GILBERT ARGELES

Abonné·e de Mediapart

13 Billets

1 Éditions

Billet de blog 29 juin 2013

GILBERT ARGELES

Abonné·e de Mediapart

mon retour à Tillilit

GILBERT ARGELES

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous sommes en 1961...Triste époque ! Je suis militaire de deuxième classe au 6° Bataillon de Chasseurs Alpins cantonné à Fort Michelet. Ma section est cantonnée à Tillilit. Comme je reviens de deux jaunisses successives, on me nomme "Instituteur" pour les enfants du village: 50 Garçons le matin et autant de filles l'après-midi...Aucun matériel...Je demande à l'Adjudant comment faire la classe dans ces conditions...sa réponse :"on va vous fournir des papiers bleu, blanc et rouge et vous leur ferez fabriquer des drapeaux français; ce sera suffisant". La rage me prend; je fais appel à des amis en France, pour qu'ils m'envoient des colis avec du matériel scolaire: cahiers, crayons colle etc.. En même temps je ramasse toutes les revues et journaux français qui trainent dans le camp. Avec tout ce matériel, je découpe des lettres, je les colle, je fabrique mes outils comme je peux. Et je commence mes leçons d'apprentissage de la lecture et du calcul... A 50 dans la classe ce n'est pas facile. Mais ces enfants sont tellement attentifs qu'il n'y a aucun problème de discipline: Ils ont soif d'apprendre...Et ils apprennent même très vite. Cela ne plaît pas à l'Adjudant qui essaie de démolir mon travail en m'ordonnant d'aller monter la garde durant la journée. Heureusement j'ai des copains qui me remplacent à la garde pendant que je continue ma classe. Je passe sur les progrès, les petits ennuis du quotidien Les filles apprennent encore plus vite que les garçons...Et je fais ce travail jusqu'à la quille en juin 1961.

Lorsque je retourne en Algérie, comme coopérant à ORAN, avec mon épouse en 1970, j’utilise les vacances pour faire du tourisme en Algérie...Et j'ose retourner en Kabylie pour voir...Je vais à Tillilit; j'ai un peu honte en tant qu'ancien militaire français d'une armée colonialiste! Je me fais petit et j'observe...Justement, c’est la sortie de l'école...Un jeune instituteur vient vers nous et nous salue. Je le reconnais; c'est un de mes anciens élèves, le fils de l'épicier du village! Manifestement je n'ai pas trop vieilli, il me reconnait aussi. Nous bavardons une bonne heure sans jamais évoquer notre passé commun... Nous nous quittons bons amis, les yeux dans les yeux, moi tout ému de voir ainsi un de mes anciens élèves devenu instituteur, et lui...je le sens ému aussi mais il m'est impossible de savoir ce qu'il pense. Qu'il sache que je ne l'ai pas oublié: Il est dans ma mémoire. Cela me change du sentiment de honte que j'éprouve encore parfois en pensant à ces 24 mois de guerre dans laquelle je n'avais pas toujours le bon rôle Je suis heureux que ce blog que je soutiens me permette ainsi de vous faire partager ce souvenir.

Gilbert ARGELES

http://bougtobvillage.centerblog.net/

            Paru sur le blog 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.