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Billet de blog 10 février 2025

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Un bilan critique et subjectif de la loi du 11 février 2005 sur le handicap

Je livre ici un bilan critique et subjectif de la loi du 11 février 2005 sur le handicap. Cette législation transforme considérablement certains aspects des politiques publiques du handicap, en convergeant partiellement vers les principes d’inclusion, mais son contenu et ses modalités d'application sont très ambivalents et n'ont pas permis de garantir l'inclusion sociale des personnes concernées.

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       La loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est adoptée le 11 février 2005. Cette législation transforme considérablement certains aspects des politiques publiques du handicap, en convergeant partiellement vers les principes guidant les politiques internationales du handicap (principe d’inclusion, accessibilité universelle, etc.). La forme même de cette loi est emblématique d’un changement de paradigme : la quasi-totalité des articles visent à modifier des aspects des codes juridiques communs à toute la population. Cette loi se traduit par la création de nouveaux organismes, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et les Maisons départementales pour les Personnes handicapées (MDPH), à l’échelle des Départements. Alors que la loi de 1975 ne prévoyait pas de définition de la personne handicapée, celle de 2005 en prévoit une, qui reste globalement encastrée dans une perception médicale du handicap : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».

      Cette loi tend vers l’application partielle de la logique d’inclusion, avec l’encouragement de la scolarité en milieu ordinaire et l’exercice privilégié d’un emploi en milieu ordinaire, sans mentionner le concept lui-même dans le texte de la loi. La législation prévoit que « L’Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés », tout en autorisant la scolarité dans les établissements ou services médico-éducatifs. Cette dernière mesure rompt avec le principe de non-ségrégation au cœur du concept d’inclusion. L’application du principe d’inclusion implique que le système scolaire doit s’adapter aux besoins des élèves, en valorisant les différences et les capacités de chacun, et en mettant en place les dispositifs nécessaires à leur réussite scolaire (soutien adapté, etc.)[1]. Pour certains auteurs, il implique d’offrir le soutien nécessaire à chaque élève sans exiger une attestation administrative susceptible de générer une stigmatisation. La législation affirme également la liberté de choix entre une communication bilingue et une communication en langue française dans le cadre du parcours scolaire. Finalement, la loi du 9 juillet 2013 va légitimer le concept d’inclusion, en déterminant que le service public de l’éducation doit « veiller à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction ».

      On observe au cours des années suivantes l’augmentation du nombre d’enfants handicapés scolarisés dans les écoles primaires ordinaires et les établissements secondaires ordinaires. Ainsi, on passe de 126 000 enfants scolarisés en milieu ordinaire en 2005, à 240 000 en 2015, puis à 384 030 en septembre 2020, 450 000 en 2022. Cette augmentation du nombre d’élèves scolarisés en milieu ordinaire ne s’explique pas par un recul des dispositifs d’éducation spécialisée, mais par d’autres facteurs, et notamment l’élargissement du nombre d’élèves à l’entrée en 6e, et la prolongation de la durée de scolarité au collège ou au lycée des enfants handicapés. Ce maintien dans l’enseignement scolaire ordinaire est facilité par l’accroissement des dispositifs dits « d’intégration » (Unités pédagogiques d’intégration) puis « d’inclusion scolaire » (Unités localisées pour l’inclusion scolaire) qui permettent une présence dans les écoles ordinaires. Les études réalisées montrent que ces dispositifs d’inclusion ne conduisent généralement pas à une réelle inclusion sur le plan social, ni sur le plan pédagogique[2]. Les chiffres élevés du nombre d’élèves handicapés scolarisés en milieu ordinaire masquent l’essentiel, la faible qualité du soutien dispensé pour réussir cette inclusion scolaire. Ces défaillances dans le soutien aux élèves génèrent de nombreuses difficultés et des ruptures dans les parcours de scolarisation, notamment au moment d’accéder au second degré ou à l’enseignement supérieur. De plus, il n’y a pas eu de recul du nombre d’élèves dans les établissements médico-sociaux pendant les deux décennies suivant la loi de 2005, bien au contraire.

