Il n’y a pas de démocratie dans un pays où des citoyenn.es cherchent désespérément à soutenir d’autres citoyenn.es sur cette petite terre qui est la nôtre, sans en trouver le moyen non seulement à cause de leur impuissance, mais aussi parce qu’ils et elles se considèrent responsables de leur propre impuissance.
Il n’y a plus de démocratie dans des pays où les citoyenn.es continuent à boire, à manger, à rire, à jouer au foot, à aller au cinéma et à danser, lorsque d’autres citoyenn.es, tout près de chez eux/elles, continuent à se faire massacrer de la manière la plus cynique et la plus vile à chaque fois, qu’assoiffés et affamés, ils/elles tentent de chercher à boire et à manger.
Nous sommes toutes et tous aujourd’hui dans la peau du Big Brother de George Orwell[1], car nous regardons placidement les Palestinien.ne.s de Gaza mourir de soif et de faim ou se faire tuer par les balles israéliennes. Ce plan inique est organisé par un ennemi sans conscience qui a décidé d’aller jusqu’au bout de sa tâche meurtrière. Celui-ci a-t-il vraiment besoin de nous rabâcher ses arguments fallacieux que les tout puissants aussi bien que les impuissants n’osent guère mettre en cause ?
Israël a décidé de tuer tous et toutes Palestien.ne.s qui bougent, non seulement à Gaza mais aussi dans les Territoires Occupés. Aidée par les colons, l’armé israélienne ne cesse pas de détruire des maisons palestiniennes, de chasser leurs propriétaires, de brûler leurs récoltes et de faire d’innombrables et arbitraires arrestations dont le nombre, depuis le 7 octobre 2023, s’élève à 13.000 détenu.e.s.
D’ailleurs, les Palestinien.ne.s des Territoires n’ont désormais plus aucun contrôle sur leurs propres biens car leur puissant ennemi considère être en possession de droits aussi bien terrestres que « divins » et c’est pourquoi, il se permet de sévir, non seulement en Palestine, mais aussi au Liban et en Syrie, après avoir muselé l’Irak, l’Egypte, la Jordanie, les Pays du Golfe et l’Iran.
Tous les journaux de gauche et de droite de nos « démocraties » européennes auraient dû sans cesse parler des horreurs commises à Gaza et des crimes perpétrés dans les Territoires Occupés par l’armée israélienne, non seulement en première page, mais sur plusieurs pages, avec des preuves à l’appui qui se trouvent à portée de la main et ce, jusqu’à l’arrêt des massacres. Ces journaux avaient le devoir de dénoncer cette politique israélienne qui consiste à éliminer un peuple en l’assoiffant, en l’affamant et en le privant de toutes possibilités d’accès à un soin qui pourrait le sauver d’une blessure où d’une maladie grave. Aujourd’hui, 22 juillet 2025, la chaîne télévisée Al Jazeera nous apprend qu’un médecin palestinien, rongé par son impuissance, décide d’entamer une grève de la faim. Sa petite fille de 8 ans lui écrit : « Papa, s’il te plait, mange et bois un peu car nous avons toutes et tous besoin de toi ».
Mais encore une fois, ne doit-on-pas toujours rappeler les antécédents qui ont permis l’installation internationale de cette injustice aveugle que des peuples entiers et des régimes multiples ne prennent même pas la peine de mettre en cause ? Génocide ou pas, les faits sont là et n’ont guère besoin de qualificatif pour être dénoncés : deux millions et demi de Palestinienn.ne.s à Gaza sont menacé.e.s de mort, sans oublier que depuis 1948, les assassinats et massacres, les arrestations arbitraires, les confiscations des terres palestiniennes, le grand nombre de réfugié.e.s Palestinien.ne.s dont plusieurs centaines de milliers ont été chassé.e.s de chez eux déjà en 1948, la falsification de l’histoire palestinienne et tout ce que nous avons évoqué dans nos précédents articles ne peuvent nous faire oublier les conditions qui ont permis à Israël de voir le jour.
