Nous voulons "voir", et "savoir". Nous voyons, nous savons des choses.Et nous savons que nous voyons, nous savons que nous savons. Avec des manques, des incertitudes, des déceptions. Nous ne pouvons nous empêcher de croire que nous savons ; mais nous ne savons pas toujours que nous croyons savoir. Voir, savoir, croire se combinent et se bousculent, dans une kaléidoscopie toujours changeante. Car nous ne cessons de penser plus loin encore que nous ne pourrions imaginer, et d'imaginer bien au-delà de ce que nous sommes capables de penser.
Par ailleurs, comme toutes les formes de vie, nous avons pour intérêt essentiel nous-mêmes. S'acharner à continuer d'être, c'est cela, la vie.
Et, pour vivre, il faut "savoir infailliblement" et reconnaître à coup sûr ce qui est nutriment, ce qui est danger, ce qui peut nous prolonger, nous succéder comme d'autres nous-mêmes. Il nous faut pouvoir détecter ce qui nous est indispensable ; il nous faut pouvoir aller le chercher, nous en emparer. Des mémoires guident notre reconnaissance, au contact ou à distance d'espace et de temps. Des capteurs guident notre approche ou notre fuite. Cela, beaucoup de nos cousins savent le faire.
Nous sommes seuls à "voir sans voir", approcher ou nous éloigner sans bouger, "agir sans agir" (Paul Valéry a dit que c'était cela, penser). Nous sommes seuls à pouvoir faire naître, par la pensée, un monde sans autre existence que celle de notre pensée ; nous pouvons choisir de le transformer, ou non, en existant, ou encore en simulation d'être : nous pouvons imaginer.
Le "il y a", la pensée, le "et si", l'imagination, prennent forme d'"oeuvres". Nous créons, et en acte fabricateur, et en agir sans agir. A partir de nos "voir, savoir, croire". Les domaines les plus fréquents de cette activité incessante, concrète et de pensée, sont ceux des tâches de notre vie quotidienne. Ceux qui nous touchent le plus, qui nous mobilisent, nous inquiètent, nous font espérer et désespérer, sont le plus lointain et le plus proche. Celui de la cosmologie, avec ses échelles démesurées, qui désarment l'imagination et défient tous nos savoirs. Celui de la vie, le nôtre ; celui de la biologie évolutive, dont nous savons n'être qu'une forme, qu'un moment particulier.
Dans ces deux directions, nous ne cessons d'explorer,de chercher à voir mieux, plus ; nous imaginons sans relâche ; nous agissons de manière apparemment détachée de notre essence de vivants "auto-téléonomiques". Notre soif de savoir et de croire est inextinguible.
Il y a...quoi ? Le monde et la vie, et nous sommes vivants, dans le monde. Et si...quoi? Eh bien, si ce monde n'avait ni commencement ni fin, par exemple...Mais alors...ou bien, rien ne changerait , mais nous voyons bien que tout change.Ou bien, le même cycle de changements reviendrait sans fin sur lui-même ; mais nous ne connaissons pas de cycle immuable. Il y a...que tout change sans changer. Et si...changer et ne pas changer n'étaient que deux façons de voir la même chose...mais alors...il nous faut apprendre à voir, à savoir, à croire autrement...
Nous sommes condamnés à croire, et détruire nos croyances. A apprendre que nos savoirs"infaillibles" sont à rendre plus précis, plus limités à des "champs", et en même temps toujours susceptibles de s'accroître, de se préciser, de prendre d'autres formes rendues nécessaires par des champs d'action et d'exploration nouveaux. Notre spécialité obligée, c'est la fuite vers l'avant : plus nous savons, plus nous découvrons de zones de non-savoir. Plus nous devenons puissants, plus notre puissance nous met en présence de forces supérieures.
Continuons nos "il y a", nos "et si", nos "mais alors" : ils disent ce que nous sommes.