Germain Filoche (avatar)

Germain Filoche

Professeur de lettres-histoire et théâtre en lycée professionnel

Abonné·e de Mediapart

13 Billets

1 Éditions

Billet de blog 3 mai 2023

Germain Filoche (avatar)

Germain Filoche

Professeur de lettres-histoire et théâtre en lycée professionnel

Abonné·e de Mediapart

La déscolarisation programmée de l’Education nationale

Le lycée professionnel fera-t-il encore partie de l’Education nationale en 2024 ? Au vu des contours de la réforme annoncée par l’exécutif ce jeudi, rien n’est moins sûr. Le glissement déjà opéré des lycées professionnels sous l’autorité du ministère du Travail est extrêmement dangereux à plus d’un titre. Et cela représente une menace pour l’ensemble de l’Education nationale.

Germain Filoche (avatar)

Germain Filoche

Professeur de lettres-histoire et théâtre en lycée professionnel

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Peut-on parler de déscolarisation de l’Institution aussi bien qu’un élève décrocheur qui se couperait des ambitions éducatives ? A bien des égards, cette personnification s'avère pertinente. 

La mauvaise cible

Le premier danger de cette réforme consiste en ce qu’elle ne répond pas aux aspirations pressantes des jeunes. Alors que les élèves de lycées professionnels sont majoritairement issus des milieux populaires, on pourrait logiquement juger nécessaire la lutte contre la précarité, la ségrégation, la reproduction sociale. On pourrait réfléchir à des leviers pour permettre à chacun de choisir véritablement son avenir professionnel et de ne pas être enfermé dans les méandres d’une orientation subie. On pourrait aussi, dans un monde où ces valeurs se font rare, renforcer le sentiment de citoyenneté, de démocratie, de partage et de solidarité, en faisant vivre - enfin - la devise républicaine. On pourrait, si l’on voulait réduire les inégalités, rapprocher par un tronc commun les filières des lycées généraux, technologiques et professionnels. On pourrait permettre à tous les élèves, pas seulement de manière théorique, d’accéder à un parcours culturel et à des options qui renforcent le parcours scolaire. On pourrait aussi lutter contre le décrochage scolaire en renforçant ce qui marche déjà comme les écoles de seconde chance et les cours en petits groupes par exemple.

Des programmes en peau de chagrin

Manifestement, Emmanuel Macron n’a pas choisi cette voie. Alors que les consultations ont, en janvier, largement rejeté sa proposition d’augmenter les stages pendant le cursus, il décide de maintenir cette proposition. Les élèves de Terminale verront ainsi probablement doubler leur période de stage, passant de 6 à 12 semaines, réduisant d’autant la période d’enseignement. Les programmes scolaires qui avaient déjà été largement rabotés par Jean-Michel Blanquer vont-ils finir par s’écrire en quelques lignes sur un coin de table ? A quoi vont ressembler les sujets d’examen et les copies des candidats au baccalauréat ? Et surtout, comment raccrocher les élèves à un enseignement lorsque les objectifs, les attendus, les connaissances exigées sont aussi pauvres ?

Illustration 1
L'écolier © Albert Gleizes, 1924

Un leurre dangereux

L’annonce à venir du recours à des professionnels extérieurs est par ailleurs un leurre autant qu’un risque majeur. Les enseignants n’ont en effet pas attendu le coup de sifflet pour faire intervenir des professionnels dans les établissements, c’est une pratique courante même si elle reste marginale en terme de temps passé devant les élèves. Cette marginalité est d’ailleurs structurelle car il est illusoire de croire que les entreprises ont envie de dégager du budget, de l’énergie, du temps pour intervenir dans les milliers de classes des lycées professionnels sur le long terme. Et c’est tant mieux car rappelons que les professeurs et les intervenants n’ont pas le même rôle, ni le même statut. Les professeurs enseignent, accompagnent, soutiennent, évaluent, conseillent, ils ont une mission pédagogique et émancipatrice qu’il faut renforcer et non remplacer. L’intervention de professionnels extérieurs doit rester ponctuel, encadré et limité.

Une vision court-termiste qui nuit aux élèves

Un autre signe de la déscolarisation de l’Education nationale sera le renforcement du poids des régions dans le contenu des formations proposées par les lycées professionnels. Le bon sens peut concéder cette idée de lier enseignement professionnel et besoin du marché local. Cependant, les risques de ce rapprochement sont nombreux et pas seulement parce qu’il contribue à disqualifier l’action de l’Education nationale pour un tiers des lycéens. La mobilité des jeunes, la poursuite d’études, la progression des carrières ne sont possible qu’avec un enseignement initial de qualité et reconnu sur tout le territoire. Une adéquation immédiate entre les entreprises et les lycées professionnels nuirait à ces ambitions sur le long terme.

La recherche d'une force de travail immédiate

Si les lycées professionnels sortent progressivement du giron de l’Education nationale, nous assisterons alors à une forme de décrochage de l’Institution et à une confusion des missions. Contrairement à ce que le gouvernement prétend, le débat n’est pas de savoir si l’Education nationale doit ou non répondre aux besoins des entreprises car de fait, dans la société actuelle, les entreprises profitent déjà largement du niveau de formation des citoyens pour accroitre ou soutenir leur productivité. En revanche, la vision court-termiste d’Emmanuel Macron couplée à une vision adéquationniste confirme la volonté de réduire les élèves à leur simple force de travail. La gratification de 200 euros par mois va en ce sens, surtout si celle-ci remplace les bourses existantes. Les jeunes perdront progressivement leur statut de lycéen pour acquérir celui de travailleur en formation. Or cela nuit aux principes mêmes de l'Ecole. Rappelons que pour Claude Thélot, sociologue et haut fonctionnaire, en plus de la transmission des savoirs, l'Ecole doit "préparer à l’exercice de la citoyenneté, au vivre ensemble, à la vie professionnelle, tout en visant l’égalité". En ne retenant qu'un seul de ces objectifs, Emmanuel Macron et son gouvernement sacrifient tous les autres.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.