Ceci n’est pas seulement une élection pour ou contre Emmanuel Macron. Ceci n’est pas seulement une élection pour ou contre Jordan Bardella. Ceci est une élection pour ou contre Vincent Bolloré.
C’est-à-dire pour nous, gens du Front Populaire, contre une oligarchie, une petite caste de milliardaires qui a décidé de rétablir et réaffirmer un ordre social, racial et de genre en France. Un ordre environnemental aussi, qui préfère piller la planète, et singulièrement l’Afrique, jusqu’à extinction de toute habitabilité de la planète.
Vincent Bolloré, c'est la bourgeoisie française colonialiste qui veut effacer la défaite militaire de Dien Bien Phu (et la parenthèse mendésiste). C'est la bourgeoisie française colonialiste qui veut, par-dessus tout, effacer la défaite politique de la guerre d'Algérie. Rejouer une guerre civile. Et, aussi, c’est la bourgeoisie française qui veut effacer les compromissions de la collaboration et les conquêtes sociales de 1945, l’implémentation du programme du Conseil National de la Résistance, dont elle ne s'est jamais tout à fait remise.
C’est une classe sociale qui a déjà systématiquement détruit les institutions de l’état social d’après-guerre (la sécurité sociale, les retraites, l'assurance-maladie, l'école et l'université), mais ce n’est pas encore assez pour elle. Il lui faut maintenant en détruire l’idée même, en fermant ce qu’il reste de droits sociaux et politiques à tout ce qui ressemble à un noir ou un arabe (songeons à la suppression de l’Aide Médicale d’État, qui remettra en question la santé publique, c’est-à-dire la santé de tous). C’est, encore, une petite caste d’homme blancs réactionnaires qui a décidé de faire barrage à tout ce qui ressemblait à des nouveaux droits offerts aux femmes, aux homosexuels, aux transgenres. Qui a la haine de Mai 68 chevillée au corps.
Et bien sûr, c’est d’abord une bourgeoise qui a en horreur tout ce qui peut faire le bonheur des dominés : les congés payés, les retraites, des salaires décents, une sexualité et un corps à soi. Et une bourgeoisie qui, plus encore, a en horreur tout ce qui a pu rendre possible ce bonheur privé : je veux parler bien sûr de ce « bonheur public », pour parler comme Arendt, que peuvent représenter la participation, qui est déjà une joie et une libération en elle-même, à un vote, à des grèves, à des manifestations, à des mouvements sociaux et politiques émancipateurs. On l’aura vu lors de la répression féroce des Gilets Jaunes, comme on l’a vu en banlieue.
Si une classe sociale s’est, comme on dit, radicalisée, c’est donc bien la bourgeoisie française. Vincent Bolloré, c'est cela : rétablir la domination totale, le suprémacisme de la bourgeoisie française sur les classes populaires, racisées, et les minorités sexuelles et de genre.
Vincent Bolloré, c’est surtout, dans la conjoncture politique qui nous occupe depuis l’annonce désastreuse, par Emmanuel Macron, de la dissolution de l’Assemblée Nationale, la jonction possible entre le vote Macron et le vote Bardella.
Je dis la jonction possible entre le vote Macron et le vote Bardella, car quand à Emmanuel Macron lui-même, il est désormais avéré qu’il a, pour son propre compte, tombé le masque en parlant d’« immigrationnisme », et en dénigrant, avec une vulgarité qu’il ne réservait jusqu’ici qu’aux classes populaires, les droits des transgenres. Il était pourtant visible, pour qui voulait y voir, qu’Emmanuel Macron était depuis longtemps habité par des pulsions puissamment réactionnaires.
Ne prenons que quelques points de repères empiriques, mais hautement significatifs, pour qui ne voulait pas se bercer de l’illusion d’un « progresssisme » néolibéral. Le 8 mai 2016, donc, inaugurant sa pré-campagne présidentielle, Emmanuel Macron rend hommage à Jeanne d’Arc à Orléans. En visite au Puy du Fou le 19 août 2016, Emmanuel Macron déclare, en bonne compagnie, celle de Philippe de Villiers : « je ne suis pas socialiste ». Le 7 novembre 2018, Emmanuel Macron rend hommage au « Maréchal Pétain » (Philippe Pétain a pourtant été déchu de sa qualité de maréchal de France en 1945).
