On loue beaucoup ces jours-ci, les vertus de la "société civile". Mais qui, la "société civile" ? Quelles forces sociales, la "société civile" ? De qui parle-t-on, de quelles forces parle-t-on, quand on invoque les bienfaits que représenterait, en politique, la présence de membres de la "société civile" ?
En fait la "société civile", ce que l'on veut désigner par "société civile", c'est celle que Hegel appelait déjà par son nom propre, c'est-à-dire qu'on désigne à peu près toujours la "société civile bourgeoise". Des propriétaires qui s'approprient la politique, et plus largement l'espace public.
Or, si le Nouveau Front Populaire doit sa victoire à quelqu'un, c'est d'abord à tous les militants, aux forces populaires qui ont fait la campagne, et même parfois fait la campagne des députés socialistes et/ou macronistes pour contrecarrer l'ascension du RN. Pourquoi pas, dès lors, un ou une première ministre issu.e des rangs de la CGT, d'Attac, des Soulèvements de la Terre, des quartiers populaires ?
Je sais parfaitement que ce ne sera pas le cas. Selon une loi sociale d'airain qui veut que, comme le faisait remarquer Arendt, même dans les périodes révolutionnaires, et nous ne sommes évidemment pas dans une période révolutionnaire, on ne recrute des représentants du peuple que dans le cadre resserré d'une élite, serait-elle une élite issue du peuple.
Toutefois, je ne peux pas ne pas poser la question, puisqu'on parle, comme si c'était un argument en soi-même, de "société civile". Mais c'est en fait un quasi-syntagme assez vide, dépolitisant. Bien plus, c'est aussi cette vision post-politique qui vient d'échouer lamentablement, à l'AN comme au gouvernement. Combien de députés et de ministres macronistes issus de la dite "société civile", qui auront, de fait, montré leur déconnection et/ou leur médiocrité ? Veut-on vraiment à nouveau emprunter ce chemin ?
Je le dis nettement : j'aurais bien sûr préféré voir la gauche s'accorder sur, et proposer le nom d'Huguette Bello. Elle était peut-être issue de la "classe politique", comme on dit avec un mépris mal placé et un certain poujadisme.
Mais du moins, au-delà de ce qui en aurait fait une candidate représentative, et même au-delà de certains traits représentatifs (une femme de gauche racisée), puisqu'elle avait fait de ces traits représentatifs un combat politique (la représentativité seule pouvant encore être une manière d'annuler la politisation), elle aurait porté haut le drapeau d'une vision politique. Quitte à échouer par la suite. Mais cet échec aurait, du moins, eu un sens politique.
Comme dit un ami, "là ça ne ressemble à rien". Comme le disait d'une autre manière Dominique de Villepin, il aurait fallu procéder par ordre et méthode : d'abord proposer un premier ministre issu des rangs du NFP et allant chercher des majorités sur des projets, éclaircissant ainsi les positions des uns et des autres, quitte à échouer. Puis une grande coalition pour ceux qui en rêveraient encore. Enfin, si cette grande coalition échouait comme c'est assez prévisible, une nouvelle dissolution ou une démission du PR.
Cela aurait au moins balisé et sanctionné, scandé un chemin qui aurait eu un sens, une direction politique. Toute autre chose, donc, que des "cheminements" qui ne mènent nulle part. Et conduisent les électeurs de gauche, et sans doute bientôt l'ensemble des électeurs à une forme de désorientation et de dégoût, désorientation et dégoût de "la politique" qui font très précisément le lit du Rassemblement National.