      Cette loi de 2005 vise également à simplifier les démarches administratives pour accéder aux aides, prestations et services, avec la création d’un guichet unique, les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Les MDPH remplacent dès janvier 2006 les organismes déjà existants (COTOREP), tout en incluant de nouvelles missions. Toutefois, le manque de moyens attribués par l’Etat au fonctionnement de ces MDPH place les fonctionnaires devant une montagne de dossiers à instruire, sans possibilité d’accompagner les personnes concernées. Cette inflation d’activités est préjudiciable à la qualité du service rendu, et engendre de fortes disparités géographiques dans les pratiques. De plus, les réponses proposées par les MDPH ne convergent pas toujours vers la meilleure orientation souhaitable, mais sont parfois déterminées par les possibilités locales d’accueil et d’accompagnement.

      Cette loi accentue légèrement les contraintes sur le plan de l’accessibilité universelle. L’article 45 impose l’accessibilité du cadre bâti, de la voirie, des espaces publics et des systèmes de transport, afin de garantir que toute la chaîne de déplacement soit accessible aux personnes handicapées en autonomie. Elle oblige les pouvoirs publics à développer certaines actions en faveur de l’accessibilité, sans les contraindre véritablement à le faire dans des délais courts. En effet, la loi prévoit que cette mise en accessibilité doit se faire dans un délai de 10 ans à partir de la publication de la loi, mais les sanctions financières et pénales prévues en cas de non application restent modestes et sont loin d’être dissuasives. Les Directions départementales des territoires (DDT), chargées du suivi des mesures d’accessibilités des Etablissements recevant du public et de la voirie, suivent de manière très aléatoire le sujet, du fait du manque de fonctionnaires spécialisés (entre 1 et 10 ETP chargés du suivi de l’accessibilité des ERP au sein de chaque DDT) et de la complexité de l’actualisation du recensement. De nombreuses préfectures ont visiblement joué un rôle actif pour interpeller les municipalités au sujet des Plans d’accessibilité de la voirie et des espaces publics (PAVE) au moment de l’achèvement du premier délai (2009), mais cette pression des préfectures est ensuite largement retombée et est désormais inexistante. Les DDT n’effectuent plus de suivi des PAVE depuis plus d’une décennie. Le gouvernement a accordé à plusieurs reprises des délais supplémentaires pour appliquer les normes d’accessibilité, contrairement aux revendications associatives et aux recommandations des sénateurs ayant étudié le sujet, qui avaient indiqué que « reculer la date de 2015 n’est pas envisageable, ni souhaitable ». Le gouvernement adopte en septembre 2014 une ordonnance qui contraint les mairies à adopter un agenda d'accessibilité programmée des établissements recevant du public (Ad'Ap) avant septembre 2015, tout en leur permettant de gagner un délai supplémentaire (jusqu’à 9 ans) pour la mise en accessibilité des ERP. De la même manière, un délai supplémentaire est accordé aux autorités organisatrices de transport pour réaliser les travaux d’accessibilité dans un délai de 3 à 9 ans. Le bilan, 20 ans après la loi de 2005, est sans équivoque : moins de la moitié des ERP ont été rendus accessibles, et les pouvoirs publics ne sont pas exemplaires en la matière : La majorité des ERP municipaux, notamment dans les très grandes villes, ne sont toujours pas accessibles en 2025. Certaines communes ont déployé de multiples stratégies pour ne pas se soumettre aux obligations légales liées à l’accessibilité : non respect des investissements prévus par l’Ad’Ap ; refus de convocation de la commission communale d’accessibilité ; multiplication des demandes de dérogations. Le bilan des mesures visant à l’accessibilité de la voirie (PAVE) est assez désastreux : Toutes les grandes métropoles ont adopté un PAVE et veillé à améliorer l’accessibilité d’une partie de leur voirie, mais au moins 30% des communes de moins de 8 000 habitants n’ont pas respecté cette obligation légale 16 ans après le délai fixé (2009). D’ailleurs, les PAVE adoptés couvrent des portions de la commune très variable, certains PAVE se limitant à l’hyper centre-ville, restreignant donc considérablement la superficie de la voirie réellement accessible.