Le 10 décembre 2018, lors d’une allocution consacrée à la crise des Gilets Jaunes, Emmanuel Macron tente de réintroduire — contre toute évidence puisque les Gilets Jaunes ne faisaient pas de l’immigration une question, mais posaient au contraire des questions de justice fiscale et climatique — le thème de l’immigration dans le débat politique. Septembre 2019 : Emmanuel Macron réitère cette tentative, et s’interroge même sur les « excès », ce sont ses mots, concernant l’Aide Médicale d’État.
Février 2020 : Emmanuel Macron invoque Maurras devant les députés de sa majorité. 22 décembre 2020 : Emmanuel Macron persiste et signe dans l’Express : il réinscrit Maurras et Pétain dans la mémoire de l’histoire de France. Octobre 2020-Février 2021 : Emmanuel Macron laisse deux de ses ministres (Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, pour les nommer) organiser une chasse ouverte aux sorcières « islamo-gauchistes ».
Le 16 août 2021, alors que Kaboul vient de tomber, Emmanuel Macron ne trouve rien de mieux à affirmer que ceci : la France doit se protéger de « flux immigratoires importants », et donc se refuser à accueillir les réfugiés afghans.
Avril-juin 2022 : après qu’il a été élu une seconde fois contre Marine Le Pen grâce à des voix de gauche, Emmanuel Macron et ses équipes s’empressent, après que la gauche est arrivée en tête au premier tour des législatives, de tourner leurs feux contre la gauche. 20 à 30 députés RN seront ainsi élus dans des duels Nupes-RN, du fait de l’absence de consignes de vote. S’ensuit l’élection de deux députés RN aux postes de vice-présidents de l’Assemblée Nationale. Enfin, après s‘être mise dans la main du RN en faisant élire ces députés, la majorité relative d’Emmanuel Macron mange dans leur main en reprenant, et en votant leurs propositions sur l’immigration, marquées du sceau de la rupture avec le droit du sol, et l’universalité de condition d’attribution des allocations familiales.
Il fallait être bien aveugle pour ne pas voir que, pour parler comme Marc Bloch citant Rémusat dans L’étrange défaite, « on ne tombe jamais que du côté où l’on penche ». Que le consensus au centre, le ni-droite-ni-gauche finirait non seulement en ni-de-gauche-ni-de-gauche, c'est-à-dire à droite toute, mais aussi à l’extrême-droite.
Et qu’il en préparerait même l’avènement au pouvoir, autant par cynisme que, oui, par préférence (Emmanuel Macron couvrait déjà d’éloges Jordan Bardella après les rencontres de Saint-Denis, et en annonçant la dissolution de l’Assemblée Nationale, qu’a-t-il fait, sinon ratifier, et répondre par la positive aux demandes du même Jordan Bardella ?).
Mais il y a bien pire, et inquiétant, et redoutable, que le basculement prévisible de la macronie et de ses cadres. Bien sûr ceux-ci refusent déjà, par la voix de l’ancienne porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot, d’appeler à voter Front Populaire en cas de duel de ce dernier avec le Rassemblement National. Et font même du Front Populaire, et en particulier de la France Insoumise, leur ennemi principal. Quand le Front Populaire, par la voix de Mathilde Panot, appelle pourtant à voter en faveur de tout candidat, serait-il un candidat représentant la majorité présidentielle, contre un candidat Rassemblement National.
L’affaire pourtant n’est pas, n’est plus hélas, que d’appareils, de dirigeants et de partis. Je parlais de, et insistais en effet, plus haut, sur le risque d’une jonction, non plus seulement entre des cadres et des appareils, mais bien sur la jonction possible entre le vote Macron et le vote Bardella.
C’est, qu’en effet, selon des études de sorties des urnes, réalisées lors du second tour des législatives de 2022, 48 à 72% des électeurs LREM déclaraient, sans vergogne, s’être abstenus en cas de duel Nupes-RN. Ces études, si elles sont plus fiables que des sondages réalisés avant le scrutin, ne sont toutefois pas assez fiables. Mais l’on sait désormais en revanche, et avec certitude, quels ont été les résultats de ces votes ou de ces abstentions : une bonne vingtaine de députés RN en plus à l’AN que ne prévoyaient pas les sondages, et qui ont constitué le véritable enseignement du second tour des législatives de 2022.
