L’infini rabotage des disciplines et des diplômes
Jean-Michel Blanquer a par deux fois réformé le lycée professionnel. En 2009, alors qu’il est directeur de l’enseignement scolaire (DGESCO), il pilote la réforme qui prévoit d’égaliser le temps de formation entre le bac professionnel et le bac général. Jusqu’alors, les élèves de lycée professionnel passaient deux examens : le Brevet d’Etudes Professionnelles (BEP) et le baccalauréat professionnel. Chaque diplôme se préparait en 2 ans soit 4 années au total. Lorsque Jean-Michel Blanquer décide de compresser en 3 ans l’ensemble de la voie professionnelle, il promet de maintenir un volume horaire à peu près équivalent. Les deux premières conséquences sont des emplois du temps très chargés et des contenus de référentiels et de programmes amincis. En 2019, Jean-Michel Blanquer pointe ces deux éléments et annonce une réforme plus profonde, une « transformation de la voie professionnelle » (TVP). Cette fois, il supprime de nombreuses heures d’enseignements généraux et professionnels et continue de vider les programmes d’une grande partie de leurs contenus. Les syndicats d’enseignants, d’inspecteurs, de lycéens, d’étudiants mais aussi les parents d’élèves sont nombreux à protester notamment lors des Etats Généraux de la voie professionnelle organisés au Sénat en avril 2019 par un collectif d’enseignants. Rien n’y fait, la réforme a lieu. On constate une petite avancée : le ministre annonce la mise en place d’ateliers de philosophie dans les établissements. Mais comme souvent dans les annonces, aucun moyen ne sera mis en place pour les rendre concrets si bien que très peu d’élèves peuvent en profiter aujourd’hui.
Le travail manuel est aussi un travail intellectuel
Exiger une augmentation du temps en entreprise revient à dire que les élèves n’apprennent pas suffisamment en lycée professionnel. Cela sous-entend également que les compétences professionnelles prévalent sur les compétences générales pour l’insertion professionnelle. Or, dans le cadre d’une réforme sincère et ambitieuse du lycée professionnel, il faudrait peut-être commencer par faire converger la formation générale dans tous les lycées, mettre en place un tronc commun à toutes les filières. Le système éducatif repose en effet sur la distinction des métiers manuels et des métiers intellectuels alors qu’il n’y a pas deux types de métiers : certains où l’on pense et d’autres où l’on ne pense pas. De la même manière qu’une garagiste réfléchit lorsqu’elle recherche les origines d’une panne d’un véhicule, un auxiliaire de puériculture a besoin de toutes les ressources intellectuelles pour mettre en œuvre des soins et des pédagogies adaptés aux plus jeunes d’entre nous. Et les enjeux sont cruciaux, tant pour la sécurité des voyageurs que pour l'avenir des petits marmots. On pourrait développer longtemps sur l’importance pour une entreprise d’avoir des salarié.es qui s’adaptent et font évoluer leurs pratiques. Rappelons juste ce qu’affirmait le directeur de l’école Estienne en 1910 rapporté par Guy Brucy : « Si bon que soit et que puisse devenir l’apprentissage à l’atelier réglementé, modifié et amendé, [...] il ne prévaudra jamais contre l’apprentissage raisonné, méthodique et complet qui est fait à l’école professionnelle et qui, par la force des choses et des conditions nouvelles de l’industrie, sera vraisemblablement le seul véritable enseignement du métier dans l’avenir ». Une formation initiale, complète et méthodique, c’est ce que la loi Astier prévoit dès 1919 afin de permettre aux travailleuses et aux travailleurs de préparer un diplôme certifiant les aptitudes professionnelles (CAP) dans des établissements publics. 100 ans que l’enseignement professionnel est adossé à un enseignement général vigoureux. 100 ans qu'on étudie des œuvres littéraires y compris quand on apprend à tailler des pierres. Comme le rappelle Anissa Belhadjin et Maryse Lopez, la lecture de Jules Romains ou d‘Emile Zola était chose courante dans ces établissements au milieu du siècle dernier. Et en 1985, la création du baccalauréat professionnel est venue renforcer cette dimension. 100 ans donc que le débat est tranché en France. Même si tout n'est pas parfait.

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Une année de plus ?
Daniel Bloch, recteur de Grenoble en 1985 et à l’origine de la création du bac pro, propose dans une tribune récente de revenir à un bac pro en 4 ans. Il propose que la formation puisse inclure deux semestres, rémunérés par l’entreprise. Ce retour à 4 ans d’études permettrait donc un allongement des enseignements généraux et professionnels et serait financé par les entreprises qui bénéficieraient de cette main d’œuvre mieux formée. Selon Daniel Bloch, cette proposition aurait l’avantage de mieux préparer à l’insertion professionnelle mais aussi à la poursuite d’études.
Loin d’affirmer que cette proposition est parfaite, suffisante, révolutionnaire, elle mérite néanmoins d’être étudiée. Les pistes pour réformer le bac professionnel ne manquent pas. Seront-elles discutées dans la concertation qui s’ouvre avec la ministre de l’enseignement et de la formation professionnels ? On ne demande que cela.