Gilles Dauvergne

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Billet de blog 24 juillet 2008

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De la créativité orthographique

Une autre écriture.On ne cesse de disserter à propos de la baisse continue du niveau d'orthographe des jeunes. Acceptons-le comme un fait acquis;

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Une autre écriture.

On ne cesse de disserter à propos de la baisse continue du niveau d'orthographe des jeunes. Acceptons-le comme un fait acquis; d'année en année le niveau baisse au point qu'aujourd'hui nous en sommes à rechercher des moyens pour les convaincre tout simplement de son utilité.

Au cours de ma carrière d'enseignant plusieurs faits m'ont frappé, qui me conduisent aujourd'hui à penser que ce mépris apparent de l'orthographe pourrait cacher un phénomène autrement plus inattendu.

Des indices…

Premièrement, les élèves rendent des travaux tapés au moyen d'un traitement de texte....truffés des mêmes fautes que s'ils avaient été manuscrits. Chacun connait l'efficacité du correcteur orthographique de la plupart des traitements de texte et leur efficacité, du moins pour les fautes les plus courantes. Pourquoi ce refus de l'utiliser?

Une anecdote, ensuite. J’ai récemment donné à mes élèves, futurs designers, une étude de cas concernant un « balai de sorcière », sorte d’aspirateur d’appoint. Quelle ne fut pas ma surprise d’abord, ma colère ensuite, quand je vis tous ces « le balais de sorcière », « un balais », etc…Et voici qu’une élève me dit « Oui mais Monsieur, avec un « s », c’est tellement plus joli ! ». Ce à quoi toute la classe acquiesce. Le « balais », avec son s, fait l’unanimité. Ils savent fort bien que ce n’est pas la bonne orthographe, mais, puisque c’est « plus joli » ainsi, ils prendront plaisir à l’écrire avec sa faute. Le dernier indice m’a été révélé après avoir compris cela.

Comment expliquer autrement qu’une élève commette une faute sur son propre prénom ? Lorsqu’elle écrit « Mari Aure » au lieu de « Marie-Aure », essayez de vous mettre à la place du pauvre enseignant démuni.

Le contrat social.

Ou pourquoi l’orthographe…C’est bien sûr un ensemble de règles communes qui permettent aux possesseurs d’une même langue de communiquer ensemble par l’écriture. Bien. Ceci impliquerait donc que ces jeunes,en refusant l’orthographe des vieux, s’inventant leurs propres règles secrètes, refuseraient le dialogue écrit avec eux. Notons au passage que ce refus ne concerne pas la lecture ; les jeunes sont de plus en plus des lecteurs assidus.

La fracture ; l’orthographe des jeunes contre celles des vieux.

Quiconque a quelque peu fréquenté les forums et autres blogs n’a pu manquer de le remarquer ; ceux destinés aux jeunes sont pour nous illisibles, et les rares jeunes qui s’expriment sur les forums des vieux se font gourmander pour leur style « SMS ». La communication intergénérationnelle est interrompue. Avec un minimum d’expérience, on peu situer l’âge d’un intervenant sur son orthographe…

Le SMS en marque la naissance, l’invention. La bonne surprise, c’est que ce succès prouve qu’il existe une envie, un désir, un besoin chez les jeunes de communiquer par l’écrit. Le charme désuet de l’échange épistolaire semble intact. C’est je pense, le premier médium de communication écrite qui marque cette fracture entre générations. Ils l’ont adopté instantanément alors que nous avons refusé soit de passer des heures à taper l’ensemble des lettres formant un mot à l’aide de notre seul pouce, soit de participer à l’invention d’une orthographe spécifique.

Nous y voilà !

Mon travail de prof consiste à tenter de rendre mes élèves créatifs. Je ne saurais donc condamner cet acte de création sans y regarder à deux fois. Ils se sont inventé un langage, rien de nouveau, c’est la plus vielle caractéristique de l’adolescence. Ce qui est nouveau, c’est qu’il s’agisse d’un langage écrit, d’une part, et que ce langage ne cohabite pas avec le langage commun ; il le remplace purement et simplement.

Ou tout cela nous mène-t-il ?

Voilà bien la question. Tout d’abord, si mon analyse était juste, cela tendrait à prouver que l’enseignement du français ne serait pas en cause. Alors qu’il me soit permis de présenter une hypothèse. Cette génération nouvelle que je vois changer un peu à chaque rentrée scolaire, avec certaines tendances lourdes qui ne cessent de s’accentuer, cette génération qui se construit année après année, cette génération qui est notre futur est bien fâchée. Elle ne nous fait aucunement confiance. Elle se méfie de nous. Elle cherche en elle-même les solutions que nous n’avons pas su lui proposer.

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