On a en effet beaucoup parlé à gauche, et à raison hélas, du quasi-schème de comportement électoral, qui voulait que les électeurs des classes populaires, délaissés, abandonnées par une gauche ralliée au néo-libéralisme, et qui s’abstenaient donc une première fois en cas de duel gauche-extrême droite, finissent, la seconde fois, 1) ou bien par se réfugier définitivement dans l’abstention, 2) ou bien par sauter le pas et voter RN. Pourquoi n’en serait-il pas de même du comportement électoral de la bourgeoisie, et spécialement d’une bourgeoisie radicalisée par les médias Bolloré ? Pourquoi cet effet de cadrage sur le seul vote des classes populaires ?
Ce qui ne signifie pas que nous devions renoncer à analyser les raisons de ce ce vote, notamment la désertion par les services publics et de santé des espaces ruraux, et son articulation à une rancoeur dirigée vers les populations racisées (comme l'écrit Joseph Mandras dans Frustration : « Partout où le RN caracole le camp de l’égalité doit installer ses quartiers. Partout où le RN apparaît comme une réponse sociale le camp de l’égalité doit parler jour et nuit. Car où ça ne rêve pas, où ça compte les centimes, où ça peine pour les gosses, là est sa place. »)
Et en effet, l’extrême droite, c’est bien sûr la haine frénétique de l’étranger, mais c’est aussi la haine frénétique de tout ce qui ressemble de près ou de loin à la gauche. C’est la haine, dans tous les cas, de l’égalité : la passion de l’inégalité et de l’ordre, de la hiérarchie, que celle-ci soit sociale ou raciale.
Cela se condensait autrefois, en 1936, dans le quasi-syntagme et la haine du « judéo-bolchévisme »; et cela se condense aujourd’hui dans le quasi-syntagme et la haine de l’« islamo-gauchisme ». Dès lors, qu’en sera-t-il du comportement électoral des électeurs macronistes ? Nous savons déjà à peu près ce qu’il va advenir d’une fraction des cadres et des électeurs LR depuis le ralliement d’Éric Ciotti sous la houlette de Vincent Bolloré. Mais qu’en sera-t-il, dans l’entre-deux tours, de cette fraction de cadres et des électeurs LREM, qui s’étaient déjà abstenus en 2022 ?
Et derrière cette question, il y a bien sûr la question, plus redoutable encore, du danger de voir le RN, si des électeurs macronistes s’y ralliaient dans les urnes, muter de parti représentant une fraction des classes populaires en parti interclassiste. Et de parti représentant une fraction de la jeunesse en parti intergénérationnel. On sait ce que, dans l’histoire politique, veut dire cette sociologie apparemment antagonique. C’est celle d’une hégémonie politique, pour parler comme Chantal Mouffe, d’un parti ralliant à soi des catégories sociales hétérogènes.
Et c’est pourquoi je me permets d’exprimer ici, non une thèse, mais une question, un doute quant à une stratégie énoncée par certains des analystes et partisans du Front Populaire (analystes et partisans que je crois évidemment sincères, et dont les propos sont non moins évidemment étayés par des considérations stratégiques réelles).
J’entends bien la thèse selon laquelle, dans le temps très court qui nous est imparti du fait de la dissolution décidée dans la précipitation par Emmanuel Macron, il conviendrait, ne serait-ce que par nécessaire économie de nos forces, de tenter, en priorité, de rallier et conquérir des circonscriptions autrefois acquises au vote macroniste. Mais précisément, qu’en sera-t-il de ce vote, autrefois macroniste, au second tour, en cas de duel Front Populaire-Rassemblement National ? Sommes-nous si certains que ce vote ne re réfugiera pas, au moins en partie, dans l’abstention ? Sommes-nous si certains qu’il n’ira pas même au ralliement, au moins en partie (mais tous les votes, même les plus minimes, compteront dans cette élection), au Rassemblement National ?
Bien entendu, je n’ignore pas qu’une partie du vote macroniste est pour partie déjà acquise au Front Populaire. Qu’une fraction d’anciens macronistes, sous le feu du danger, et animés d’abord du souci d’une démocratie substantielle, se rallieront sincèrement au Front Populaire pour maintenir les conditions d’un état social et d’un état de droit.
Mais l’on ne peut pas non plus ignorer qu’une autre partie des anciens macronistes, fanatisés par sept années de discours, et de politiques classistes et racistes d’Emmanuel Macron lui-même, enflammés également par les médias Bolloré, songeant d’abord, dans la tempête, à maintenir leurs privilèges sociaux et raciaux, s’abstiendront ou voteront même Rassemblement National. Que la grammaire de surface du macronisme (la modération, la bienveillance, la tolérance, le progressisme), laissera très vite place à sa grammaire profonde (l’autoritarisme, la haine du pluralisme, du parlementarisme et de l’état social), parfaitement lepéno-compatible.
