous vous souvenez des attentats chez Tati ? 1986 ? Y a eu la même discussion, y a avait des gens qui disaient « on y va pas », pourtant les attentats ça visait… ceux qui faisait leur courses chez Tati, c’étaient les nôtres évidemment, et alors y avait une discussion pour savoir on y va pas parce que à l’époque c’était le RPR y va, je me rappelle exactement la discussion « jamais, c’est une récupération si on y va parce que le RPR y va ». Qu’est ce qui s’est passé à l’époque pour ceux qui s’en souviennent, en 1986 ? Y a eu 100 à 200 000 personnes contre les poseurs de bombe et en solidarité et y a eu 1000 UMP, RPR de l’époque, qui sont partis la queue basse, à toute vitesse devant le rapport de force qu’il y avait. C’est toujours comme ça ! L’unité nationale ça se décrète pas ! Faut embrigader les têtes pour y parvenir.
Elles ne sont pas embrigadées, en ce moment ! Ça n’a pas marché, hier ! Ce qui marche, c’est le mouvement qui peut sortir de ça, alors vous me direz, demain, qu’est-ce qui va se passer ? Et après qu’est-ce qu’il y a comme suite ? Mais demain peut-être y aura rien, comme souvent après des très grands mouvements comme ça, mais les très grands mouvements laissent toujours des traces dans les consciences, et c’est les traces dans les consciences qui ensuite fermentent et trouvent leur chemin sur d’autres terrains, le fait qu’on veuille plus d’argent pour l’éducation, le fait qu’on veuille plus d’argent pour la culture, le fait qu’on veuille plus de liberté, le droit au blasphème, les libertés d’expression, c’est une idée très très forte !
Ce matin on m’a dit, « reparle, Gérard, de la loi Macron », on m’a dit même dans la réunion où j’étais on m’a dit, « ça doit pas être facile à faire, le lien », mais le lien est facile à faire, la loi Macron s’exerce contre le même public qui manifestait hier, c’est un public où il va être question de licencier plus facilement, où il va être question de le faire travailler le dimanche, où il va être question de le faire travailler de nuit, et quand les gens sont en mouvement, ils sont plus réceptifs aux débats des idées que quand ils ne sont pas en mouvement. Et c’est de ça dont nous allons essayer de faire le lien dans les jours qui viennent, c’est ça qu’il faut transformer.
François me dit qu’il faut que je termine, mais je voulais juste dire, pour le lien avec les médias, parce qu’au début c’est pour ça que tu m’avais invité, parler du droit du travail dans les médias c’est éprouvant. Vous savez les gens ils vous font de l’économie tous les matins et quand vous dites « Parlez un peu de droit du travail une minute, deux minutes de droit du travail par jour, juste un petit billet », ils vous disent « C’est trop compliqué, ça emmerde les gens, ils comprennent pas ». Alors que c’est la vie intime de 18 millions de salariés du privé, essayer d’expliquer le droit du travail dans une radio, dans une télé c’est un cauchemar en face de journalistes qui ne le savent pas, ces abrutis qui vous montrent un code de 3990 pages et qui vous disent « C’est trop compliqué… », alors qu’il fait 675 pages, de lois, parce que les 3990 pages c’est 3300 pages de commentaires, mais ils ne l’ont jamais ouvert !
Le code du travail c’est comme si vous aviez édité Françoise Sagan amandée par Marcel Proust si vous voulez. À l’origine, c’est 675 pages, on peut l’aborder, le lire, le comprendre, c’est pas compliqué, c’est facile, c’est la naissance du contrat, la gestion du contrat, la rupture du contrat, la durée du travail, c’est la vie de millions de gens et ça détermine chaque moment de leur vie. Dans les médias, c’est dur, alors si on se bat pour qu’à France Inter, si dans la pétition vous dites : deux minutes de droit du travail par jour, juste un billet, après Dominique Seux, pour respecter le pluralisme !