Kamel Daoudi est placé en rétention administrative depuis bientôt 10 ans après avoir été condamné pour des faits qu'il conteste. On ne parlera pas ici de ces faits, ce n'est pas le problème, ce n'est plus le problème puisqu'il a été condamné et qu'il a accompli l'intégralité de sa peine. Le problème, maintenant, c'est de savoir s'il est possible de maintenir en rétention administrative un être humain sans fin, sans justification, sans espoir alors que l'on ne peut rien lui reprocher depuis l'accomplissement de sa peine. Le problème, qui nous concerne tous, c'est d'éviter d'être nous-mêmes de futurs Kamel Daoudi.
Dans sa dernière vidéo Kamel Daoudi raconte qu'il a soutenu une question prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C.) devant le tribunal administratif le 30 mars 2018. Enfin, c'est son avocat qui a soutenu cette Q.P.C. puisque lui-même, de façon tout à fait anormale, n'a pas été autorisé à assister à cette audience judiciaire.
Dans le blog de Kamel Daoudi vous pouvez regarder deux vidéos où il raconte cette Q.P.C. C'est une vidéo assez déprimante à voir car Kamel Daoudi apparaît fatigué, éprouvé par ces 10 années de lutte qui l'atteignent lui mais aussi son épouse et ses enfants. Pendant cette vidéo il a des problèmes techniques, il s'exprime peut-être trop longuement mais je vous conseille cependant de la regarder pour ce témoignage sur le déclin de notre démocratie et le rétrécissement de nos libertés qui caractérisent notre société.
Je résume donc ici l'essentiel de cette situation judiciaire :
- Kamel Daoudi a été condamné, il conteste ce jugement mais il a purgé l'intégralité de sa peine. Il n'a bénéficié d'aucune remise de peine. Au contraire, dès sa sortie de prison, il y a presque 10 ans, il a été placé en rétention administrative sous prétexte qu'il était potentiellement dangereux.
- Cette assignation à résidence ne comporte aucune limite de temps ce qui est contraire aux principes de la Déclaration des Droits de l'Homme. La France est donc susceptible de se faire condamner par la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
- Par ailleurs Kamel Daoudi a été déchu de sa nationalité française en invoquant un article obscur du droit civil. Cette déchéance de nationalité qui nous rappelle l'époque du Maréchal Pétain rendait Kamel Daoudi expulsable du territoire français. Mais le droit international interdisait de le renvoyer en Algérie où sa vie était en danger et aucun des pays auxquels il a demandé l'asile ne l'a accepté. Il est donc resté dans une sorte de "limbes juridiques" en France.
- En représailles ou pour complaire à l'opinion du plus grand nombre, les pouvoirs publics s'acharnent à pourrir la vie de Kamel Daoudi en saccageant au passage les principes élémentaires des Droits de l'Homme. Non seulement on l'oblige à pointer plusieurs fois par jour au commissariat et on lui interdit de sortir de chez lui du soir au matin mais on se saisit des plaintes d'un couple d'extrême droite qui dit ne pouvoir supporter de vivre dans son voisinage pour le séparer de sa femme et de ses enfants et l'envoyer dans une chambre d'hôtel à plusieurs centaines de kilomètres.
- Enfin la représentante des pouvoir publics utilise un argument kafkaïen pour réfuter sa Q.P.C. : M. Daoudi ne peut se prévaloir du droit européen puisqu'il est sans papiers ! En effet on lui a retiré son passeport lors de son arrestation puis on lui a retiré la citoyenneté française bien qu'il soit marié à une française et qu'il ait des enfants français puis on ne lui a pas renouvelé son titre de séjour. Donc il est "sans papiers"!
Quand j'entends ce type de raisonnement de la part des pouvoirs publics j'ai envie de m'écrier à l'instar de Francis Blanche incarnant un officier nazi : "Kolossalll finesse !" Mais la situation est trop grave pour que l'on s'en tienne au comique troupier. Ce sont les principes fondamentaux du droit qui sont bafoués, c'est l'accoutumance à l'arbitraire administratif et policier que l'on inculque à l'opinion publique. C'est ce qui peut arriver à chacun d'entre nous dans quelque temps.
Kamel Daoudi dit plusieurs fois dans sa vidéo qu'on lui déniait son statut d'être humain. Il a tout à fait raison. C'est une opération classique que le bon sens populaire repris par Voltaire, résumait par le proverbe : "qui veut tuer son chien, l'accuse de la rage". Ce type d'opération a de nombreux précédents : par exemple quand les Européens ont envahi l'Amérique du Sud ils se sont trouvés en contradiction avec les préceptes de la religion catholique qui interdisaient l'esclavage ce qui contredisait leurs appétits de richesse. Il s'est donc trouvé des théologiens pour mettre en doute que les indiens aient une âme : certains de ces indiens commettaient des sacrifices humains, d'autres étaient anthropophages ... Ces comportements étaient-ils compatibles avec la nature humaine ? S'ils ne sont pas humains on peut donc les réduire en esclavage. Aujourd'hui nous avons le même raisonnement : ces gens sont dangereux, on ne peut donc leur appliquer les droits de l'homme.
Ce sont les principes mêmes du droit qui sont bafoués. Et pourtant qui parle de Kamel Daoudi ? Vous pensez que ça ne vous concerne pas, que vous n'avez pas transgressé la loi ? Déjà les prochaines mesures qui seront très prochainement présentées en conseil des ministres étendent les atteintes aux libertés individuelles déjà fortement entamées par l'état d'urgence. Bientôt chacun pourra être écouté, surveillé, géolocalisé, il suffira d'être soupçonné de participation à un délit quelconque et ceci sans nécessité d'une autorisation judiciaire.
Nous vivons une régression drastique de nos droits et, sous prétexte de nous défendre contre le terrorisme, les pouvoirs publics ont mis nos libertés en lambeaux. En présentant une Q.P.C sur la rétention administrative qui bafoue l'article 66 de la constitution Kamel Daoudi rend service à tous les français et je l'en remercie.