Il faut, bien sûr, tenter de conquérir les circonscriptions macronistes. Mais on ne peut pour autant, dans cette élection, s’adresser aux seuls électeurs macronistes, sans prendre aussi le risque, déjà avéré, de très grandes désillusions. Le « barrage » contre le Rassemblement National, parce qu’il s’appuie sur l’hypothèse d’une supposée rationalité intellectuelle et morale du comportement électoral des électeurs macronistes (mieux, sur l’hypothèse d’une supériorité morale et intellectuelle qu’ils ne manqueraient pas, au contraire des classes populaires, de manifester en faisant « barrage », au nom de valeurs rationnelles et morales, au Rassemblement National) risque bien, comme le barrage du surmoi freudien, de très vite s’effondrer sur lui-même faute d’avoir été patiemment bâti et élaboré, et de laisser place, dans un retour du refoulé politique, au flot des affects les moins élaborés, et donc les plus virulents et les plus réactionnaires.
Aussi faudra-t-il, dans cette élection, aller chercher les votes partout, et d’abord chez les abstentionnistes, et sur un mode affirmatif, en suscitant également des affects révolutionnaires et transformationnels dans chaque catégorie sociale disponible pour un projet de justice sociale. Que l’on appelle cela l’espoir ou l’enthousiasme populaire, peu importe, ce sont ces affects qui doivent être opposés à la peur et la crainte de la guerre civile que les médias Bolloré, Bardella, et désormais Macron, annoncent mais en vérité appellent de leurs vœux pour nous discipliner, et sur un mode hobbesien, orienter ccette peur vers une rationalité instrumentale de la conservation de soi (et des privilèges sociaux, raciaux, de genre ou de sexualité qui y sont rattachés).
À cette politique de la peur, nous devons opposer un front d’enthousiasme, de fédération et de débordement des énergies populaires, et une coalition de forces populaires hétérogènes sans doute, mais seul capable de rallier au sens de la justice sociale ce qu’il reste encore de bourgeoisie éclairée, et de classes populaires politisées contre le racisme. Renverser la table, donc, dans le sens de plus de justice sociale, climatique et raciale, seule et unique condition possible de toute paix civile. Ce n’est pas un hasard si cette élection se joue aussi en Nouvelle-Calédonie.
Je ne voudrais pas non plus, en insistant sur l’importance des affects et des identifications affectives, laisser penser que les questions d’ordre programmatique soient négligeables. Il faut même ici, me semble-t-il, rendre un hommage appuyé, à toutes celles et ceux qui, dans l’adversité et la ténacité, ont laborieusement construit le programme social robuste de la France Insoumise, et auquel se sont rendus, en définitive, toutes les forces de gauche, en signant le programme social du Nouveau Front Populaire.
Bien sûr, quand l’on entend déclamer, par les médias bollorisés, que ce programme serait d’extrême gauche, et nous conduirait tout droit au soviétisme, on a franchement envie de rire. C’est, en effet, un programme qui ne parle pas, ou presque, de collectivisation de la propriété privée, qui n’évoque pas même de projet de nationalisations d’ampleur. Un programme, donc, très en deçà des audaces de 1936, de 1945 ou de 1981.
Bref, c’est, si l’on ne considère pas les audaces écologiques nécessaires si l’on entend affronter l’enjeu majeur de ces décennies, à savoir le réchauffement climatique, un programme très classiquement et très rigoureusement social-démocrate, qui se contente d’une redistribution, à la marge, des rapports du capital et du travail. Et qui n’apparaît comme révolutionnaire que parce que nous avons été laminés, et véritablement décérébrés par quarante années de néo-libéralisme.
Mais, là encore, je voudrais insister sur l’importance de la mise en scène des mesures programmatiques, et l’identification à ces mesures programmatiques. Regardons de plus près, par exemple, et pour ne prendre que cet exemple, le renoncement, par la voix de Jordan Bardella, du Rassemblement National à la suppression de la TVA sur des produits de première nécessité. Comme cette dernière mesure représentait la mesure phare du RN en termes de « pouvoir d'achat », on peut déjà considérer que le RN se moque, en vérité, du « pouvoir d'achat », qui constituait pourtant son slogan de campagne principal depuis 2022 (et dont les médias les plus obséquieux nous ont dit qu’il était une vraie trouvaille de Marine Le Pen).