        La loi de 2005 a conduit à des progrès sur le plan de l’accessibilité des transports publics urbains, mais qui restent largement insuffisants, et de nombreuses dérogations légitiment l’absence d’accessibilité du fait d’impossibilité technique (comme pour le métro parisien). La loi de 2005 était assez ambitieuse en matière d’accessibilité des logements neufs, puisqu’elle prévoyait que tous les logements situés au rez-de-chaussée, tous ceux situés en étages et desservis ou susceptibles d’être desservis par ascenseur doivent être accessibles dès la construction. Les grands constructeurs ont déployé une forte pression sur les gouvernements successifs, et ont obtenu un assouplissement de cette norme sous le gouvernement Macron. En effet, l’Assemblée nationale adopte le 23 novembre 2018 la loi ELAN, qui réduit à 20% le nombre de logements neufs immédiatement accessibles, le reste (80%) étant « évolutifs » [3]  plutôt qu’accessibles. Plusieurs associations se sont élevées de manière légitime contre cette mesure de régression sociale.

       La loi de 2005 rappelle les obligations des employeurs privés et publics ayant vingt salariés ou plus, en renforçant cette obligation d’emploi (6% de l’effectif total), en particulier auprès des employeurs publics. En effet, elle oblige les employeurs publics à contribuer financièrement au Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) s’ils ne respectent pas ce quota. Le FIPHFP nouvellement créé développe une série d’actions facilitant l’accès à l’emploi. La politique de promotion de l’emploi continue à concilier l’incitation (avec les nombreuses exemptions fiscales, l’aide à l’adaptation du poste de travail, etc.) et la coercition. La législation contraint également l’employeur à adapter le poste de travail à la personne handicapée, tant que cela n’entraîne pas de charges disproportionnées pour l’entreprise. Ces nouvelles contraintes aboutissent pendant les années suivantes à une lente progression du pourcentage d’emploi des personnes handicapées au sein des administrations publiques et des entreprises privées : Au sein du secteur public, l’évolution est très nette (de 3,59% au sein de l’Etat en 2006, à 4,65% en 2016). Ce taux d’emploi est beaucoup plus faible dans les entreprises privées de 20 salariés et plus concernées : on passe d’un taux de 2,7% en 2012 à 3,8% en 2016, à 3,5% en 2021. Environ 20% des entreprises concernées n’emploient aucun salarié bénéficiant de l’obligation d’emploi. Un pourcentage considérable de personnes handicapées n’a pas d’activités professionnelles rémunérées (20% de chômage) du fait de l’organisation sociale du travail qui tend à les exclure. L’emploi des personnes handicapées continue d’être marqué par le caractère subalterne des emplois exercés, les faibles salaires attribués, les difficultés liées à la progression professionnelle[4]. Parmi les obstacles à une insertion sur le marché ordinaire du travail, figurent le faible niveau de qualification, l’absence d’enseignement scolaire dans nombre d’établissements médico-sociaux (IME), et l’effet de filière qui conduit nombre d’élèves des établissements médico-sociaux à intégrer ensuite des formes d’emplois protégés.

         Fait important, la loi de 2005 modifie partiellement les modalités du travail protégé. Elle modifie l’intitulé des institutions (les CAT deviennent des ESAT, les Ateliers protégés deviennent des entreprises adaptées) et reconnaît un véritable statut de travailleurs aux personnes travaillant dans les Entreprises adaptées. Mais elle maintient un statut discriminatoire pour les travailleurs des ESAT, qui dépendent toujours du code de l’action sociale et des familles, même s’ils bénéficient de nouveaux droits, comme le droit aux congés payés, aux congés de présence parentale, à la formation continue et à la validation des acquis de l’expérience. Mais ils ne sont pas reconnus comme des salariés, ne sont pas soumis à l’assurance chômage, n’ont pas le droit de grève, ni de créer une section syndicale. Cette exclusion du droit commun du travail est justifiée par le fait que ces travailleurs handicapés bénéficient d’un suivi médico-éducatif tout en exerçant une activité professionnelle. Théoriquement, ces établissements médico-sociaux doivent favoriser leur montée en compétence professionnelle, leur accès à l’autonomie, pour in fine leur permettre éventuellement d’intégrer ensuite une entreprise adaptée ou le milieu ordinaire. Le nombre d’ESAT a augmenté légèrement entre 2005 et 2021 (de 1410 à 1496 ESAT), tout comme le nombre d’entreprises adaptées (de 586 en 2005, à 791 en 2021). Le nombre de travailleurs dans ces ESAT a augmenté légèrement depuis 2005, d’environ 110 000 à 118 796 fin 2021. La majorité des travailleurs touchent visiblement entre 55 et 70% du SMIC, ce qui ne permet pas l’indépendance économique. Il reste quasi impossible pour eux de progresser professionnellement. Mais la réalité, c’est qu’une très faible minorité de travailleurs des ESAT (moins de 3%) rejoignent ensuite le milieu ordinaire[5].

