Madame Sastre s’apitoie sur les dizaines d’otages israéliens qui essaient de survivre dans les tunnels du Hamas, tout en oubliant les milliers de Palestiniens en détention administrative ou emprisonnés pour avoir résisté à la violence de l’occupation. Pourtant, on peut imaginer à quels terribles traitements ces prisonniers sont soumis sachant que 76 d’entre eux sont morts dans les geôles israéliennes depuis le 7 octobre 2023. Ces morts violentes ne présentent pas d’intérêt pour notre auteure qui ne voit que la souffrance des otages israéliens.
Madame Sastre oublie aussi que la vingtaine d’otages encore vivants devaient tous être libérés dans le cadre d’une trêve négociée entre Israël et le Hamas le 19 janvier 2025. Or, dans la nuit du 17 au 18 mars 2025, deux mois après la fin des combats, le gouvernement israélien a choisi de rompre brutalement cette trêve en tuant 330 Palestiniens dans des bombardements intensifs, en prélude à une reprise totale de l’offensive sur l’enclave.
Peggy Sastre ne mentionne aucunement cette trêve rompue qui a signé l’arrêt immédiat des libérations d’otages prévues. Oubli qui montre clairement son soutien au narratif israélien déniant sa responsabilité dans l’arrêt des libérations.
Plus loin dans le texte, elle affirme : « Qu’il suffit d’insérer les bons mots-clés devenus mots d’ordre – ‘résistance’, ‘colonialisme’, ‘apartheid’, ‘génocide’ pour neutraliser les réflexes ». Ce faisant, elle sous-entend que ces mots ne devraient pas s’appliquer à la Palestine occupée, qu’il n’y a pas de guerre coloniale, que l’apartheid israélien n’existe pas en Cisjordanie, que le mot génocide ne peut aucunement s’appliquer au cas des Palestiniens de Gaza, et que le mot ‘résistance’ leur est interdit (puisque ce sont tous des ‘terroristes’ à éliminer).
En blanchissant ou niant les crimes commis par les dirigeants israéliens depuis des décennies, elle prend ainsi le contrepied des personnalités de renommée internationale et des ONG les plus prestigieuses qui ont qualifié les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés par le gouvernement Netanyahou : Elie Barnavi, Avraham Burg, David Grossman, Ilan Pappé, Dominique de Villepin, Amnesty International (génocide et apartheid), Human Rights Watch (génocide et apartheid), Fédération Internationale des Droits Humains, B’Tselem, Médecins pour les droits de l’homme, Médecins Sans Frontières, JStreet, La cour Pénale Internationale, l’ONU…
Dans sa conclusion, Madame Sastre prétend « Que les cœurs saignent à géométrie militante », « Que les ONG détourneront les yeux ». Elle laisse ainsi sous-entendre que la compassion pour toutes les victimes est à géométrie variable, une injure pour les personnalités et les ONG qui documentent les crimes israéliens tout en œuvrant pour l’universalité des droits humains.
Dans cette partie du monde, les mots ‘résistance’, ‘colonialisme’, ‘apartheid’ et ‘génocide’ sont, pour l’auteure, vides de sens : le peuple Palestinien est donc responsable de tous ses maux et l’Etat d’Israël innocent !
Pour montrer sa compassion envers les otages israéliens, pourquoi Madame Sastre ne suggère-t-elle pas la solution la plus évidente : arrêt des combats, libération de tous les otages et prisonniers politiques, reprise des pourparlers pour une paix juste, avec les mêmes droits pour tous ?
Ci-dessous, l’édito de Mme Sastre publié dans Le Point le 15 août 2025.
Le Hamas, premier ennemi postmoderne
ÉDITO. En exhibant des otages mourants, le groupe terroriste teste nos nerfs, notre morale et nos automatismes militants. Et gagne.
Le Point, Peggy Sastre, le 15/08/2025
Ils ne se cachent plus. Mieux – ou pire : ils exhibent. Avec les images des otages israéliens Evyatar David (24 ans) et Rom Braslavski (21 ans), tous les deux capturés le 7 octobre 2023 au festival Nova et montrés émaciés, vidés, déshumanisés jusqu'à l'os, le Hamas brandit sa cruauté, revendique sa maîtrise de l'horreur. Et c'est précisément là que réside la relative nouveauté de la guerre qu'il mène contre Israël, de celles qui ne se gagnent plus à la kalach, à la roquette ou au drone, mais à la puissance symbolique.
