En ce moment sur Arte sont diffusées de petites pastilles signées François Busnel évoquant les grands mythes grecs. Tous les dieux de l'immense panthéon héllène y ont droit, et le moins que l'on puisse dire c'est que durant l'antiquité, que ce soit à Athènes, Rome ou en Égypte, on avait une autre vision des Dieux. Avant que ces derniers ne façonnent, parait-il, les Hommes à leur image, l'inverse était de rigueur. Juste avant que n'émergent leurs successeurs, ceux des Catholiques, des Juifs ou des Musulmans, qui se ressemblent beaucoup au point d'être parfois les mêmes, l'humanité – du moins, celle qui trempait ses pieds dans le petit pédiluve méditerranéen, soit une infime représentation de l'ensemble de la population mondiale de l'époque – avait créé une quantité astronomique de Dieux complètement à son image : jaloux, cruels, amoureux mais infidèles, séducteurs, haineux, aucun défaut humain n'était oublié. Mais éprouvés par des créatures aux pouvoirs immenses et infinis, ce qui a fini de modeler pour toujours l'Histoire et la vie des hommes et des femmes de l'époque, et même notre vie actuelle. Du moins, d'après leurs légendes.
Zeus, le patron des Dieux olympiens, a eu une épouse, sa propre sœur Héra, et un nombre illimité de maîtresses et d'enfants, à tel point qu'il fait naître lui-même la plus brillante de ses filles, Athena, par son propre crâne. Cette dernière, Déesse de la Guerre mais sage et avisée comme quasiment aucun de ses congénères autour d'elle, fit du mal à une humaine, Arachné, tellement douée au filage qu'elle surpassait ses propres qualités, ce qui attisa sa jalousie. De rage elle détruisit l'atelier de la jeune tisseuse, qui se pendit pour avoir provoqué sans le savoir la Déesse. Cette dernière la transforma en araignée, qui reprit donc son travail de tissage. Les exemples prouvant les piètres qualités mentales et de sagesse de ceux qui étaient censés guider ces pauvres fourmis qui habitaient les campagnes et les villes de la Grèce Antique sont infinis. Pour nous, enfants des religions monothéistes dont nous suivons, que nous soyons athées ou nous, le moindre précepte encore aujourd'hui, parce qu'ils sont forcément guidés par la sagesse divine, un Dieu ne pouvant se tromper, il est difficile de comprendre que des divinités soient non pas des exemples à suivre, mais des miroirs de nous même. Ces êtres célestes n'étaient pas meilleurs que nous, ils étaient juste nettement plus puissants. Ce qui les rendait autrement plus redoutables.
Ces histoires – parce que c'est de ça dont il s'agit – existaient parce qu'elles permettaient d'expliquer aux Hommes ce que la science ne pouvait pas encore comprendre. A défaut de conclusion scientifique, nos ancêtres hellènes expliquèrent l'hiver et le printemps par le fait que Perséphone, fille de Zeus mariée de force à Hadès, le Dieu des Enfers (accessoirement son oncle puisque frère de Zeus), revenait tous les six mois vivre sur Terre. Sa mère, Demeter, déesse de l'agriculture, faisait régner l'hiver lorsque sa fille vivait aux côtés d'Hadès dans les Enfers, et renaître le printemps lorsque Perséphone remontait à la surface. À défaut d'une autre explication, celle-ci faisait l'affaire. Avouons que c'est autrement plus romanesque que toutes ces histoires soporifiques d'anticyclones, de gulf stream et de masses d'air froides.
L'humanité n'aimait pas les Dieux, mais elle les craignait. Si une déesse était capable de faire cesser les récoltes pendant six mois simplement parce qu'elle ne pouvait pas voir sa fille, il était évidemment peu recommandé de ne pas leur obéir et de les défier. Même les puissants héros, Heraclès, Persée, Ulysse, souvent des demi dieux d'ailleurs, se tournaient souvent vers les Dieux, et notamment Athéna, pour les aider dans leurs immenses exploits. Parce que les hommes et les femmes ne pouvaient exister sans les Dieux, pas seulement parce que ces derniers les avaient créé : aussi parce qu'ils pouvaient les détruire à la moindre saute d'humeur. Autant dire qu'il ne fallait pas se rater au moment des hommages, dans les innombrables temples bâtis en leurs honneurs.
Toutes ces légendes locales ont façonné notre civilisation greco romaine, sans doute plus même que les religions qui les ont supplanté durant notre ère. Notre alphabet, notre mode de vie, un nombre incalculable de mots et de traditions, nous ont été fournis par les deux civilisations qui ont dominé la majeure partie de la Méditerranée il y a 2000 ans. Des légendes qui n'étaient pas forcément destinées à prospérer. Ils étaient les livres, les films que nous consommont aujourd'hui à outrance. Les Avengers sont des héros modernes, mi hommes ou femmes, mi divinités. Toutes ces histoires étaient enseignées pour éduquer, mais aussi distraire et surtout faire que les Humains restent bien sages et ne provoquent pas l'ire des Dieux, et ainsi éviter des catastrophes, que ces derniers engendraient pourtant parfois sans qu'un habitant de la Terre n'y soit pour quelque chose, à l'image des humeurs de Demeter.
Nos divinités actuelles sont autrement plus sages, granitiques, et même, pourrait-on dire, franchement ennuyeuses et barbantes. Drapées de sagesse infinie, elles se contentent de veiller sur le destin des hommes, du moins ceux qui les vénèrent. Aucune histoire de coucherie, de jalousie, de pouvoir... non, elles sont juste là, elles n'ont pas de visage, parfois pas même de nom, elles ne se côtoient pas, elles se contentent de leur présence menaçante et guérissante pour tenir l'humanité bien en laisse. Lorsque la Terre tremblait en Grèce, ou que la mer se soulevait ou que les récoltes étaient mauvaises, surgissait une explication divine. Sans doute que Zeus ou Poséidon s'étaient une énième fois querellé, provoquant la dévastation sur Terre. Dans le même cas aujourd'hui, pas d'explication : les Dieux nous éprouvent, et seule notre réaction aux évènements prouve notre valeur. Ils sont censés nous avoir créé à leur image, mais si c'était le cas, qu'est-ce qu'on s'ennuierait ! Nous ressemblons nettement plus à Zeus et à Demeter qu'à nos dieux actuels. Sans doute parce qu'ils n'étaient pas des divinités comme nous les considérons aujourd'hui, mais des échos de nous-même. C'était des personnages de fiction – même s'ils étaient extrêmement réels dans les esprits de l'époque – qui illustraient les propres travers des Hommes, leurs faiblesses et leurs forces. Ils n'offraient pas un exemple, ils étaient une réverbération de nous-même, du moins du nous de l'époque. C'est sans doute pour cela que malgré le côté impérialiste et ultra-dominateur des religions actuelles, qui auraient pu les effacer comme ils en ont effacé ou récupéré d'autres, elles ont traversé le temps et nous semblent presque aussi vivantes qu'à l'époque.