Raffarin ne s'y est pas trompé: c'est qu'il a le nez sensible, cet expert en cuisines électorales petits coups pourris et entourloupes vlimeuses, et quand quelque chose de bien puant se prépare, il pointe infailliblement dans la bonne direction. Il suffit, en somme, de décoder: pourvu que l'on se souvienne que cette boussole pointe obstinément vers le sud, un observateur averti y trouvera son chemin.
Prenez ses déclarations empreintes de bénévolence mielleuse sur les manifestants qui arpentent par millions ( n'en déplaise aux compteurs "au doigt mouillé" de Médiapart) les rues de nos villes depuis la rentrée: "Ce sont des gens respectables, ce sont des gens responsables que nous devons respecter" explique-t-il avec insistance à longueur d'interviews.
Et en effet, en suivant son regard de notable bien réactionnaire, on se prend à remarquer ce qui jusqu'à l'apparition des lycéens toujours si bien mobiles, dynamiques, infatigables, moqueurs, insolents, drôles (jeunes, quoi) faisait si fort défaut dans tous ces cortèges aux allures bon enfant, si visiblement heureux de se retrouver tous-ensemble-ouais! qu'ils en étaient rassurants: ces gens là sont bien gentils et ne feraient pas de mal à une mouche, ils sont donc respectacles...et rassurants! Comme si les manifs étaient faites pour rassurer le Pouvoir!
Pourtant, à peu de choses près, il y a un point sur lequel la présence de lycéens et d'étudiants ne changera pas vraiment l'allure générale de ces défilés, évidence qui ne semble pas avoir effleuré les commentateurs de la profession ( pas même les ci-devant conteurs de Médiapart) qui n'en soufflent mot, comme si cette remarque faisait mauvais genre, comme si la prétendue réforme des retraites ne concernait pas les cités pourtant peuplées de retraites de misères, de travailleurs cassés et de chômeurs de tous âges: ces cortèges sont décidemment bien blancs! Pas ou si peu de minorités pour le coup invisibles, point de basanés, rien de cosmopolite, pas le moindre 9 - 3 en vue, bref, pas de banlieues, avec ses débordements de keffieh, ses fautes d'orthographe et ses habituels slogans paraissant venir d'un autre monde: pas étonnant que tous les raffarins de souche trouvent ces cortèges respectables!
Mais tiens, justement, ce qui expliquerait en partie un tel silence médiatique, est-ce que par hasard, ça n'en rassurerait pas quelques autres, cette absence des banlieues: non pas seulement les policiers mais tout autant les services d'ordre qui redoutent par-dessus tout les débordements, et ce largement à juste titre si l'on se souvient des dérapages en fin de manif de ces dernières années...
Disons-le tout net: cette absence aveuglante est lourde de sens et de périls. Il suffit de se souvenir que Sarkozy est rien moins qu'un amateur, n'est nul joueur de bonneteau, qu'il est un pro du sale coup, du piège, du coup de poignard dans le dos, et qu'il restera quoiqu'il arrive l'un des pires casseurs de la République.
Et la situation, telle qu'elle évolue à grande vitesse vers des affrontements très violents si fort désirés par ceux-là qui, ayant perdu à jamais la face, espèrent la retrouver par la force, va bien au-delà de l'embrouille, dont ce dangereux politicien est un maître-escamoteur: il suffit de constater comment il fait savamment monter les moyens de la violence d'Etat depuis qu'il a pris le contrôle de la Police, et de la gendarmerie. Mais aussi, outre les forces de l'ordre traditionnelles depuis la création de la gendarmerie mobile en 1921, de l'armée!
Oui, de l'armée, légalement, en vue du maintien de l'ordre: opération d'escamotage parfaitement menée au vu et au su des social-traitres qui tout en laissant le Congrès renier le libre vote du peuple contre le Traité Européen, n'a pas moufté lors du vote effectué dans le même temps à Versailles, des dispositions permettant une modification de l'état d'urgence, qui pour énorme qu'elle est, reste largement méconnue aujourd'hui même de nos concitoyens: Sarkozy peut désormais légalement engager jusqu'à 10 000 militaires ( et les moyens militaires les plus sophistiqués ) pour le maintien de l'ordre!
Contre qui: sûrement pas contre les cortèges de manifestants, dont Raffarin soulignait à plaisir combien ils sont "respectables"? Pour ceux-là, les habituels escadrons de CRS et autres moblots (qui ont matraqué à la Bastille comme le rapportait Rue 89 hier, tous ceux qui avaient le tort de ne pas être restés chez eux) suffisent largement, pour matraquer, casser, gazer, voire pire, les prochaines manifestations, surtout si des étudiants et des lycéens sont à leur portée.
On sait d'ailleurs qu'à museler et garder au pied les molosses qui ne rêvent que d'en découdre, on en obtiendra encore plus de violence si longtemps et à grand peine accumulée dans les cars de ces robocops.
Alors, contre qui et pour quoi faire, ces militaires mercenaires, ces professionnels qui feront leur boulot, sans état d'âmes, - et ceux-là ne mettront pas la crosse en l'air et ne sauveront pas la République comme le chantaient nos anciens?
C'est là que se trouve peut-être le piège que prépare celui-là dont on ne peut s'empêcher de penser qu'il trouverait dans le sang du peuple une sorte de légitimité dans la tradition de violence meurtrière et de répression sanglante dont la droite et lui-même se réclament sans oser le dire.
Et contre qui, sinon contre les cités de banlieue donc, les banlieues, qu'on n'entend pas depuis des mois, où restent enfermés - remparés - tous ceux-là qui sont les plus pauvres, les plus maltraités, les plus craints et les plus détestés des pouvoirs et dont le quotidien insupportable fait qu'ils ne se posent même plus la question de savoir s'ils la toucheraient jamais, cette fabuleuse retraite!
Leur silence, leur absence, la rupture, la faille béante que révèle cette absence a quelque chose de terriblement inquiétant pour ce qui pourrait suivre sous peu: à défaut d'attentats terroristes d'al qaïda qu' Hortefeux évoquait avec son habituelle subtilité, craignons les provocations de ce pouvoir résolu à l'intransigeance et donc à la violence, suscitant délibéremment des révoltes qui en explosant dans les jours ou semaines à venir, aurait exactement auprès d'une opinion publique largement prédisposée et manipulée en ce sens, cet effet d'aubaine tant espéré par Sarkozy, plus que jamais pompier-pyromane.