Gilbert La Porte

Retraité, auparavant directeur régional de l'Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail

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Billet de blog 23 juillet 2023

Gilbert La Porte

Retraité, auparavant directeur régional de l'Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail

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L'enquête publique a-t-elle une vraie signification

Le village de Bourg Murat de 1500 habitants vit sous la menace de sa transformation en parc d'attractions dans le style de "La Soupe aux choux" de Jean Girault. Une enquête publique y est lancée pour que la population vienne dire son avis. L'enjeu n'est ni plus ni moins l’exclusion du patrimoine mondial de l'Ile de La Réunion. Voici mon ultime contribution au commissaire enquêteur.

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Lancée le 6 juin 2023 par un arrêté préfectoral, cette enquête publique a commencé le 26 juin 2023 et doit s'achever le 25 juillet, soit dans deux jours.

Durant ce mois, les pros et les antis se sont littéralement affrontés via des contributions adressées au commissaire enquêteur, Philippe Garcia, nommé comme il se doit par le Président du Tribunal administratif.

Les pros ont défilé aux permanences de l'enquête publique situées à la Mairie principale du Tampon (Ile de La Réunion) et dans deux mairies annexes de la Commune, pour donner leurs avis favorables, ou très favorables, ou encore très très favorables au projet de leur maire, génial visionnaire, qui allait avec ce projet faire ruisseler sur eux d'innombrables emplois grâce à ce parc.

Les schtroumpfs grognons ont plutôt défilé là-bas pour dénoncer tout ce que ce projet constituait comme menace pour l'environnement, les milieux naturels, la santé de la population et même la culture et l'histoire de ce petit village de la Plaine des Cafres.

Il faut dire que la population réunionnaise, mais elle n'est pas la seule, est habituée à courber l'échine devant toutes les promesses de charlatans qui leur promettent le ruissellement d'emplois en simplement traversant la rue. Ici, le charlatan du cru leur promet un avenir exceptionnel avec des contrats PEC de 4 mois suivis de 12 mois d'indemnisation au chômage. N'est-ce pas fabuleux à ce prix d'ouvrir les entrailles de la poule aux œufs d'or pour transformer le patrimoine mondial en un parc d'attractions comme dans le film de Jean Girault ?

Le maire a usé de ses pouvoirs de séduction pour amener le représentant de l'Etat, le préfet, visiter toutes ses réalisations écocides du patelin avant l'ouverture de l'enquête publique. Mais des gens pragmatiques comme moi ne croient nullement que ce haut fonctionnaire se laisserait corrompre au détour d'une balade à travers la belle commune du Tampon.

Une association citoyenne et écologiste dans l'âme, Domoun la Plaine, a investi toute son intelligence et son énergie pour, durant ce mois d'enquête, éveiller les consciences, faire de l'éducation populaire, décortiquer les quelques 600 pages du dossier technique pour dénoncer les pièges et les nombreux mensonges que personne dans la population n'aurait pris le temps de débusquer, inciter les gens à aller faire entendre leurs voix, pas seulement pour dire non au projet, mais pour l'argumenter au sens des impacts environnementaux. Car cette enquête publique a lieu pour aider l'autorité environnementale à prendre une décision d'autorisation ou non ce projet écocide à prendre place.

L'enquête publique doit avoir une réelle signification. Si tout est joué d'avance, les décideurs devraient économiser leur temps et le nôtre, ainsi que l'argent des contribuables, pour prendre tout de suite les décisions dignes des républiques bananières. Mais la France n'est pas une République bananière. Vous n'êtes pas d'accord ?

A deux jours de la fin de cette enquête publique, voici mon ultime contribution envoyée ce jour au commissaire enquêteur.

" Nous voilà dans la dernière ligne droite de cette enquête publique. Le commissaire enquêteur disposera ensuite d’un mois pour émettre son avis, favorable ou défavorable, à ce projet d’un autre temps. Puis le préfet d’un mois encore pour donner ou non son autorisation.

 Ce dernier n’aura pas la possibilité de venir nous dire : « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? ». Il aura eu en main tous les arguments pour prédire ce qui se joue à l’échelle de ce petit village coincé aux abords du patrimoine mondial, tout comme ce qui se joue au Grand Etang et les paddles. Qui peut croire que la monétisation par le saccage du patrimoine de l’Humanité ne fait pas peur à nos administrations et nos collectivités locales ?

 Nous espérons que le commissaire enquêteur saura distinguer lui aussi les prétextes de la création de 150 emplois PEC d’une part, et, d’autre part, et les enjeux de santé publique, de préservation des milieux naturels et de protection de l’Environnement. Son avis est attendu pour permettre à l’autorité ENVIRONNEMENTALE de prendre une décision au regard des enjeux environnementaux, et non pour permettre à l’économie néolibérale de poursuivre son travail de saccage de l’environnement et d’asservissement de la population qui a pour horizon de « travailler quatre mois sous contrats aidés et profiter pendant douze mois des indemnités de chômage » comme l’a promis le maire du Tampon.

 Nous lui faisons donc confiance et espérons qu’il saura donner la priorité aux questions environnementales pour lesquelles il a été missionné.

 Et puis, nous apprenons que le lendemain de cette enquête publique, le 26 juillet 2023, la CDPENAF est appelée aussi à se prononcer sur le projet. Curieux quand même cette interférence d’une décision institutionnelle sur le processus démocratique d’enquête publique. Mais cette commission a su en janvier dernier déjouer le piège des dix tyroliennes qui risquaient de damer le pion à l’autorité environnementale. Elle a su les bloquer par son avis défavorable, obligeant la municipalité du Tampon à faire des contorsions dans son dossier du parc.

 Nous faisons donc confiance aux membres de cette commission pour rester fidèle à eux-mêmes et à leurs convictions qui ont prévalu dans leur décision de janvier 2023. Le dossier technique du parc promet que la mairie reviendra plus tard avec ses tyroliennes : c’est indiqué noir sur blanc. La CDPENAF ne saurait se mentir à elle-même en six mois d’intervalle.

 Et puis, il y a cette décision du Comité du patrimoine mondial du 5 juillet 2013 : https://whc.unesco.org/fr/documents/123632, dans lequel il est rappelé à l’Etat français « que les activités telles que l’agriculture, la sylviculture, la production d’énergie et le tourisme doivent être gérées de manière à ne pas nuire à l’intégrité ni à la Valeur Universelle Exceptionnelle du bien [patrimoine mondial], que les projets de développement des activités économiques ayant un impact potentiel sur le bien doivent faire l’objet d’évaluation d’impact environnemental conformes aux normes internationales de bonne pratique et demande de plus à l’Etat partie de soumettre les rapports de ces évaluations d’impact environnemental au Centre du patrimoine mondial, conformément au Paragraphe 172 des Orientations ». Or, dans l’étude d’impact diligentée par la municipalité du Tampon, on ne voit aucune mesure d’impact des activités de tourisme que se propose de développer le projet.

 Le préfet de La Réunion et la présidente du Conseil régional sauront, j’en suis convaincu, respecter les décisions prises au niveau de l’UNESCO versus le projet qui promet 150 emplois précaires en saccageant le patrimoine mondial, au risque d’un déclassement prochains des Pitons, Cirques et Remparts."

A la lecture de ceci, vous pouvez encore, jusqu'au 25 juillet à minuit, adresser vos doléances à enquetepublique-loisurleau@reunion.pref.gouv.fr. Après le 25, les dés seront jetés.

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