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Billet de blog 10 novembre 2022

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Jacques d'Adelswärd-Fersen, dernier poète maudit

Jacques d’Adelswärd est un écrivain et poète français, auteur de nombreux textes mais aujourd’hui méconnu. Il se suicida à Capri en 1923 avalant de la cocaïne dans sa Villa Lysis où il passa les dernières années de sa vie en érigeant l’image du dandy et du poète malheureux. Akademos, la première revue homosexuelles française, fondée par Jacques d'Adelsward est finalement rééditée.

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Bien que nombreux, les « écrivains oubliés » forment une catégorie peu interrogée en tant que telle. Peu d’ouvrages abordent en effet, le sujet. La question de la marginalité ne s’avère traitée qu’au cas par cas, dans le cadre d’études relativement rares et s’intéressant que de façon exceptionnelle, aux vrais auteurs oubliés. Parmi ces auteurs, figure Jacques d’Adelswärd-Fersen, poète prolifique, engagé, mais dont les conduites personnelles mises en avant par les critiques de tout ordre et de toute origine, ont fait évanouir tout rêve littéraire.

Né à Paris en 1880 Jacques d’Adelswärd est un écrivain et poète français, auteur de nombreux textes mais aujourd’hui méconnu. Il se suicida à Capri en 1923 avalant de la cocaïne dans sa Villa Lysis où il passa les dernières années de sa vie en érigeant l’image du dandy et du poète malheureux. Près de cent ans après la disparition prématurée de l’auteur, il est temps d’évaluer la responsabilité de la critique littéraire au fil des années. Eu égard au contexte historique que nous traversons, marqué par la tentation de réécrire l’histoire en fonction des époques, de bannir les auteurs de la république des lettres en en se référant aux mœurs, d’ouvrir la porte au débat à la « cancel culture », il convient ici, de prendre en considération, sans aucun préjugé (d’ailleurs « le préjugé est une opinion sans jugement ») les questions liées à la vie de l’auteur.

Jacques d’Adelswärd laisse derrière lui de nombreuses œuvres poétiques, trois romans, une revue littéraire et plusieurs articles, mais sa figure a été entourée de mystère et de réprobation. Akademos, la première revue homosexuelle française, créé en 1909 compte parmi ses collaborateurs les plumes les plus connues.

En 1903, à l’âge de 23 ans, Jacques d’Adelswärd est condamné à six mois de prison et à la perte de ses droits civiques pour cinq ans, dans l’affaire dite des « messes noires », soirées organisées sur le thème des tableaux vivants et des poésies dans son appartement parisien du 18 de l’avenue de Friedland. Ainsi commence la tradition des procès de « mœurs » de l’histoire pénale française. On remarque aussi que sa « tendance royaliste » n’échappe pas à la presse qui n’hésite pas à dénoncer sa famille, en la personne de la belle-sœur de la baronne d’Adelswärd qui, toujours selon la presse, « aurait fourni 200.000 francs pour la fondation d’un journal royaliste ». Et Laurent Tailhade de lui reprocher que « le vice des pauvres est la fantaisie du riche ». En effet il paraît intéressant de s’interroger sur les raisons qui poussent le milieu culturel français de l’époque à s’attaquer à Fersen, dans un contexte où, par exemple, dans les premières années du XXe siècle, l’affaire Dreyfus n’est pas encore achevée, on assiste à la montée du nationalisme et de l’antisémitisme et, en 1905 aux réactions suscitées par la fin du Concordat. Ce n’est pas par hasard que Jacques d’Adelswärd est défendu par Edgar Demange, qui avait été l’avocat d’Alfred Dreyfus et de Felix Fénéon. Peut-on proposer une lecture sociale et politique du cas « Adelswärd » et le restituer dans le climat d’intolérance qui incline d’abord à s’en prendre aux juifs puis en même temps aux protestants ? D’ailleurs, à la suite de la guerre franco-prussienne se pose de nouveau la question de la fidélité des protestants à la France. Le choix d’un exil à Capri s’inscrit donc dans une croyance plutôt répandue à l’époque, considérant les pays méditerranéens comme des lieux non hostiles envers les homosexuels. À cette époque sur l’île, « noeud d’un vaste réseau qui se ramifie sur toute l’Europe », des conditions particulièrement favorables viennent de se créer parmi ce petit groupe d’intellectuels ; l’Italie, pays des papes et du Vatican, et qui comptait dans sa population une majorité d’analphabètes, montrait alors une ouverture unique en question de mœurs.

« Il faut partir avant la fin du rêve », écrivait Wilde, mais c’est avec le suicide de Jacques d’Adelswärd que le rêve se termine. Ses cendres, sa poésie et ses rêves sont désormais sous la terre chaude de Capri. Ce qui subsiste, parmi « les ombres aériennes », c’est l’image d’une vie singulière qui, par des conduites plutôt que par des textes, a brisé les tabous d’une société bâtie sur l’hypocrisie

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