Comme d'autre part, le RN a également renvoyé aux calendes grecques l'abrogation de la réforme des retraites (les retraites représentant des cotisations, du salaire différé), et qu'il se refuse à toute augmentation des salaires, là où la gauche propose et affirme la nécessité d’un SMIC à 1600 euros, il faut dire que le slogan de campagne principal du RN, le « pouvoir d'achat », a toujours été et demeure une manière d'écarter la question des salaires du champ du débat politique, qu’il représente un leurre pour tous les salariés de ce pays.
Nous pouvons, et même nous devons dire : autant qu’il est demeuré un parti xénophobe, raciste, et en ce sens n'a pas changé, le RN n'a pas de programme social, c'est toujours un parti anti-salariés. Et nous devrions peut-être nous-mêmes, à gauche, songer à ne plus parler de « pouvoir d’achat », ou du moins ne plus parler de « pouvoir d’achat » sans aussitôt soulever la question salariale. Ce qui représente en effet, non seulement une manière d’écarter la question des salaires et toute identification transversale à la classe des salariés et des travailleurs, mais également une manière de nous identifier à des individus qui maximiseraient leur pouvoir sur un marché de consommateurs, plus ou moins entravé par la puissance publique, supposée despotique, de l’État.
Nous pouvons ainsi sentir et faire sentir la collusion entre le RN et la politique, mais aussi la mentalité, la rationalité néo-libérale de Macron avec laquelle Bardella, s'il y entend quelque chose, entend tout, sauf rompre. Et si nous devons donc résolument parler avant tout de salaires, c’est pour dire, avec non moins de résolution, qu’il n’est pas de vie décente et soutenable en deçà d’un travail rémunéré à 1600 euros, que c’est en effet une question de dignité minimale.
Et nous devons dire aussi que cette dignité minimale que le Rassemblement National refuse aux immigrés, c’est à tous les salariés et travailleurs de ce pays qu’il la refuse en définitive, que ceux-ci soient immigrés ou non, que ceux-ci soient des femmes ou des hommes. Remettre les mesures programmatiques en termes de salaire au centre du jeu des identifications politiques, les mettre autrement en scène, c’est aussi rendre possible d’articuler justice sociale, justice raciale et justice de genre. On pourrait multiplier les exemples sur la question des allocations, des conditions des femmes célibataires, cantonnées au chômage et racisées. Là où se joue le destin social d’un ou d’une seule, se joue le destin social de toutes et tous.
C’est dire aussi que nous ne pouvons plus nous contenter, sur un mode purement moral et intellectuel, de « faire barrage » au Rassemblement National, et aux idées de haine et de rancœur propagées par les médias Bolloré. Mais que nous devons faire front, et faire Front Populaire, constituer une force politique et sociale à qui vont et se rallient les forces et les énergies populaires de ce pays, quand la macronie et le bloc central, toute honte bue, se défont littéralement sous nos yeux, et pactisent, collaborent déjà avec le Rassemblement National. Et quand le grand patronat, par la voix de Sophie de Menthon, lui déroule déjà le tapis rouge.
Que nous venions des classes populaires ou de ce qu’il demeure de la bourgeoisie éclairée, que nous soyons, ou non, des populations racisées et brutalisées, que nous soyons des femmes ou des hommes, que nous nous identifions comme des homosexuels ou des hétérosexuels, des transgenres ou des cisgenres, nous devons réaffirmer que nous souscrivons, et nous identifions d'abord politiquement, avec fierté, à des idéaux, non-négociables, de justice et d’égalité. Mais aussi à des mesures sociales qui iront enfin dans le sens d’un surcroît, effectif, d’égalité et de justice pour toutes et tous, c’est-à-dire un surcroît de services et de bonheur public.
Nous n’avons, au fond, après 7 années sans partage du règne d’Emmanuel Macron — 7 ans de malheur et de chaos — besoin que d’un surcroît, j'allais dire : d’un sursaut de bonheur public et politique. Nous avons besoin de refaire du bonheur public, et des jours heureux, une idée neuve en France. Ne nous contentons plus de faire barrage, de retarder l’accès au pouvoir du Rassemblement National. Faisons du Front Populaire l’instrument de notre bonheur collectif; nous pouvons encore vaincre et devancer le parti du malheur et de la peur. Et casser par la loi le monopole et l'emprise perverse qu'un milliardaire exerce sur les médias en France. Nous pouvons encore gagner et les votes, et les têtes.