L’eau, un bien commun
La vie vient de l’eau et l’eau, c’est la vie. Sur cette planète bleue, l’eau douce représente à peine 3 % de toute l’eau qu’elle contient.
Or, elle constitue 60 à 65 % de notre corps. On peut vivre plus d’un mois sans manger, mais impossible de rester sans boire d’eau plus de trois jours.
Dans nos sociétés, on oublie que l’eau du robinet est une véritable aubaine alors que dans beaucoup d’endroits au monde, il faut aller la chercher en parcourant des kilomètres, la rendre potable, la consommer avec parcimonie. Encore de nos jours, de nombreuses épidémies sont dues à la consommation d’eau souillée.
L’eau est une ressource à usage multiple :
- La consommation domestique pour les besoins d’hygiène et d’alimentation ;
- Les activités industrielles ;
- La production d’électricité par les centrales et les barrages hydroélectriques ou encore le refroidissement des centrales nucléaires ;
- L’agriculture et l’élevage ;
- La pêche professionnelle et l’aquaculture ;
- Le transport fluvial ou maritime ;
- Les activités de loisirs : baignade, sports nautiques et navigation, pêche de loisir, etc.
A titre personnel, nous en avons besoin non seulement pour nous désaltérer, mais aussi pour faire cuire nos aliments, nous laver, nettoyer nos affaires et bien d’autres usages encore, souvent inconscients.
Mais nous avons un rapport à cette ressource comme avec tous les autres éléments de notre environnement : le sol, les énergies fossiles, l’air, voire le feu. C’est peut-être lié à notre culture et nos cultes qui placent l’humain au centre de l’univers et des autres espèces qui l’entourent, comme si ces derniers avaient été créés pour son usage exclusif.
Or, tout être vivant, de l’ordre végétal ou animal, a autant besoin de l’eau pour vivre– comme tous les vivants de nos rivières, lacs et océans - que l’espèce humaine. Et nous nous accaparons ce bien commun pour notre seul usage, en perdant de vue notre dépendance totale vis-à-vis des autres êtres vivants.
Enfin, la raréfaction de cette ressource est déjà source de conflits entre les humains eux-mêmes. Ainsi, en Iran ou en Inde, les paysans et les citadins se battent pour le contrôle de l'eau en période de sécheresse. Sur le plan international, on peut citer les conflits entre le Yémen et l'Arabie saoudite, la Syrie et l'Irak, l'Égypte et l'Éthiopie. Et maintenant, l'Ukraine et la Russie. Par ailleurs, de nombreuses migrations de populations vers des contrées plus accueillantes étaient dues, le sont et deviendront de plus en plus fréquentes, à cause du manque d’eau.
Voilà pourquoi nous devrions en prendre soin, la gérer comme un bien commun et mieux la partager :
- En prendre soin en réduisant toutes les maltraitances que nous lui faisons subir : gaspillage, pollution ;
- En la gérant autant sinon mieux que les autres biens matériels que nous créons, alors que la fabrication d’eau douce, par désalinisation ou potabilisation, a un coût exorbitant et n’est pas toujours probante ;
- En la partageant avec les autres vivants, je pense aux animaux et insectes, mais aussi aux plantes qui fabriquent l’oxygène autre ressource indispensable pour l’être humain et qui nous nourrissent.
Alors j’imagine un futur où l’eau serait reconnue et protégée par tous comme un bien commun, de manière active, c’est-à-dire en créant les conditions pour faciliter son cycle. Un cycle long depuis le moment où elle passe de l’état gazeux à l’état liquide et tombe sous forme de pluie ou de neige, elle arrose les montagnes, les vallées, les champs et les villes, elle alimente nos cours d’eau, elle s’infiltre en partie dans les sols qui sont ses réservoirs naturels, elle remplit les nappes phréatiques où elle se chargera de sels minéraux pour devenir potable, elle apportera les nutriments aux espèces végétales tout le long de sa circulation vers les océans, avant d’y terminer sa course pour recommencer son cycle long.
L’anthropocène et ses défis
Nous vivons dans le quaternaire de l’âge géologique. Dans ce quaternaire, depuis la dernière glaciation il y a 12 000 ans, s’est ouverte une nouvelle époque appelée holocène. Durant ces différentes périodes, des espèces sont apparues et ont brutalement disparu sous l’effet des changements climatiques géophysiques ou de catastrophes naturelles, comme la chute d’astéroïdes qui a provoqué la disparition des dinosaures.
Cinq extinctions massives d’espèces ont ainsi eu lieu durant les différentes ères. Nous vivons actuellement une sixième extinction. Et elle a la particularité d’être provoquée principalement par l’activité humaine. La hausse des températures, la modification de l'atmosphère, certaines pollutions, le déclin de la biodiversité, laisseront sans doute une trace dans l'histoire géologique et climatique de la planète. C'est la responsabilité de l'espèce humaine dans ces changements que la notion d'anthropocène veut mettre en avant. Devant les inondations, les glissements de terrain, les tempêtes de plus en plus violentes et dévastatrices, certains diront que la nature se venge. Mais c’est lui prêter des sentiments purement humains, encore une fois.
Nous avons besoin d’ouvrir les yeux pour découvrir le lien direct entre notre exploitation à outrance des éléments naturels, l’eau, l’air, la terre et le feu et les transformations radicales de notre biotope. On a mis du temps à le faire. C'est en 1995 que le Prix Nobel de chimie Paul Crutzen emploie pour la première fois le terme « anthropocène », néologisme du grec ancien anthropos « être humain » et kainos « nouveau ».
