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Billet de blog 21 octobre 2023

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Laudate Deum nous exhorte au « réalisme »

Qu’on cesse enfin de recourir à l’argument de la « vie réelle » pour justifier le business as usual mortifère !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Huit années se sont écoulées […] Mais je me rends compte au fil du temps que nos réactions sont insuffisantes alors que le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture. » (LD 2) Dans ces quelques lignes de l'exhortation apostolique Laudate Deum (LD), la lassitude du pape François face au refus de notre monde de voir la réalité en face et d’agir avec la détermination nécessaire est tangible. Elle fait écho au ras-le-bol des climatologues justement rapporté dans la presse ces dernières semaines.

Deux perceptions opposées de la « réalité » sont apparues au grand jour, lors de de l’université d’été 2023 du MEDEF, entre Mr Jean Jouzel, paléoclimatologue éminent et ancien vice-président du GIEC, et Mr Patrick Pouyanné, président de TotalÉnergies. Quand le premier insiste sur la nécessité de réduire la consommation des combustibles fossiles, le second invoque la “vie réelle” et le besoin en énergie de la société. Peut-on renvoyer dos à dos ces deux visions ?

L’exhortation apostolique Laudate Deum spécialement consacrée au dérèglement climatique, en s’appuyant sur des données scientifiques solides, choisit son camp sans ambiguïté ! C’est ce que nous, comme chrétiens engagés dans la réflexion et l’action sur les sujets d’écologie depuis de nombreuses années, voulons affirmer en réagissant ici avec force aux propos récents tenus par le président de TotalÉnergies.

Non, ce que Mr Pouyanné nomme la « vie réelle » désigne plutôt un monde déconnecté de la réalité.

Début septembre, la ville de Derna en Lybie était dévastée par la tempête Daniel laissant derrière elle au moins 4 000 morts et plus de 40 000 déplacés. Y a-t-il une réalité plus prégnante ?

Au même moment, des pluies torrentielles frappaient plusieurs pays d’Europe. Et plus récemment New York, paralysant la ville. C’est cela le monde réel aujourd’hui.

Depuis le début de l’année, au Canada, les incendies ont brûlé environ 18 millions d’hectares de forêts, soit l’équivalent d’un tiers de la surface de notre pays.

A cause du réchauffement climatique, les pays de la Corne d’Afrique ont connu ces dernières années leurs pires sécheresses attisant les conflits et aggravant la faim des populations. Y a-t-il une réalité plus concrète pour les personnes que le manque d’eau et de nourriture ?

En France, les températures records enregistrées encore ce début d'octobre laissent présager des conditions climatiques de plus en plus complexes dès les prochaines années.

Voilà la réalité : « les signes du changement climatique sont là, toujours plus évidents. » (LD 5)

Aux associations qui dénoncent ses projets climaticides, Mr Pouyanné répond : « ce n’est pas nous qui contrôlons la demande », « nous ne fabriquons pas d’avions ou de voitures ». Une rhétorique bien légère employée communément par les géants du pétrole pour ne pas endosser leur responsabilité. Car ceux-ci sont totalement parties prenantes d’un système économique générateur d’un monde consumériste sans limite, courant à sa perte. Ils sont en vérité le carburant même de ce monde insatiable et mortifère.

En traitant avec dédain les injonctions des scientifiques à renoncer à tout nouveau projet de charbon, de pétrole et de gaz afin de respecter l’Accord de Paris, et en persistant au contraire à développer l’exploitation de ces énergies, les TotalÉnergies, BP et autres laissent croire à nos sociétés qu’on peut continuer à vivre comme aujourd’hui en émettant toujours plus de CO2. Ils entretiennent ainsi un monde illusoire et inconséquent.

L’appétit de leurs actionnaires myopes pour lesquels seul compte le court terme n’est pas étranger à cette stratégie calamiteuse. Ces firmes sont en réalité les funestes suppôts d’un monde cupide, prédateur et destructeur.

Non, ce que représente Mr Pouyanné et ses homologues n’est pas le « monde réel » mais un monde d’illusion et de désolation.

Au regard de la situation gravissime à laquelle nous avons à faire face, un « principe de réalité » authentique nous conduit à affirmer deux convictions capitales qui devraient servir de base pour les actions à mener impérieusement.

D’une part, la soumission aux règles du système économique actuel, asservi à un capitalisme mondialisé et dérégulé, ne peut primer sur le respect des besoins vitaux des humains, et même des non-humains. Le cadre économique est une construction humaine et, dans sa forme prédominante actuelle, n’a que quelques décennies alors que les besoins de populations humains de se nourrir, de disposer d’un habitat hospitalier etc. sont de toujours. Dès lors, il apparaît comme une impérieuse nécessité à la communauté humaine de reprendre le contrôle du bolide fou qui la conduit droit vers le précipice. Même si cela s’avère complexe et requiert des choix courageux.

« Nous devons cesser de sembler être conscients du problème, mais n’ayant pas, dans le même temps, le courage de faire des changements substantiels. » (LD 56)

D’autre part, le constat incontournable que notre train de vie occidental dépasse allègrement les limites planétaires nous oblige à viser une certaine « sobriété ». Il ne s’agit pas de « nous serrer la ceinture » mais plutôt mettre un frein à une boulimie consumériste qui non seulement ne nous apporte pas plus de bien-être mais nous rend malades et insatisfaits. Pour cela, la notion « d’acceptabilité sociale » ne doit pas être utilisée comme un alibi à l’immobilisme mais plutôt considérée comme un défi à relever en travaillant, en tout premier lieu, les questions de justice sociale.

            Il y a un an notre président s’était engagé dans une voie intéressante en parlant de « fin de l’abondance et de l’insouciance ». Il est urgent de remettre le pied à l’étrier tous ensemble, et spécialement ceux qui exercent des responsabilités politiques et économiques, pour réorienter l’imaginaire collectif vers un avenir réellement désirable.

Et qu’on cesse une fois pour toutes de recourir à l’argument du « réalisme » pour justifier le business as usual dévastateur !

Gilbert Landais et William Clapier, membres de Chrétiens Unis pour la Terre

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