Nous ne voulons plus oublier, par exemple, les paroles du gouverneur Sherif Hussein, qui pendant la deuxième guerre mondiale, avait clairement déclaré ceci : « Que les juifs qui se font tuer en Europe viennent s’installer chez nous, car nous avons de la place et avons été habitués à vivre ensemble depuis des siècles. » Ces paroles, la propagande anti-arabe et anti-musulmane en occident, aussi bien que le projet sioniste, ont tout fait pour nous les faire oublier.
Au contraire, pour justifier la non-consultation du peuple palestinien, beaucoup de mensonges ont été galvaudés, même lorsqu’ils ont été quelque fois démentis par des consciences éveillées. Ces mensonges ont été répandus dans tous les milieux politiques et sociaux, y compris dans les lycées et les universités. Nous avons vécu nous-mêmes, avec ahurissement et lors d’une invitation qui nous a été faite par les responsables d’un grand lycée français[2], les déclarations empoisonnées prononcées par les invités et intervenants pro-israéliens stipulant que « la solution finale » a été décidée en Palestine.
Notre démenti, comme intervenante pour la cause palestinienne, affirmant que ces propos n’ont aucune justification historique, ont heureusement permis l’apaisement des lycéenn.es pro-palestinienn.es et pro-israelienn.es qui avaient projeté, nous ont-ils dit, de se battre à la fin de notre table ronde organisée par les responsables du lycée.
Oui, de très nombreuses ethnies et confessions traversent le Proche et le Moyen Orient, mais des historien.ne.s, journalistes et intellectuel.le.s ont toujours refusé d’accepter que cette région soit une « mosaïque de peuples et de religions », comme le répètent sans cesse des historien.ne.s, des diplomates et des journalistes occidentaux. Ce refus est justifié par au moins trois arguments :
- Accepter que cette région soit une « mosaïque de peuples et de religions », c’est admettre que les composantes de cette mosaïque sont et resteront statiques à travers les siècles et qu’il serait inutile d’y ajouter d’autres éléments dont par exemple, des athées, des agnostiques, des penseur.se.s libres, des indifférents…
- Le deuxième argument qui justifie ce refus consiste à dire que les éléments d’une mosaïque se touchent sans se rencontrer, alors que les composantes multiples et variées de cette région ont appris à vivre ensemble depuis des siècles dans l’adversité parfois, mais surtout dans la paix et la solidarité. C’est ainsi par exemple que l’écrivain Amine Maalouf raconte dans son livre « Les croisades vues par les Arabes»[3] comment les croisés étaient étonnés de découvrir que parmi ceux qui leur livraient bataille, il y avait aussi des chrétiens qui ont toujours vécu en Orient.
- Le troisième argument consisterait à dire que les éléments d’une mosaïque sont toujours soumis à des éliminations ou des déplacements irrationnels dont l’intérêt des assaillants est la seule chose qui compte.
Pendant l’époque des colonisations, des protectorats et des mandats et bien avant les deux grandes guerres mondiales, la Grande Bretagne, la France, aussi bien que le projet sioniste ne voulaient voir que des conflits dans cette prétendue « mosaïque », afin de pouvoir récolter plus tard le fruit de leurs idées empoisonnées semées dans les esprits et les écrits d’un grand nombre de leurs historien.ne.s, diplomates, sociologues et journalistes.
L’installation, par exemple, d’une monarchie comme l’Arabie Saoudite, soutenue et favorisée par la Grande Bretagne, a eu des conséquences néfastes sur toute la région, dont la dernière expression est l’horrible assassinat resté impuni, du journaliste démocrate saoudien Jamal Khashoggi au consulat de l’Arabie en Turquie.
