Cela s'est passé juste avant les vacances, je présentais le passe culture dans les classes, un élève m'interpelle et me dit vouloir le "revendre" quand il aura 18 ans. Il reçoit immédiatement le soutien de tous ses copains de classe. Son idée, c'est de récupérer 150 euros à dépenser librement plutôt que d'avoir 300 euros à dépenser dans un secteur contraint. J'ai bien sûr argumenté et présenté tous les bénéfices qu'il pourrait avoir à utiliser cette somme mais il n'en démordait pas, la culture, il n'a pas le temps, ce n'est pas pour lui. J'ai quand même réussi à semer le doute en évoquant la possibilité d'assister à des concerts. Cependant, cet échange fut très révélateur. D'où cette question volontairement provocatrice : les élèves de lycées professionnels ont-ils droit à la culture? Si dans cet article, il sera en réalité plutôt question d'éducation artistique et culturelle et non pas seulement de culture, convenons toutefois qu'il parait paradoxal de donner aux élèves la possibilité de consommer des biens culturels sans que cela soit accompagné d'une éducation.

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Une injustice à réparer
Le parcours d'éducation artistique et culturelle (PEAC) repose sur trois piliers : la connaissance, la pratique, la rencontre. Au lycée, sa mise en œuvre prend surtout la forme d'enseignement optionnel (3 heures par semaine) mais le problème, c'est que les élèves de lycées professionnels sont les seuls élèves du secondaire à ne pas avoir le droit de suivre cet enseignement. Pas de théâtre, pas danse, pas de musique, pas de cinéma, encore moins d’arts plastiques ou d’histoire de l’art. Qui peut justifier une telle injustice? Il n'y a d'ailleurs aucun argument sur ce sujet mais juste un état de fait : que ce soit sur son site internet ou dans sa brochure de présentation du PEAC, le ministère de l’Éducation nationale exclu tout simplement les lycées professionnels de cette ambition culturelle, se contentant de "cibler des actions". Comment permettre aux 600000 élèves de la voie professionnelle de bénéficier d'une éducation culturelle avec des "actions ciblées"? Les nombreux ateliers mis en place dans les établissements professionnels révèlent pourtant qu’il y a à la fois une ambition des enseignants de proposer un enseignement différent et plus approfondi à leurs élèves mais aussi un investissement des élèves dans la vie de leur établissement. Mais il ne faut pas confondre atelier artistique et enseignement optionnel. L'atelier artistique est souvent mis en place sur l'initiative d'un ou d'une enseignante, financé de manière ponctuelle par le rectorat ou l'établissement, ne dure souvent qu'une heure par semaine et il n'est pas renouvelé automatiquement tous les ans. De son côté, l'enseignement optionnel est pris en compte dans la dotation horaire de manière pérenne, il est adossé à une structure culturelle et reçoit régulièrement des intervenants, il est évalué puis comptabilisé pour l’obtention du bac, il valorise aussi le dossier dans le parcours scolaire des élèves. C’est bien ce modèle qu’il faut développer dans les lycées professionnels.
Pour des options attractives
Pour que l’enseignement optionnel soit intéressant, attractif, il faudrait qu’il repose au moins sur les critères suivants :
- des programmes élaborés au niveau national,
- des partenaires artistiques et culturels reconnus,
- une évaluation comptabilisée dans le diplôme avec un coefficient égal à celui de la voie générale.
Des impacts à prévoir dans les établissements
Si un jour, on arrivait à convaincre les pouvoirs publics de mettre en place une option dans les lycées professionnels, les établissements devront permettre à tous les élèves d’un même niveau d’y accéder . Or libérer un créneau dans l’emploi du temps des élèves s’avère compliqué actuellement dans la mesure où les contraintes de locaux et de personnels priment pour constituer les emplois du temps des élèves. Il faut donc que la mise en œuvre soit encouragée, soutenue sur le plan national. D’autre part, les enseignants qui dispensent l’option devraient avoir la possibilité de se former dans cette discipline au sein de l’académie où ils exercent et cela n’est pas toujours évident. Enfin, la DRAC qui finance les partenaires artistiques devra augmenter son enveloppe pour que ces partenariats puissent se développer (2200 euros par option pour l’ensemble du cycle). La mise en place d’options demande donc des moyens supplémentaires, cela ne peut pas être un gadget théorique dont seulement un groupe d’élève limité pourra bénéficier.
Un point fort dans le parcours des élèves
Si l'enseignement optionnel devait être mis en place, une question importante resterait en suspens notamment dans les lycées polyvalents : faut-il des options communes à toutes les filières des lycées ? Certains prétendront qu’il serait plus raisonnable d’élaborer des options spécifiques pour la voie professionnelle mais le bénéfice d’un mélange des publics dans les lycées polyvalents serait incommensurable. L’école de la République aurait tout à gagner à ce que les lycéennes et les lycéens issus de milieux sociaux différents puissent partager des enjeux, des finalités, des connaissances communes. Il est souvent entendu qu'il est temps de "valoriser la voie professionnelle" et bien cette égalité devant une partie des programmes contribuerait beaucoup plus à sa valorisation que l’augmentation du temps passé en entreprise comme cela est prévu pour l’instant.
La mise en place d'option pourrait aussi avoir des conséquences sur les choix d'orientation des élèves de la voie professionnelle. Un élève qui suit une option pourrait ainsi, par exemple, être autorisé à effectuer au moins une période en entreprise dans le secteur en rapport avec l’option. Cela permettrait à l’élève de pouvoir créer ses propres passerelles entre les filières et de ne pas se sentir cloisonner dès la troisième.
Pour conclure, la mise en place d’enseignements optionnels est un élément central dans l'éducation artistique et culturel en lycée général, son élargissement à la voie professionnelle paraît une nécessité. Leur installation dans le paysage pédagogique devrait se faire avec concertation et volonté si l’on veut que cela soit utile.