Gilles Riou

Abonné·e de Mediapart

9 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 avril 2020

Gilles Riou

Abonné·e de Mediapart

Note sur le dernier roman de Joyce Carol Oates : Un livre de martyrs américains

Un livre de martyrs américains ou l'optimisme chevillé au corps de Joyce Carol Oates … enfin presque : Le titre du roman est tout sauf anodin

Gilles Riou

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Joyce Carol Oates ausculte depuis plus d'un demi-siècle la société américaine, elle porte cette fois son regard sur ces deux Amériques, celle des ruraux et celle des élites des grandes villes et de leurs universités.

Cette histoire commence à Ann Arbor, petite ville au regard des Etats-Unis mais immense campus universitaire. Là un jeune couple idéaliste se construit autour de la défense du droit des femmes. Elle sera avocate, il sera gynécologue ; à cent kilomètres de là, l'Amérique rurale en fera un avorteur.

C'est à Muskegee Falls dans l'Ohio que se jouera le destin du docteur Voorhees, il y est venu apporter son savoir, la science , les droits humains en quelque sorte la civilisation ; Muskegee Falls va devenir sa terre de mission, sans lui « la maison des femmes «  le planning familial serait fermée. Mais l'avortement dans cette toute petite ville ou tout le monde se connaît , les gens n'y sont pas prêts et les églises évangélistes y veillent.

A une heure de voiture d'Ann Arbor, on trouve Toledo et c'est un autre monde, la vocation religieuse est un business et le moins que l'on puisse dire c'est que l'on n'y favorise pas les jeunes exaltés désargentés du genre de Luther Dunphy. Entre le docteur Voorhees et le charpentier Dunphy l'incompréhension est totale, chacune de leur vie est incompréhensible pour l'autre : Le choc sera brutal. Le médecin enfermé dans ses convictions, l'ouvrier dans sa souffrance, ses contradictions et son fondamentalisme religieux qu'il traduira en acte.

Mais Joyce Carol Oates croit en la résilience , la deuxième partie du roman nous conte la vie de deux jeunes femmes, l'une fille du meurtrier , l'autre de la victime. Les autres membres de leur famille respective restent dans l'ombre. Les deux épouses, définitivement victimes collatérales du crime n'assumeront pas leur rôle de parent. Les frères aînés, tels des jeunes éléphants adultes vivront leur vie de mâle célibataire loin de leur famille d'origine(on y verra peut-être là une réminiscence du féminisme de Oates)

Nous allons donc suivre l'itinéraire résilient des deux jeunes femmes. La boxe pour l'une, elle confinera la violence qu'elle porte en elle dans l'espace étroit d'un ring. Joyce Carol Oates n'a jamais caché son goût pour la boxe, elle y consacrera d'ailleurs un petit essai en 1987. Dans ce roman les pages qu'elle a écrites sur l'univers de la boxe féminine donne une irrésistible envie de lire son essai.

La reconstruction psychologique de la fille du médecin prendra des chemins plus tortueux. Elle aura du moins le mérite de nous faire rencontrer sa somptueuse grand-mère en parfaite grande bourgeoise newyorkaise. Personnage peut-être le plus caricaturé de l'ouvrage, mais qui permettra néanmoins à la jeune femme de découvrir sans doute la clé du comportement de son père.

Au bout des 860 pages de ce roman, il reste malgré tout un arrière goût amer (Qui justifie le « enfin presque « du titre de ce billet). Même si l'itinéraire des deux jeunes femmes semble se rapprocher on n'a guère le sentiment que l'Amérique soit capable de résilience. Le titre du roman en est une indication, il reprend celui de l'essai de John Foxe en 1563 qui recense les martyrs du catholicisme pour promouvoir les religion évangélistes. Aussi peut-on s'interroger avec Joyce Carol Oates sur le nombre de martyrs qu'il faudra encore ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.