Cette monarchie se permet d’entrer militairement à Bahreïn au début des révolutions arabes, avec la prétention d’installer la paix, déclenche une guerre meurtrière contre le peuple yéménite, guerre qui dure au moins 7 ans et dont le résultat est paradoxalement l’abandon d’une grande partie du Yémen aux Houthis qui prennent leurs directives de l’Iran, ennemi juré de l’Arabie Saoudite. Faut-il enfin oublier comment l’Arabie Saoudite décide du jour au lendemain de soumettre l’émirat du Qatar à sa bonne volonté. Une de ses exigences prioritaires fut la fermeture pure et simple de la chaîne télévisée Al Jazeera. Si Qatar réussit à résister pendant plusieurs années à un embargo imposé par l’Arabie, les Émirats Arabes Unis et l’Egypte, c’est certainement grâce à ses richesses aussi bien qu’à ses amitiés entretenues depuis longtemps avec les Etats-Unis.
Les Émirats Arabes Unis, soutenus par l’Arabie Saoudite, ont joué le rôle le plus néfaste dans les attaques sournoises consacrées à presque toutes les révolutions arabes en alimentant les contres révolutions par les armes et l’argent. La Syrie et le Soudan sont peut-être les pays qui en ont particulièrement pâti.
Nous ne souhaitons pas revenir sur le silence de l’occident, sur la confiscation de la révolution iranienne par Khomeiny, mais ce que nous voulons particulièrement souligner aujourd’hui est l’instrumentalisation de toutes les causes justes par les pouvoirs en place, démocratiques ou pas.
Cependant, pour que cette instrumentalisation soit possible et efficace, il faudrait tout d’abord commencer par détruire, surtout dans les pays en voie de développement, toute démocratie déjà installée ou y torpiller tout projet démocratique naissant. Les volontaires sont les assoiffés de pouvoir facilement recrutables parmi les citoyens de tout pays. Ceux-ci sont prêts à vendre leur patrie et leur honneur au plus offrant en livrant aux enchères des valeurs qui n’ont jamais été les leurs. Ainsi, la lutte anti-terroriste deviendra le souci des dictateurs patentés comme Hafez Al Assad de Syrie, Sissi d’Egypte et les mollahs d’Iran.
Avec des régimes arabes ancrés dans le despotisme, la répression, la corruption et le confessionnalisme, nous ne pouvons plus nous attendre, de la part de leurs peuples, à la moindre manifestation ou expression de révolte ou d’indignation. Car, malgré tout cela, nous n’aurions jamais cru que les peuples arabes auraient pu rester dans une telle apathie face à la tragédie qui aujourd’hui, plus que jamais, touche leurs frères et sœurs palestinnien.ne.s. Même ceux parmi eux/elles qui commencent à peine à soigner les blessures d’une répression sanguinaire qui a duré plusieurs décennies comme les Syriens, même ces peuples éprouvés auraient, en d’autres temps, occupé les rues et les places de leur propre pays pour crier « Israël, assez ! ».
Tous les peuples du monde, vivant ou pas dans des démocraties, auraient du réagir à ce massacre programmé. Mais plusieurs lecteur.trice.s de nos propos pourraient à juste titre protester en nous rappelant que ce n’est pas la première fois où personne ne bouge, lorsque des horreurs sont commises non loin de chez nous et sous notre nez. Les horreurs s’additionnent en effet, mais la dernière ne fait jamais oublier celles qui l’ont précédée. Au lieu de se mettre à énumérer les horreurs de ce siècle et du siècle dernier, peut-on espérer au moins qu’en mettant en cause celle qui se déroule aujourd’hui, nous parviendrions peut-être à éviter les prochaines.
Hamas appelle à des manifestations internationales contre les agissements d’Israël, mais qu’a-t-il fait jusqu’ici pour ne pas donner à cet Etat le prétexte fallacieux qui l’autoriserait à aller jusqu’au bout de son inique projet ?
