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Billet de blog 6 avril 2020

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Pour un New Deal de la Santé Publique

La crise sanitaire qu’a provoqué le Covid 19 n’est pas une simple crise conjoncturelle. Le Covid 19 agit comme un formidable révélateur et analyseur des vulnérabilités structurelles du système de santé. Ainsi la pandémie ne pose-t-elle pas seulement une question économique et sociale, mais une question politique, celle d’une « démocratie sanitaire ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il faut lire, je crois, ce dialogue très intéressant entre Amy Kapczynski et Gregg Gonsalves paru dans Democracy Now. Amy Kapczynski et Gregg Gonsalves sont respectivement professeure et professeur associé à l’Université de Yale. Gregg Gonsalves a également été militant à Act Up, dans les années 90.

Leurs remarques valent évidemment d’abord pour les États-Unis. Mais au degré d’abaissement du système de santé publique près, les principes d'analyse qu’ils dégagent sont assez simples et généraux pour valoir, me semble-t-il, pour l’ensemble des pays dit développés.

La crise sanitaire qu’a provoqué le Covid 19 n’est pas, à leurs yeux, une simple crise conjoncturelle. En effet, à l’instar du Sida, le Covid 19 est, pour ainsi dire, une « maladie politique » : il agit comme un formidable révélateur et analyseur des fragilités, des vulnérabilités structurelles du système de santé, et plus généralement, du système d’allocation des richesses et des positions sociales dans la structure des rapports de production.

En effet 1) les agents sociaux ne disposent pas également du même accès au système de soins, selon qu’ils sont ou non inclus dans le « cercle de la raison sanitaire » qui est le notre. Les prisonniers, les sans-papiers, les sans-abris, sont ainsi exclus de ce cercle, quand pourtant, comme le fait remarquer Gregg Gonsalves, la pandémie nous apprend que la santé de chacun dépend de celle de tous, y compris et inclus donc, ceux qui en sont ordinairement exclus : « we are all as vulnerable as the most vulnerable person in our society ».

2) Notre système de production ne valorise, de plus, que le travail de production, et donc avec lui, les agents d’un travail de production qui extrait une plus-value de la base de la production, quand il n'exploite pas, voire ne détruit pas cette même base (humaine aussi bien que naturelle).

C’est ainsi que le travail de reproduction, qui relève plutôt de la préservation, du soin apportés à la nature ou aux hommes (et avec lui il faut parler de la préservation de l’environnement, mais aussi de l’éducation et de la santé, de la recherche) se trouve avoir été dévalorisé. Et c’est pourtant tout ce travail invisible et infrastructurel (auquel il faudrait donc ajouter celui, par exemple, des caissières, des éboueurs, etc.) qui se révèle être essentiel, déterminant en dernière instance au regard de la situation de détresse et de menace existentielle dans laquelle nous place cette pandémie.

Ces vulnérabilités aux effets les plus dévastateurs de la pandémie ne sont pas accidentelles, mais le produit d’une histoire, d’une séquence historique de longue durée qui a vu s’imposer et s’étendre une logique politique valorisant le travail de production et d'extraction de la plus-value, au détriment du système de soins et de la sphère de la reproduction. Et c’est une logique politique, au sens où la logique du marché et du profit a été étendue par les moyens d’un État converti et acquis aux thèses du néo-libéralisme.

Mais, également, au sens où l’extension de cette logique est indissociable d’une réduction des droits, des revendications et des demandes des agents de la sphère du travail de reproduction, ainsi que de toutes celles et ceux qui sont exclus du sytème d’allocation des richesses. Leurs voix ont en effet été systématiquement écartées du débat public au nom d’une « rationalité sanitaire », et réduites au silence quand elles n’ont pas été réprimées (pensons ici aux soignants en grève, matraqués et gazés par le gouvernement d'Emmanuel Macron), avec les résultats que l’on sait aujourd’hui. Ainsi la pandémie ne pose-t-elle pas seulement une question économique et sociale, mais une question politique, celle d’une « démocratie sanitaire » (et plus généralement, celle des droits et de la valeur de la démocratie face à la logique expansionniste, pour ne pas dire impérialiste, du marché).

Aussi Amy Kapczynski et Gregg Gonsalves proposent-ils, dans la perspective d’une rupture avec une logique et une rationalité néo-libérale, une sorte de New Deal de la Santé Publique. C’est-à-dire bien sûr, 1) pour ce qui concerne les États-Unis, la mise en oeuvre d'un système de sécurité sociale pour tous. Mais également, et cela vaut pour nous aussi bien, 2) un retour de l’État-Providence, au principe et au point de départ d’une reconstruction massive et élargie d’infrastructures et d’institutions sanitaires robustes. Ainsi que 3) le retour d’un État-Providence en contact étroit et permanent avec les agents et travailleurs des institutions sanitaires. Tout comme cet État-Providence devait, également et c’est indispensable, être 4) en contact non moins étroit et permanent avec les représentants des patients les plus vulnérables, et les plus exposés à la pandémie (ainsi appelés, à travers des associations, des luttes, à devenir des acteurs de leur propre santé et de la santé publique en général).

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