Les soviétiques avaient coutume de dire avec leur humour déséspéré, qu'il y avait dans la presse soviétique deux grands titres: Istvestia ( les Informations) et Pravda ( La Vérité), mais qu'il n'y avait jamais d'isvestia dans la Pravda et surtout jamais de pravda dans les Isvestia...
Sans aller jusqu'à comparer la presse française avec la presse soviétique, quoiqu'elle soit aussi complètement prisonnière de l'Argent chez nous aujourd'hui que la presse russe l'était de l'Etat soviétique jadis, il faut bien reconnaitre que, comme son nom l'indique, dans le concert monocorde de la presse quotidienne française, Médiapart est un titre à part!
Pas seulement parce qu'il innove constamment depuis sa création dans tous les domaines canoniques de la presse d'antan (à laquelle Plenel a donné un sacré coup de vieux) à commencer par sa périodicité, voire son ubiquité liée à internet, l'incroyable modicité de ses abonnements rapprochée aux offres de ses concurrents de la presse papier etc.
Mais par dessus tout, parce que la conception, la ligne, l'éthique éditoriale de ce titre sont uniques et pour tout dire nouveaux dans ce pays: à la différence de la quasi totalité de tous les autres titres français, MEDIAPART n'est inféodé à nul milliardaire, marchand de canon, supposé mécène ou vrai autocrate. Et son indépendance financière que commence à lui apporter le soutien d'un nombre de plus en plus grand d'abonnés est le résultat mérité de son professionalisme et de son courage éditorial, ceci expliquant cela.
Le but avoué (!) de Médiapart est de fournir à ses lecteurs des informations, des informations vérifiées, des informations inédites - et inédites d'abord, le plus souvent, non parce qu'elles étaient ignorées, mais parce qu'elles étaient censurées par la presse elle-même, captive d'intérêts particuliers. Bien entendu, ces informations, longtemps retenues voire caviardées par la prétendue grande presse sont à chaque fois un véritable coup de tonnerre dans le ciel plombé d'une presse aux ordres et constituent ce que l'on appelle des scoops!
Résultat, la notoriété de Médiapart est en quelques mois devenue considérable, le titre lui-même étant devenu incontournable de par les constantes références des confrères institutionnels qui, courageux mais pas téméraires, s'avancent soigneusement protégés par ce parapluie bien commode, à la télé comme à la radio. Sans parler des quotidiens qui font semblant d'en rajouter un peu à la sauce - tout en se réclamant du travail de Médiapart.
En effet, qu'on passe en revue ( si l'on ose dire) les grandes informations et révélations sur les innombrables Affaires et scandales en tous genres, les conflits d'intérêt, et les trafics de toutes sortes qui caractérisent la France de Sarkozy, c'est presque toujours Médiapart qui a dévoilé, révélé, expliqué, ou encore fait ressortir des affaires largement censurées sinon purement et simplement enterrées: nous avons tous en mémoire les Karashi, Bettencourt, Woerth et autres Clearstream, qui font d'ores et déjà école chez une nouvelle génération de journalistes.
Bref, mis à part Médiapart, on ne voit aucun titre qui s'expose ainsi à tous les risques et à tous les mauvais coups pour respecter un engagement journalistique qui exige à la mesure même de la gravité et des conséquences des informations et des affaires ainsi révélées, d'être en tous points irréprochable. C'est dire combien sont nombreux et redoutables les ennemis que sa réussite éditoriale vaut à Médiapart, à commencer par tous les faux-culs et bienpensants de droite comme de gauche que les informations de Médiapart dérangent, et sans oublier les affairistes et politiciens véreux qui ont tout à redouter d'une presse qui soudain ferait son métier sans concessions ni connivences: et cela fait du monde.
On comprend mieux dès lors pourquoi le dernier scoop de Médiapart sur le foot français soulève tant d'espoirs chez les partisans de l'injustice établie, prompts à s'indigner que les sources de ces révélations passent par un verbatim laissant deviner la présence d'un enregistreur lors de la réunion concernée: horreur, y aurait-il quelque majordome félon à la FFF?
Au sein même des "commentaires" des papiers de Médiapart sur ce sujet s'élèvent déjà les insinuations sinon les accusations d'espionnage, de procédé "déloyaux" sinon illégaux, les espoirs mal dissimulés de quelques poursuites à venir si les informations n'étaient pas vérifiées et vérifiables, bref l'habituelle litanie malveillante des quelques normosés de service qui n'iront pas, hélas, jusqu'à nous priver de leur présence.
Reste bien sûr l'inquiétude de tous ceux qui soutiennent Médiapart par leurs abonnements, de la voix et du geste, devant tous les périls auxquels s'expose cette grande équipe, en cette période de plus en plus irrespirables de pré-campagne, quand déjà tous les coups bas semblent permis aux habituels malfaiteurs, qui ne rêvent que de flinguer le bel oiseau.
Et le risque, toujours présent à l'esprit des lecteurs dont je suis, de voir jamais Médiapart se laisser emporter par quelque course au scoop en travaillant sans filet: au point d'exaspération où en sont les autorités sarkozystes, on voit bien qu'en se loupant sur le détail le plus infime, celui-ci serait immédiatement brandi comme preuve définitive d'incompétence par ceux-là même qui font aujourd'hui à Médiapart, dans les salons parisiens, les compliments forcés du vice à la vertu.