Qu’a fait le chef de l’Autorité Palestinienne pour sauver les Territoires Occupés de l’appétit des colons israéliens, dont les crimes sont toujours protégés par l’armée et la police israéliennes ? Comment expliquer le silence de Mahmoud Abbas sur les crimes de Bachar Al Assad contre les réfugié.e.s palestinien.ne.s en Syrie et contre le peuple syrien ? Comment interpréter l’accolade chaleureuse qu’il donne à Bachar Al Assad dès le retour de celui-ci dans le giron de la Ligue Arabe ? Une Ligue dont tous les chefs ont participé, par leur silence, leur indifférence, leur complicité et leurs crimes à la tragédie qui touche toute la région du Proche-Orient et en particulier la Palestine et les Palestinien.ne.s.
Que fait le Qatar ? Va-t-il continuer à organiser des pourparlers, difficiles nous le reconnaissons, mais inutiles, entre Hamas, Israël et les Etats-Unis ? N’a-t-il pas encore compris qu’Israël ne se moque pas seulement de lui mais du monde entier ? N’a-t-il pas encore saisi que Hamas est un « ennemi utile » pour Israël et inutile et parfois dangereux pour la Palestine et les Palestinienn.ne.s ? Ne sait-il pas que Trump et Netanyahou sont en parfaite connivence et que leur but est non seulement de marginaliser la cause palestinienne mais de la faire oublier ?
Qu’attendent nos pays « démocratiques » pour réagir contre les innombrables crimes perpétrés par Israël depuis 1948 contre les Palestinien.ne.s ? Quand allaient-ils comprendre que le silence coupable engendre l’impunité du criminel et que celui-ci deviendra immanquablement dangereux pour les siens, comme il l’est pour ses ennemis ? Poutine, resté impuni pour ses crimes en Tchétchénie puis en Syrie, se donne le droit d’attaquer l’Ukraine et pourquoi pas l’Europe quelques années plus tard. Israël qui n’a jamais été puni pour sa désobéissance à toutes les résolutions de l’ONU, prend la liberté de déclarer que bientôt il mettra la main sur tous les Territoires Occupés. Attaquer le Liban, la Syrie et l’Iran ne représente, selon nous, qu’une petite goutte comparé au sort qu’Israël a toujours réservé à la Palestine et aux Palestinien.ne.s.
Depuis bien longtemps, nous ne croyons plus que la culpabilité de l’occident à l’égard d’Israël justifie le silence des premiers et les crimes impunis du second. Nous pensons plutôt que ce sont les intérêts géopolitiques et économiques des premiers et du second qui leur donnent, à leurs yeux, tous les droits. Ainsi, tout changement exercé par les Etats-Unis et Israël au Proche-Orient se fera au nom de la « real politic ».
Il faudrait, selon nous, une transformation rapide et radicale, de toutes les institutions qui touchent surtout aux questions du droit international, devenu inutile, voire parfois dangereux pour les peuples démunis qu’il prétend défendre.[4]
Il faudrait surtout rappeler aux Etats-Unis et à Israël que pour reconfigurer toute une région, en l’occurrence celle du Proche-Orient, il faudrait soit éliminer des populations, soit les mettre dans des camps de concentration. Il faudrait leur rappeler aussi que tout changement bénéfique au Proche-Orient ne pourrait se réaliser que par ses propres citoyen.ne.s qui n’ont besoin que de soutien vigilant et solidaire, mais jamais d’intervention armée.
Il faudrait redire à Israël qu’il ne pourrait vivre en paix que si la paix s’installe autour de lui. Cette paix réelle et durable ne pourrait jamais s’accomplir avec la force des armes mais plutôt avec les valeurs humanistes et universelles auxquelles nous avons toujours cru, c’est-à-dire celles qui engendrent la liberté, la dignité, la solidarité et la fraternité.
Ghaïss Jasser.
[1] George Orwell, 1984, Editions Gallimard, 1950 pour la traduction française.
[2] Nous étions cinq invité.e.s à cette table ronde, trois pro-israéliens qui n’ont même pas décliné leurs titres et deux administrateur-trice.s d’associations fondées pour la paix entre Israël et la Palestine.
[3] Editions Jean-Claude Lattès, 1983.
[4] Voir l’article « Le droit international est-il mort ? », le Courrier International, n° 1811, 17 au 23 juillet 2025.