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Billet de blog 16 août 2016

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Silence, discrétion et invisibilité

Jean-Pierre Chevènement et «ce qui se dit tout bas». Silence, discrétion et invisibilité. C’est une injonction que subissent déjà bon nombre des personnes dans leur environnement professionnel mais pas seulement.

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Silence, discrétion et invisibilité. C’est une injonction que subissent déjà bon nombre des personnes dans leur environnement professionnel mais pas seulement. En faisant les courses dans leur quotidien. En se déplaçant dans les transports. Dans ce sens, Jean-Pierre Chevènement ne fait que mettre en lumière ou formuler une demande qui est implicitement faite aux « personnes issues de » (je ne sais pas trop quoi…)  ou que ces personnes ont depuis bien (trop) longtemps intégré comme devant faire l’objet de leur répertoire de bonnes pratiques. Il y a bien sûr là la résurgence d’un passé meurtri, non réglé, que les traumatismes récents ne font qu’accentuer, surligner.

Car à bien y penser, notre quotidien est rythmé par des moments où « celui-là parle trop fort » ou « celle-là revendique bien trop ». Mais aussi par : « Elle, je l’aime bien. Elle est discrète. Elle ne crie pas au lieu de parler ». Derrière ce « trop », il y a une arrogance déplacée et le fait que ce serait bien d’admettre que sa situation est déjà bonne. Derrière la discrétion, il y a cette volonté que l’autre n’existe pas au-delà de dimensions gentiment folkloriques.

Pourtant, il s’agit avant tout d’un souci de préserver un minimum de dignité. D’une exigence d’égalité sans cesse bafouée dans tant de petits détails du quotidien qui vous renvoient systématiquement à la figure de l’autre. Alors, parler, c’est résister en permanence à cette injonction à la discrétion. Simplement parler. Parler fort, c’est répondre au mépris quotidien.

Mais tout cela n’est pas assez, si l’autre n’existe pas, ce n’est donc pas un refus simple de l’altérité. Je ne parlerai pas de cette notion factice de différence qui ne fait que renforcer le piège des identités. L’altérité, comme le dit Francois Jullien, c’est rendre productif l’écart entre deux cultures, profitant de leur « vis-à-vis ». Non, ici nul écart. C’est le refus même d’une possibilité d’exister. Il faut donc rendre la personne invisible. Que la personne se rende invisible.

Être visible, cela devient le problème. Ce n’est pas qu’une affaire de « signes » qui différencieraient. Ce n’est même pas la recherche de l’indifférence – qui supposerait la reconnaissance de prétendues différences – et encore une fois, c’est ce qui nous mine. Non c’est bien la recherche de l’invisibilité, seule à même de ne pas déranger. Être invisible, comme toutes ces femmes de l’aube ou du crépuscule, qui nettoient les bureaux, qu’on ne voit jamais ou qu’on aperçoit seulement s’éloigner. Elles vivent professionnellement dans un autre espace, une autre temporalité. Dans un non-lieu, un non-temps.

Référence. Francois Jullien, L'écart et l'entre. Lecon inaugurale de la Chaire sur l'altérité. Galilée. 2012.

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