_ Docteur, je ne viens pas pour ça, mais je tousse beaucoup.
_ Depuis quand?
_ Plusieurs semaines. Et comme on en parlait l'autre jour, je ne mets pas toujours le masque au travail.
_ A l'acierie?
_ Oui. Il fait trop chaud. On étouffe avec le masque.
_ Ah bon? (réponse feinte, ils disent tous pareil). Mais vous courez de gros risques
_ C'est sûr. Là où je travaille, c'est l'atelier le plus pollué de l'usine, le cœur du cœur de l'acierie. Les poussières de fer sont partout dans l'air, tellement que c'est noir. Quand je ressors de là, je crache noir pendant plusieurs jours.
_ Mais il y en a plein qui ont attrappé le cancer là-bas. Je vous l'ai dit l'autre jour.
_ Que voulez-vous, faut bien manger. Et j'ai des gosses. Le travail court pas les rues.
_ Oui mais c'est très dangereux. Vous devez garder votre masque en travaillant.
_ C'est pas possible. Au bout de 5 minutes, j'étouffe, et j'ai plein de buée sur les lunettes.
_ Mais vous n'avez pas de masques aérés par des tuyaux?
_ Non. Il parait que ça coûte trop cher. Surtout pour les intérimaires, encore plus chez les sous-traitants. Ils nous donnent que des masques en papier, les mêmes qu'au magasin de bricolage, avec un petit élastique qui pete une fois sur deux. Une fois j'ai travaillé dans un autre atelier avec des masques aérés. Ceux-là, ils étaient bien, on pouvait respirer dedans sans problème.
_ Pourtant l'usine fait des bénéfices, d'après ce que j'ai lu...
_ Oui mais c'est pas nous qui les voyons, c'est les actionnaires... (sourire)
_ Vous allez chopper le cancer. Faut vous tirer de là. Ce WE, j'étais dans une maison d'hôte dans les Alpes. Le propriétaire est bucheron. Il a fait sa maison lui-meme, avec les arbres qu'il a coupés lui-meme. Il fait un travail dur, mais au moins il le fait en respirant de l'air pur.
_ Ah oui, ça c'est l'idéal. C'est le top. Mais bon, par ici, on nous propose pas de boulot où on respire le bon air. Puis faudra toujours des ouvriers pour faire tourner ces usines. Je peux pas refuser ce qu'on me propose, sinon l'agence d'interim, elle ne me rappelle plus et je n'ai plus de travail. Faut vivre