Dans l'ancien monde, les bourreaux camouflaient. Ou alors, s'ils exposaient, c'était pour terrifier, sidérer. Les nazis filmaient leurs autodafés et leurs victoires militaires, pas Auschwitz. Les Soviétiques triaient et truquaient leurs images comme leurs mots, avec l'obsession du grand récit patriotique. Les djihadistes, eux, sont venus casser ce pacte : ils ont documenté les égorgements, les décapitations, les prisonniers brulés vifs dans leurs cages. Le sang n’a plus été une erreur, mais une stratégie. Le mal n’était plus le moyen, il est devenu le message.
Le Hamas aura poussé cette logique jusqu’à la perfection. Mettre en scène un otage mourant, c’est une déclaration d’ascendant. Une manière de dire : « Il se meurt, sous vos yeux, et vous ne pourrez rien faire. Voyez ce que nous faisons et ce que vous ne ferez pas. ». Le champ de bataille décisif n’est pas Gaza, Jérusalem ou Tel-Aviv, c’est la sphère cognitive occidentale. Ce que le Hamas veut prendre et défaire, ce n’est pas une armée, pas un pays, pas un territoire, c’est un imaginaire collectif.
Précisément celui qu’il a réussi à parasiter, comme ces vers qui pourrissent le système nerveux des sauterelles et les poussent à se suicider. Car pour Evyatar David et Rom Braslavski, pas de unes, pas de cris, pas de marches. Pas d’ondes de choc. Juste le silence -ou pire, comme au 7 octobre, la justification. Nos esprits sont aux fers. Et face à cette prise d’otage narrative, la logique de Netanyahou s’impose avec la clarté d’un miroir inversé : il n’y a plus de paix, plus de compromis – seulement la reprise de Gaza, totale, pour de bon, pas pour contenir, pour écraser.
S’il faut évidemment qu’il soit désarmé, le génie maléfique du Hamas ne réside pas dans son arsenal, mais dans sa compréhension si fine et perverse de l’époque.
Le Hamas est peut-être notre premier adversaire postmoderne, parfaitement conscient, savant, sachant que les récits priment sur les faits. Qu’il suffit d’insérer les bons mots-clés devenus mots d’ordre – « résistance », « colonialisme », « apartheid », « génocide » - pour neutraliser les réflexes. Que dans une époque ivre d’émotions, pourtant si prompte à l’emballement, si sensible au moindre déraillement lexical, si facilement hystérisée par des tweets malheureux, certains êtres humains peuvent être débranchés, déprogrammés de l’humanité.
C’est ce juif à qui l’on demande pourquoi il s’intéresse tant au sort des otages israéliens et qui répond : « Parce que les juifs sont les seuls qu’on attaque pour ce qu’ils sont et parce que nous sommes les seuls à les défendre. »
Elle est là, la victoire du Hamas. Pas d’avoir tué, saccagé, violé, mais d’avoir filmé et diffusé la torture, la faim, l’humiliation … « Je suis en train de creuser ma propre tombe » - et de savoir qu’aucune alarme ne sonnera. Que les cœurs saignent à géométrie militante et que les cerveaux n’ont plus une goutte d’oxygène sous la main. Que les ONG détourneront les yeux. Que les pancartes sont toutes déjà imprimées, mais pour d’autres causes.
Le Hamas est expert de cette stratégie ; cette grammaire du choc, il la parle comme si c’était sa langue maternelle. Et si ces images d’otages faméliques, ces corps rendus à l’état de spectre et réactivant des traumatismes historiques évidents, ce sont autant de preuves de sa domination. Des images-tests jetées à la face du monde pour vérifier jusqu’où il peut encaisser, tolérer, absoudre. Et le résultat ne pourrait être plus accablant.
Voila ce qu’il y a à lire dans ces vidéos. Pas la supplique, mais le triomphe. Autant d’images qui disent : « Nous avons gagné, nous avons kidnappé vos consciences, nous avons inversé vos repères, et nous pouvons tout montrer, parce que vous ne voyez plus rien. »
Là-dessus, ils ont raison.