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Billet de blog 14 septembre 2025

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Charlie Kirk, de la haine au martyre

L’assassinat de Charlie Kirk a déclenché une vague de ferveur et de répression. Le militant d’extrême droite, croisé anti-LGBTQIA+, se voit aujourd’hui sanctifié en martyr, tandis que toute critique devient blasphème. Ce culte posthume mêle deuil et punition, refoule toute ambivalence et transforme la liberté d’expression en instrument disciplinaire.

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La mort de Charlie Kirk a déclenché une vague d’émotion soigneusement orchestrée. Ses partisans ont aussitôt façonné l’image d’un martyr, présenté comme un patriote tombé pour la liberté. Des veillées, des hommages massifs et un mémorial géant ont figé cette figure dans le sacré, tandis que les autorités arrêtaient un suspect et que le discours politique se durcissait autour de la menace de « l’ennemi intérieur ». Dans le même mouvement, des dizaines de voix dissidentes ont été réduites au silence : enseignants, soignants, magistrats, salariés du Nasdaq, agents publics ont perdu leur emploi ou subi des enquêtes pour un simple message critique, parfois ironique, parfois simplement factuel. L’espace de parole s’est contracté sous l’effet d’un climat de crainte documenté par de nombreux médias internationaux. À Oxford, même le président élu de l’Union a été placé sous discipline pour un message jugé inconvenant, signe que l’appareil disciplinaire agit désormais avec une célérité quasi liturgique.

Cette réaction ne se limite plus à polir l’image d’un leader controversé comme le faisait autrefois la stratégie de « dédiabolisation ». Elle érige l’ennemi en victime sacrée. Le discours se referme sur un clivage radical : les « justes » d’un côté, les « impurs » de l’autre. Toute nuance devient suspecte. Le camp pro-Kirk transforme sa propre agressivité en geste défensif et inverse l’accusation : il se proclame victime d’une « culture de la haine » tout en exige la punition immédiate de toute voix dissidente. La mécanique relève d’un surmoi vengeur : la liberté d’expression s’habille d’un impératif moral qui somme chacun de glorifier le martyr, sous peine d’exclusion. La jouissance de punir se camoufle derrière le masque de la décence, et chaque renvoi ou suspension prend la forme d’un rite expiatoire. Les positions anciennes de Kirk sur les armes, subissent une réécriture hagiographique. Leur conflictualité se dissout dans le pathos du deuil, stabilisé par les veillées et la grand-messe funèbre annoncée.

Chez Lacan, le signifiant maître organise le discours en donnant une consistance symbolique à ce qui serait autrement chaotique.
La mort de Kirk produit exactement ce mouvement : le signifiant « martyr » vient clore le sens flottant, effaçant les contradictions de son parcours pour créer un bloc imaginaire pur.

Au cœur de cette construction symbolique, la croisade anti-LGBTQIA+ de Kirk joue un rôle central. Toute sa carrière s’est nourrie de campagnes contre les drag queens, de dénonciations de l’« endoctrinement queer » à l’école, de sermons sur la famille traditionnelle. Son discours plaçait la figure queer comme réceptacle de tout ce qui menace l’ordre symbolique : fluidité, désir, ambiguïté. Une telle croisade répond souvent à une dynamique pulsionnelle bien connue : formation réactionnelle contre ce qui suscite l’angoisse en soi, projection des pulsions jugées menaçantes sur l’Autre, transformation du désir refoulé en haine pour préserver l’équilibre narcissique. Après sa mort, cette mécanique fantasmatique se renforce : toute critique de Kirk se voit assimilée à une attaque contre la nature elle-même, et donc frappée d’un interdit sacré.

Dans ce climat, la liberté d’expression prend un statut fétichisé. Elle s’applique à la scène où l’on exalte le martyr, mais disparaît lorsqu’un professeur, une infirmière ou un journaliste rappelle ses positions haineuses. Les sanctions viennent moins de l’État que d’employeurs, de conseils privés, d’universités ou de plateformes, souvent sous pression de campagnes de doxxing. On célèbre la liberté tout en réduisant le périmètre de la parole tolérée. La norme implicite devient : « tu es libre, à condition de répéter notre chagrin ». Une telle logique de surmoi collectif engendre une culpabilité massive et alimente, par contrecoup, des passages à l’acte symboliques ou leur envers : l’autocensure généralisée.

Le deuil public ne relève plus seulement de l’hommage : il devient un dispositif de captation de jouissance. Le versant sacré organise des communions, des liturgies civiques, des promesses de « poursuivre la mission » ; le versant punitif orchestre la traque des blasphémateurs, que l’on expose avant de les sacrifier. Cette économie affective mêle ferveur religieuse et désir de châtier, jusqu’à se confondre avec l’ADN même du mouvement identitaire.

La mort violente agit comme un traumatisme collectif. Elle réactive le fantasme d’un Père protecteur détruit par les forces du chaos. Pour contenir ce trouble, le groupe érige le disparu en martyr, le purifie de ses contradictions et expulse toute critique vers un « dehors » haï. Le surmoi collectif se déchaîne réclamant des sacrifices symboliques (blâmes, licenciements, bannissements) pour apaiser la faute imaginaire.

Cet emballement annonce un basculement plus sombre encore. Les images virales court-circuitent le travail psychique et attisent des réflexes de vengeance. Le culte du martyr fusionne avec la haine du queer. La démocratie libérale ne peut survivre qu’en tenant deux vérités ensemble : condamner l’assassinat sans réserve, et préserver la conflictualité symbolique, même lorsqu’elle choque. Sans cela, le fantôme de Kirk continuera de régner, totem d’une nouvelle religion punitive.

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