L’apparition de ce mot anthropocène – qui est sujet à beaucoup de controverses - a un avantage : le changement de paradigme, c’est-à-dire de représentation de notre monde et de notre place dans celui-ci. Depuis les années 1970, le réchauffement climatique et le déclin de la biodiversité s’accélèrent, et les scientifiques le montrent : l’impact des activités humaines n’a jamais été aussi fort sur l’environnement. Nous devons être réalistes mais ne pas céder au catastrophisme non plus. C’est le prix à payer pour les 8 milliards d’êtres humains vivant sur Terre depuis novembre 2022 et l’accélération qui se poursuit.
Nous pouvons encore agir et préserver avec un certain succès la biodiversité ou encore limiter les émissions de gaz à effet de serre, la déforestation, l’usage des pesticides, en mettant en place des politiques publiques ambitieuses. Parler d’anthropocène, c’est donc prendre conscience de notre place et des actions correctrices possibles pour préserver les ressources dont nous avons besoin, pour notre bien-être et pour celui des autres êtres vivants eux-mêmes.
Il faut également prendre conscience que les objectifs que l’on se fixe à chaque réunion de la COP (conférences des parties) ne sont jamais respectés, souvent par pur égoïsme des parties, mais aussi, il faut l’admettre, en raison des retards de certaines nations en cours de développement par rapport à celles qui ont longtemps profité de l’exploitation exacerbée des ressources naturelles et qui viennent leur imposer des limites à leur développement.
Mais curieusement, de mon point de vue, c’est la globalisation de l’économie et à travers elle de l’information qui fournira les moyens d’espérer un changement positif. Jamais auparavant la prise de conscience sur la fragilité de notre écosystème et surtout son unicité – nous n’avons qu’une Terre -, n’aura été aussi globale. La 1e COP en 1995 a marqué un véritable tournant dans cette prise de conscience, même si les actes sont loin des intentions annoncées à chaque COP. Mais nous disposons maintenant de l’ensemble des outils pour agir : agir chacun à notre petit niveau ; mais aussi agir pour imposer une bifurcation écologique à nos gouvernants. Mais il n'est pas vain de commencer d’agir déjà à son petit niveau comme je le disais.
Je vois un lien entre cet emballement de la destruction de notre écosystème et le modèle consumériste dans lequel nous vivons, et je ne suis pas le seul à le penser et le dire. Vouloir manger des fraises en dehors des saisons, pour prendre cet exemple, a un effet papillon sur le changement climatique. Si nous étions une multitude à abandonner nos petits caprices de consommation, alors les circuits de distribution et d’approvisionnement ne seraient plus rentables et notre empreinte carbone pourrait valablement diminuer. Dans le même temps, il nous faut distinguer la différence entre les envies et les besoins, l’offre et la demande. Et c’est la démocratisation de l’information qui développera cette capacité de discernement et nous sortira du piège de la communication qui nous inocule l’envie de consommer. D’une certaine manière, je suis persuadé qu’alors que l’empreinte de l’activité humaine sur le climat s’est accrue en venant d’en haut, c’est de la base que viendra le frein à la destruction des écosystèmes, par l’éveil des citoyens.
Difficile de dire si nous parviendrons à restaurer l’équilibre entre l’humanité et la nature et surtout quand nous y parviendrons. Mais il faut le faire par égard aux futures générations si nous ne voulons pas qu’elles fassent partie de la 6e extinction.
La loi ZAN et l’action citoyenne
Nous sommes en plein dans les actions visant à réduire les effets de l’anthropocène. Pour lutter contre l'artificialisation des sols, la loi "Climat et résilience" du 22 août 2021 a défini un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) pour 2050. La loi du 20 juillet 2023 tend à faciliter sa mise en œuvre, notamment par les élus locaux.
En clair, il s’agit d'ici 2031, de réduire de moitié au moins la consommation totale d'espace observée à l'échelle nationale par rapport à celle de la période 2011-2021 (de 250 000 à 125 000 hectares) ; d'ici 2050, atteindre le ZAN, c'est-à-dire au moins autant de surfaces renaturées que de surfaces artificialisées. On peut voir qu’il y a deux façons d’y parvenir :
- Par l’optimisation des surfaces déjà artificialisées, en réhabilitant le bâti, en reprenant certaines friches industrielles pour installer de nouveaux projets, au lieu d’aller grignoter encore des espaces naturels ;
- Par la restitution à la nature d’autant d’espaces reboisés, renaturés, que d’espaces artificialisés pour les besoins essentiels (logements par exemple).
Or, on constate déjà de la résistance au niveau des responsables des collectivités territoriales pour l’application des objectifs de la loi ZAN. Certains ont même enclenché ici ou là des quantités de projets parfois inutiles, pour anticiper 2031 et 2050.
Les citoyens doivent prendre part à l’atteinte des objectifs de la loi ZAN, en participant partout ils auront le droit à la parole dans le cadre des enquêtes publiques environnementales, pour examiner le bien-fondé des projets, l’artificialisation supplémentaire des sols qu’ils contiennent, les solutions alternatives qui pourraient exister à cette artificialisation, afin de battre en brèche les projets inutiles et écocides.