        Cette politique de l’emploi évolue légèrement à partir de 2017 sous la pression internationale, le comité des droits de l’ONU dénonçant régulièrement les défaillances de la politique française en matière d’emploi des personnes handicapées. En 2017, un dispositif d’ « emploi accompagné » est mis en place pour favoriser l’insertion en milieu ordinaire. Une légère avancée a eu lieu avec l’adoption de la loi “Avenir professionnel” du 5 septembre 2018 : le recours à la sous-traitance via les ESAT n’est plus décompté au titre de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés. Confrontés à la demande de suppression des ESAT formulée par la rapporteuse de l’ONU, plusieurs associations gestionnaires (UNAPEI, UNIOPSS, APF, APAJH, etc.) présentent le travail en ESAT comme « inclusif » (sic) pour les personnes en situation de handicap les plus éloignées de l’emploi. Ces associations ont réaffirmé la nécessité que les travailleurs des ESAT relèvent du Code de l’Action sociale et des familles, et non du Code du Travail, ce qui est discriminatoire.

       Cette loi officialise la prestation de compensation du handicap, dont l’existence était en germe depuis la loi de 1975, mais n’avait été concrétisée que sous une forme très partielle et avec une faible ampleur. Cette législation instaure une palette de nouvelles prestations plus diversifiées afin de garantir un minimum de ressources à l’ensemble des personnes handicapées, sans garantir pour autant des ressources égales au SMIC. La principale nouveauté réside dans la création d’une nouvelle allocation, la prestation compensatrice du handicap (PCH), qui couvre une grande diversité d’aides potentielles (aides humaines, aides techniques, aménagement du logement ou du véhicule, surcoûts éventuels liés aux frais de transport, charges spécifiques) qui peuvent s’additionner, et qui doivent théoriquement permettre à la personne de développer son projet de vie. Le nombre d’allocataires augmente très rapidement, passant de 8900 en 2006, à 347 121 en décembre 2020. Introduite dès 2006, cette prestation avait pour vocation de remplacer progressivement une allocation antérieure, l’ACTP. Effectivement, le nombre de bénéficiaires de l’ACTP baisse régulièrement depuis 2005, passant de 136 000 personnes en 2006 à 51868 en 2020. Les bénéficiaires ayant des besoins importants en termes d’aide humaine ou matérielle ont rapidement choisi d’opter pour la PCH. Mais les allocataires ayant une déficience intellectuelle, psychique ou visuelle ont privilégié la conservation de l’ACTP, dont le calcul les avantageait. Plusieurs limites méritent d’être mentionnées concernant cette PCH, tant sur le plan de la limite d’âge pour la solliciter, que sur le périmètre des services couverts (excluant par exemple l’aide ménagère),  ou des plafonds institués qui ne permettent pas de couvrir les besoins réels des personnes concernées. De plus, la loi de 2005 favorise la poursuite de l’élargissement des bénéficiaires de l’AAH au cours des années suivantes, passant progressivement de 801 000 bénéficiaires en 2005 à 1237 855 en 2020[6]. Malgré les réclamations associatives permanentes pour que l’AAH atteigne le SMIC, l’AAH reste toujours sous le seuil de pauvreté. Après plusieurs refus réitérés, le gouvernement consent en 2022 à accepter la déconjugualisation de l’AAH, mais invoque des problèmes techniques pour en retarder l’application à octobre 2023. De la même manière, le nombre de bénéficiaires de l’Allocation personnalisée d’autonomie augmente considérablement, atteignant 1318 168 bénéficiaires en décembre 2020 (dont 781 921 à domicile, 536 247 en établissement).

       Cette loi de 2005 opère un transfert de charge partiel, permettant à l’Etat de répartir la charge du financement de ces allocations au profit des Départements et des organismes de la sécurité sociale. Ce faisant, elle vient entériner une dynamique déjà existante à la fin des années 1990.

