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Billet de blog 10 avril 2013

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Djibactu ! - De l'autre coté du mur

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De l'autre côté du mur

 Jeudi après-midi, on m'invite à une séance de khat, un rituel à Djibouti. Chaque après-midi, les Djiboutiens se réunissent dans une salle aménagée de tapis, de matelas et de coussins. Une grande télé préside généralement l'assemblée.

 Avant cette cérémonie quotidienne, on me parfume, on m'habille dans la tenue traditionnelle : aujourd'hui je suis leur invité.

A 14h00, nous partons, il s'agit de ne pas être en retard. Si il y a bien une activité à Djibouti où il faut arriver à l'heure, celle bien celle du Khat.

Je rentre dans le manbraze, m'assois sur les matelas; j'observe. On me tend une branche, je découpe les feuilles. Ça papote entre hommes et en jupettes ; je mâche. On parle d'Hitler; je broute. On zappe de chaînes; je bois du coca ; On lance des rumeurs à Djibouti; je rumine. On débat sur le développement économique; je chique et j'avale.

Apres 3 heures de Khat, un peu sonné par cette douce amphétamine, je remercie mes hôtes. La rue est calme, la chaleur est encore pesante, l'activité buccale continue toujours entre ces quatre murs.

Le nuit tombe, je sors du côté de la rue d'Ethiopie, haut lieu en  perdition ou se mêlent soldats, Ethiopiennes, Djiboutiens et autres naufragés de la Mer Rouge. Je rentre dans le plus célèbre des bars, la Galette Bretonne, descends  les escaliers... Ça se passe au sous-sol. Devant moi, une troupe de bidasses, légèrement amochés, débarque: ils vont fêter leur perm'. Ils trébuchent en descendant: Ils fêteront leur arrêt maladie la semaine prochaine.

Derrière le bar une rangée de bouteilles où sont posés délicatement les képis blancs de la Légion Etrangère. Devant le bar une rangée de fille en uniforme où sont posés les regards des miloufs en short et chemisette beige, chaussettes montantes.

Ça se parfume, ça danse, ça boit…

Les piliers sont présents, verre à la main, prêts à trinquer. Les premières lignes touchent les épaules de leur vis-à-vis. Sur leurs appuis, genoux fléchis et les bras se faufilant, les flankers cherchent à saisir les hanches. On est proche du hors-jeu....

Qu'attendons-nous pour siffler l'introduction?

Ça chante, ça crie, ça rie! 

Assis sur une chaise, le Général d'Etat-major observe le respect des règles et des accords bilatéraux franco-djiboutiens. Elancé au visage aiguisé, chemisette vichy bleu ciel boutonnée jusqu'au col et rentrée dans un pantalon beige clair, il n'hésitera à écrire son rapport demain malgré sa tenue voire sa retenue peu réglementaire.

Ça pousse, ça siffle, ça sue.

Les odeurs du vestiaire rentrent avant l'heure dans cette joyeuse mêlée. L'ambiance devient incontrôlable, torride, étouffante !

Le climatiseur affiche 16°C…

Le lendemain soir, assis sur ma  terrasse, appréciant ma bière fraîche après une journée brûlante et humide, j'écoute le chant du muezzin du minaret voisin appelant à la prière. Je contemple mon bougainvillée en fleur et mon petit palmier en jaune… par manque d'eau.

Je me laisse assoupir par ce petit vent marin.

De l'autre côté du mur où sont plantés au sommet des tessons de bouteilles et des fils barbelé, j'entends les enfants jouer au bord de la mer. Ils viennent certainement de Somalie fuyant la sécheresse, et n'ont  ici, pour eau, que celle de la mer et de la bouche d'égout. Ils s'amusent dans cette vase que même les corbeaux ne souhaitent pas poser leurs pattes. Ils vivent ici sous un morceau de tissu tendu entre deux morceaux de bois. Ils récupèrent dans les poubelles des villas et ambassades avoisinantes ce que la mer ne veut plus prendre lorsqu'elle se retire.

En face, une belle maison bleue, protégée par des barbelés, surplombe la mer au Nord, et observe à l’Est ses Landcruisers rutilantes, à l’Ouest cette farandole d'enfants et de conserves. Ce sont les bureaux du PAM : Le Programme Alimentaire Mondiale.

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