       Enfin, il convient également de mentionner ce que la loi ignore, et donc ne finance pas ou très mal, contrairement aux revendications associatives : La prise en charge de la compensation des dépenses liées à l’exercice des responsabilités politiques (conseillers municipaux, maire, etc.) est très insuffisante : La prestation de compensation du handicap prévoit uniquement la prise en charge de 156 heures pour les frais liés à l'exercice d'un mandat électoral. Cette législation ne prévoit pas non plus de mesure pour favoriser le développement des groupes de soutien par les pairs. Cette législation ne règle pas non plus la question de l’accès à la sexualité. Cette question est prise en charge par certaines associations, notamment l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel créée en 2013, qui vise la création d’un site de rencontre entre les personnes handicapées et les assistants sexuels, et la création de formation pour les assistants sexuels et de groupes de parole. Cette loi de 2005 ne mentionne pas non plus le concept de validisme ou de capacitisme, qui désigne l’ensemble des discriminations à l’égard des personnes handicapées. Ce concept recouvre une multitude de discriminations, de préjugés et de dénigrement des capacités physiques et intellectuelles, de violences systémiques, qui conduisent à attribuer une valeur sociale inférieure aux personnes handicapées[7].

      Contrairement à l’évolution des politiques dans les pays nordiques, cette loi de 2005 ne se positionne pas clairement en faveur de la désinstitutionnalisation, le concept n’apparaît pas dans la loi ni dans les textes règlementaires. Les autorités continuent d’ailleurs de soutenir la création de nouveaux foyers d’accueil pour les adultes handicapés, contrairement aux recommandations de l'ONU sur la question. Le nombre de Foyers d'accueil médicalisés (FAM) et de Maisons d'accueil spécialisées (MAS) continue d’augmenter, le nombre de personnes accueillies passant de 42 568 en 2011 à 63 254 en 2021[8]. Cette dynamique est à mettre en parallèle avec la faible action entreprise pour garantir l’accessibilité de l’espace public et des logements ; et avec l’insuffisance des dispositifs destinés à favoriser une vie autonome à domicile pour les personnes dépendantes. Rien d’illogique, au final, à ce qu’une société qui agit de manière lente et défaillante pour favoriser le vivre ensemble déploie de l’énergie et des moyens conséquents pour favoriser la vie dans des institutions spécialisées, qui génèrent encore trop souvent la ségrégation socio-spatiale des personnes concernées à l'échelle de la cité. En 2024, il était encore possible, comme dans la ville de Redon où j’habite, de construire des foyers logements pour des personnes handicapées à 3 km du centre-ville et à 2 km de tous les services (commerces, cinéma, théâtre, salles de sport, etc.). Si l’on analyse de manière critique les faits, il est difficile de penser que le concept d’inclusion au sein de la cité soit systématiquement pris en compte par les dirigeants associatifs et politiques au moment de faire des choix…

[1] Ce concept ne concerne pas uniquement les enfants en situation de handicap, mais aussi les élèves à très haut quotient intellectuel, les élèves allophones et bien d’autres enfants qui ont besoin d’un soutien spécifique.

[2] Godefroy Lansade, La vision des inclus. Ethnographie d’un dispositif pour l’inclusion scolaire, INSHEA/Champ Social, 2021.

[3] Cela signifie qu’à la livraison du logement un acquéreur non concerné par l’accessibilité peur faire modifier la configuration des pièces avec le l’obligation de le remettre en l’état avant son éventuelle revente.

[4] En effet, les personnes handicapées sont surreprésentées au sein des professions et catégories professionnelles les moins qualifiées et les moins rémunérées. Les femmes handicapées sont particulièrement marginalisées sur le marché du travail et dans l’emploi (taux de temps partiel très important, moindre rémunération).

[5] Mathéa Boudinet, « Sortir d’ESAT ? Les travailleur-ses handicapé-e-s en milieu protégé face à l’insertion en milieu ordinaire de travail », Formation Emploi, 2021/2, p. 137-156.

[6] DREES, L'aide et l'action sociale en France, 2020.

[7] Comme le fait d’être traité comme des enfants, de ne pas être écouté, d’être considéré comme non légitime, le fait qu’on présume que vous ne pouvez pas avoir de sexualité, être marié, etc ; le fait qu’on trouve normal de ne pas respecter vos droits, etc.

[8] Noémie Rapegno, Etablissements d’hébergement pour adultes handicapés en France : enjeux territoriaux et impacts sur la participation sociale des usagers. Application aux régions Ile-de-France et Haute Normandie, Thèse de géographie, EHESS, 2014, p. 146.

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